La transition démocratique espagnole
triplette 38 :: disciplines :: Institutions politiques :: Semaine 6 la Démocratie parlementaire dirigée: Espagne Allemagne
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La transition démocratique espagnole
Introduction :
La guerre civile espagnole s’achève en 1939. Un régime autoritaire, le franquisme se met alors en place et supprime les libertés et droits démocratiques. Le 20 novembre 1975 c’est la mort de Franco et le général a préparé son héritage : il souhaite rétablir la monarchie et a désigné Juan Carlos comme successeur. Nous pouvons définir la transition comme la période située entre la fin du régime franquiste et l’instauration d’un système politique démocratique. Pour les politologues celle- ci commence au lendemain de la mort de Franco et s’achève avec la victoire du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) aux élections législatives de 1982. À la fin du franquisme, on trouve deux propositions politiques : tout d’abord celle venant du régime lui-même, réformatrice, et une proposition rupturiste provenant de l’opposition antifranquiste. Il est important de noter que la transition démocratique en Espagne s’est réalisée de l’intérieur du régime, en respectant la légalité franquiste. On peut se demander comment l’Espagne est passé du régime franquiste à un régime démocratique, mais surtout si cette transition est véritablement une transition homogène. Nous verrons dans un premier temps que cette transition constitue un modèle de transition démocratique, et dans une deuxième partie que la consolidation démocratique quant à elle, n'est pas aussi homogène qu'on pourrait le croire.
I) Un modèle de transition démocratique
A) Les difficultés de la sortie de la dictature
À la mort de Franco, le 20 novembre 1975, on trouve plusieurs forces politiques prêtes à lui succéder. Tout d’abord un projet politique qui se situe dans la continuité du modèle franquiste et se présente comme le défenseur des principes dictatoriaux. Il s’appuie sur les institutions franquistes et l’armée. Ensuite, une tendance de réformisme dans la continuité qu’incarne le gouvernement de Carlos Arias Navarro qui souhaite une démocratie limitée. Le projet réformiste quant à lui se développe dans les dernières années de la dictature franquiste, en réaction contre l’immobilisme du gouvernement de Navarro et son incapacité à accorder les libertés publiques et un régime représentatif. C’est la dernière génération d‘hommes politiques franquistes. Ensuite, un projet que l’on peut qualifier de rupturiste regroupe tous les partis d’opposition au franquisme dont le PCE (parti communiste espagnol), et le PSOE (parti socialiste ouvrier espagnol). La Coordination démocratique créée le 26 mars 1976 permet d’unir ces forces d’opposition contre le gouvernement en place.
Le 22 novembre 1975, Juan Carlos est proclamé roi d’Espagne et fait le serment de respecter les « lois fondamentales » franquistes. Il tient sa légitimité du franquisme puisqu’il n’est pas l’héritier en titre de la couronne. Mais bien qu’il se présente dans son discours d’intronisation comme le digne successeur du dictateur, il affirme la nécessité d’atteindre « une société libre et moderne » et se présente comme « le roi de tous les Espagnols ». La confirmation de Carlos Arias Navarro à la tête du gouvernement donne cependant une image de continuité avec le franquisme. Malgré des signes d’ouverture comme une amnistie politique en novembre 1975, celui-ci reste partisan d’une
La transition démocratique en Espagne
démocratie limitée qui conserve la nature du régime précédent. Le gouvernement est donc celui de l’immobilisme politique, ce qui conduit à des manifestations de rue qui revendiquent droit de grève et liberté d’expression entre autres. La contestation dégénère parfois en violence encouragée par divers groupes d’extrême gauche et d’extrême droite ainsi que par des groupes terroristes (ETA, Grapo). De nombreux incidents ont lieu lors d’affrontements avec la police qui provoquent une prise de conscience au niveau du gouvernement. Dès mai 1976, droit de réunion et droit d’association sont reconnus. Mais devant l’impasse dans laquelle se trouve le pouvoir et devant la nécessité d’enclencher la réforme, Juan Carlos exige la démission du premier ministre le 1 juillet 1976.
B) Un processus de réforme qui ne va pas à l’encontre de la légalité franquiste
Après quelques mois d’immobilisme politique, l’arrivée d’Adolfo Suarez à la tête du gouvernement marque le déclenchement du processus de réforme. Il est nommé le 3 juillet 1976. Une première déclaration de Suarez à la télévision le 6 juillet témoigne de sa volonté profonde de démocratisation : il déclare vouloir établir un « jeu politique ouvert à tous » et que « les gouvernements du futur soient le résultat de la libre volonté de la majorité des Espagnols ». Le projet de réforme de Suarez passe par l’adoption par les Cortès de la Loi pour la réforme politique. Bien qu’elle respecte la légalité franquiste, celle-ci contient des valeurs et principes démocratiques (partis politiques libres et régions autonomes) et décide des élections au suffrage universel direct d’une assemblée, les Cortes, composée de 350 députés et d’un Sénat de 207 élus. Le 18 novembre 1976, les Cortès approuvent leur propre dissolution, c’est le « hara-kiri » des Cortès. Le 15 décembre la Loi est adoptée par le peuple espagnol par référendum avec plus de 94% des suffrages. Cette loi est fondamentale car elle permet de passer de la légalité franquiste à la légalité démocratique.
Toutefois le processus de réforme ne se déroule pas sans heurts en témoigne la Semaine Noire qui pousse le pays au bord de la rupture du 23 au 28 janvier 1977 marquée par des attentats terroristes et dont le point culminant est la nuit du 24 janvier avec le « massacre d’Atocha ». Ces violences aboutissent à la légalisation du PCE le 9 avril 1977 qui offre à la Transition un peu plus de légitimité. En parallèle pour permettre un bon déroulement des élections, le gouvernement procède au démantèlement des institutions et organismes franquistes. Le Tribunal d’Ordre Public, responsable de la répression politique est dissous, puis c’est au tour du Movimiento Nacional, parti unique sous Franco, qui ouvre la voie au pluralisme politique.
Comme prévu par la Loi pour la réforme politique, la première élection démocratique depuis quarante ans a lieu le 15 juin 1977. Deux grands partis sortent vainqueurs de ces élections : l’UCD (Union de centre démocratique), coalition de centre-droit dirigé par Suarez et le PSOE. Ils deviennent de ce fait les piliers de la législature constituante. Le faible soutien des Espagnols au franquisme se reflète dans les quelques 0,8% des suffrages exprimées en faveurs de l’extrême droite.
C) La constitution de 1978
La constitution de 1978 est rédigée par une commission de 36 députés issus de toutes les formations politiques. Il faut 18 mois pour l’élaborer en raison des nombreuses négociations autour des sujets difficiles. Le texte final est un texte consensuel dans lequel on trouve un certain nombre d’ambiguïtés. Il est approuvé par les Cortès le 31 octobre 1978. Le 6 décembre 1978 le texte est soumis à un référendum populaire et le oui l’emporte avec plus de 87% des suffrages exprimés. La constitution s’articule autour de grands principes. Tout d’abord l’Espagne devient un Etat social et démocratique de droit, la souveraineté appartient au peuple espagnol. La forme de gouvernement est celle d’une monarchie parlementaire et le territoire s’organise autour de Communautés
autonomes dans le cadre d’un Etat décentralisé. Les autonomies peuvent se voir attribuées la gestion de certaines matières comme l’éducation, les transports, la santé etc. L’Etat, quant à lui se voit confier la défense et la politique étrangère et est aussi le garant de la solidarité entre les autonomies. Le roi possède une fonction représentative sans véritable pouvoir mais symbolise l’unité de la nation. Il est le chef de l’Etat et des armées, nomme le président du gouvernement détenteur de l’exécutif et ratifie les lois. Le pouvoir législatif est aux mains d’un parlement bicaméral constitué du Congrès des députés et du Sénat. L’Etat est non confessionnel. Liberté de syndicalisation, droit de grève, droit à la propriété privée sont reconnus par la constitution. De plus, une disposition dérogatoire abroge définitivement l’ensemble des Lois Fondamentales franquistes et légalise donc pleinement la scission avec le régime de Franco.
Si la transition démocratique est effectivement un modèle, il n'en est pas de même pour la consolidation de cette démocratie. Celle-ci fait en effet face à des difficultés importantes, et n'est pas aussi homogène qu'on pourrait le croire.
II) Une consolidation démocratique qui n'est pas aussi homogène qu'on pourrait le croire
A) Une consolidation difficile : le « désenchantement »
1) Des éléments de consolidation démocratique
Il est indéniable qu'il y a eu des éléments de consolidation démocratique avant le phénomène de désenchantement. Tout d'abord, après l'approbation de la Constitution (1978) et conformément à celle-ci, le Parlement constituant est dissous : on convoque de nouvelles élections législatives en mars 1979 : Adolfo Suarez reste à la tête du gouvernement. Toujours en mars 1979, on fait parvenir la démocratie à une échelle plus locale en organisant des élections municipales.
Mais c'est à l'échelle régionale que la consolidation est plus délicate. La mise en place de l'État des autonomies est difficile : toutes les provinces n'accèdent pas à leur autonomie au même rythme : ce sont les provinces dites « historiques » qui y accèdent en premier (les Pays Basques et la Catalogne par exemple). De plus, chaque province a une identité très forte, ce qui peut être un obstacle à cette échelle.
L'institutionnalisation est donc difficile, surtout à l'échelle régionale. Le gouvernement a des difficultés à résoudre ces problèmes, ce qui contribuera en partie au désenchantement.
2) Le phénomène de « désenchantement »
a) Qu'est-ce que le désenchantement ?
C'est la désillusion qui a suivi les attentes engendrées par la mort de Franco (20 décembre 1975), engourdissement civique et social qui remplace l'euphorie de la liberté récemment acquise. C'est comme si les espagnols découvraient que la démocratie ne résout pas d'elle-même toutes les difficultés.
b) Les facteurs du désenchantement
L'Espagne souffre d'une crise globale entre 1979 et 1981 qui menace la légitimité de la jeune démocratie. Avec les pactes de la Moncloa en 1977, on a laissé un certain nombre de problèmes économiques et sociaux au second plan pendant une courte période, car la construction du nouvel État démocratique était impérative. Ces problèmes reviennent au devant de la scène. Le choc pétrolier de 1979, la croissance nulle en 1980 et 1981 sont autant de facteurs qui conduisent au problème du pouvoir d'achat. La consolidation démocratique ne se trouve plus en tête des préoccupations des espagnols (elle est remplacée par le souci du chômage) pendant cette période de crise.
c) Les manifestations du désenchantement
La première des manifestations est la démobilisation politique et sociale frappante, qui contraste avec la forte mobilisation des années 1976-1977. On l'observe par des taux de participation aux élections qui diminuent fortement : 39% d'abstention aux élections législatives de mars 1979 ; 71% d'abstention au référendum galicien de décembre 1980. L'affiliation syndicale est de plus en plus faible, et il y a de moins en moins de grèves et de manifestations. Le parti au pouvoir (Union du Centre Démocratique) manque cruellement d'unité, et on voit apparaître une crise au sein même du gouvernement. L'UCD accumule les échecs électoraux, on observe beaucoup d'abandons autour de Suarez et de divisions internes au parti. Enfin, un regain de l'offensive terroriste contribue au climat putschiste. Beaucoup de rumeurs renforcent le camp de ceux qui sont favorables à un coup de force qui rétablirait un État autoritaire.
Devant ce contexte, Adolfo Suarez présente sa démission au roi le 29 janvier 1981.
B) Une démocratie menacée
1) Par qui ?
Il existe des forces qui tentent de faire obstacle à la consolidation de la démocratie. Leur stratégie est de faire monter la tension par un recours à la violence. Dans ces forces on trouve :
– des groupes issus du régime franquistes comme l'armée et la police (qui composaient une partie de son appareil répressif)
– des petits groupes qui sont le produit d'une radicalisation politique de la jeunesse
Nous sommes en présence de deux formes de terrorisme opposées : d'une part, la violence d'extrême-droite et des groupes paramilitaires, d'autre part, celle des groupes d'extrême-gauche (GRAPO et ETA par exemple). Mais l'opposant le plus dangereux est l'armée, puisque c'est l'organisme le plus mécontent du processus de démocratisation du pays.
2) La concrétisation des menaces : le coup d'état du 23 février 1981
On assistera à une concrétisation des menaces de l'armée lors de l'attentat du 23 février 1981 (qu'on appelle aussi le « 23-F »). Le Parlement s'apprête à voter pour élire le successeur de Suarez à la tête du gouvernement quand les gardes civils font irruption dans l'hémicycle, menés par le lieutenant Tejero. Ils prennent les parlementaires en otage et prétendent agir au nom du roi.
C'est à ce moment qu'intervient Juan Carlos lui-même : il enregistre immédiatement un message dans lequel il désavoue les putschistes et s'engage à défendre la légitimité de la démocratie. La prise d'otage s'achève dix-sept heures plus tard.
Quelles en sont les conséquences ? Tout d'abord, Juan Carlos gagne enfin la légitimité populaire qui lui a toujours manqué. Mais surtout, les doutes du « désenchantement » disparaissent. Le successeur de Suarez est élu (Calvo-Sotelo). On assiste avec lui au processus de « normalisation démocratique » qui passe par exemple par l'approbation de la loi sur le divorce, et par une harmonisation du processus d'accès à l'autonomie pour les provinces.
Mais il ne parvient pas à résoudre le problème de manque d'unité au sein du parti de l'UCD. Il dissout alors le Parlement et convoque des élections anticipées en août 1982.
C) La fin de la transition symbolisée par l'arrivée des socialistes au pouvoir
Cette élection est marquée par un taux de participation record et par une très forte mobilisation politique, ce qui prouve bien la fin du phénomène de « désenchantement ». Elle est surtout marquée par l'alternance politique : le parti au pouvoir est anéanti, et c'est le PSOE (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol) qui remporte la majorité absolue au Congrès.
Pour le cas espagnol, la transition démocratique est donc consolidée par les élections législatives de 1982. L'alternance politique et le bon déroulement de la passation de pouvoir constituent une preuve de la solidité des institutions démocratiques espagnoles.
Conclusion :
En sept ans, l'Espagne passe donc du régime autoritaire franquiste à un régime démocratique stable. Mais la transition n'a pas été totalement homogène entre 1975 et 1982. Si la nécessité de se défaire de la dictature de Franco était évidente, il n'en fût pas de même pour la consolidation du nouveau régime. Cette consolidation a été tourmentée par une crise touchant à beaucoup de domaines, et par le sentiment de « désenchantement » politique.
Mais en définitive, c'est un succès car elle a abouti à une des plus longues périodes de stabilité dans l'histoire contemporaine de l'Espagne, et ce sans traumatismes excessifs. Elle a été permise par :
• des négociations entre les élites de l'Ancien Régime et l'opposition
• un « esprit de transition » qui se caractérise par un esprit de consensus, de compromis, d'unité nationale
• un caractère plutôt pacifiste
• une volonté de réconciliation nationale
Enfin, l'entrée de l'Espagne dans la Communauté Économique Européenne quatre ans après la fin de sa transition démocratique (en 1986) peut être perçue comme la preuve finale d'un régime politique stable.
Bibliographie :
Histoire de l'Espagne contemporaine. De 1808 à nos jours, sous la direction de Jordi CANAL. Éd. Armand Colin
Jaillardon Édith. « L'Espagne post-franquiste : le consensus et ses équivoques » Revue française de science politique, 29ème année, n°2, pp. 283-312
Vilanova Pere, « Espagne, trente ans de démocratie : notes pour un bilan », Pouvoirs, 2008/1 n°124 pp. 5-18
Couffignal Georges, «Le régime politique de l'Espagne» Éd. Montschrestien. Collection Clefs Politique
Maria Teresa Pérez Picazo ; Guy Lemeunier « L'Espagne au XX ème siècle » Éd. Armand Colin Julie Amiot ; Jesus Alonso Carballes « Dossier espagnol 2011-2013 » Éd. Atlande
La guerre civile espagnole s’achève en 1939. Un régime autoritaire, le franquisme se met alors en place et supprime les libertés et droits démocratiques. Le 20 novembre 1975 c’est la mort de Franco et le général a préparé son héritage : il souhaite rétablir la monarchie et a désigné Juan Carlos comme successeur. Nous pouvons définir la transition comme la période située entre la fin du régime franquiste et l’instauration d’un système politique démocratique. Pour les politologues celle- ci commence au lendemain de la mort de Franco et s’achève avec la victoire du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) aux élections législatives de 1982. À la fin du franquisme, on trouve deux propositions politiques : tout d’abord celle venant du régime lui-même, réformatrice, et une proposition rupturiste provenant de l’opposition antifranquiste. Il est important de noter que la transition démocratique en Espagne s’est réalisée de l’intérieur du régime, en respectant la légalité franquiste. On peut se demander comment l’Espagne est passé du régime franquiste à un régime démocratique, mais surtout si cette transition est véritablement une transition homogène. Nous verrons dans un premier temps que cette transition constitue un modèle de transition démocratique, et dans une deuxième partie que la consolidation démocratique quant à elle, n'est pas aussi homogène qu'on pourrait le croire.
I) Un modèle de transition démocratique
A) Les difficultés de la sortie de la dictature
À la mort de Franco, le 20 novembre 1975, on trouve plusieurs forces politiques prêtes à lui succéder. Tout d’abord un projet politique qui se situe dans la continuité du modèle franquiste et se présente comme le défenseur des principes dictatoriaux. Il s’appuie sur les institutions franquistes et l’armée. Ensuite, une tendance de réformisme dans la continuité qu’incarne le gouvernement de Carlos Arias Navarro qui souhaite une démocratie limitée. Le projet réformiste quant à lui se développe dans les dernières années de la dictature franquiste, en réaction contre l’immobilisme du gouvernement de Navarro et son incapacité à accorder les libertés publiques et un régime représentatif. C’est la dernière génération d‘hommes politiques franquistes. Ensuite, un projet que l’on peut qualifier de rupturiste regroupe tous les partis d’opposition au franquisme dont le PCE (parti communiste espagnol), et le PSOE (parti socialiste ouvrier espagnol). La Coordination démocratique créée le 26 mars 1976 permet d’unir ces forces d’opposition contre le gouvernement en place.
Le 22 novembre 1975, Juan Carlos est proclamé roi d’Espagne et fait le serment de respecter les « lois fondamentales » franquistes. Il tient sa légitimité du franquisme puisqu’il n’est pas l’héritier en titre de la couronne. Mais bien qu’il se présente dans son discours d’intronisation comme le digne successeur du dictateur, il affirme la nécessité d’atteindre « une société libre et moderne » et se présente comme « le roi de tous les Espagnols ». La confirmation de Carlos Arias Navarro à la tête du gouvernement donne cependant une image de continuité avec le franquisme. Malgré des signes d’ouverture comme une amnistie politique en novembre 1975, celui-ci reste partisan d’une
La transition démocratique en Espagne
démocratie limitée qui conserve la nature du régime précédent. Le gouvernement est donc celui de l’immobilisme politique, ce qui conduit à des manifestations de rue qui revendiquent droit de grève et liberté d’expression entre autres. La contestation dégénère parfois en violence encouragée par divers groupes d’extrême gauche et d’extrême droite ainsi que par des groupes terroristes (ETA, Grapo). De nombreux incidents ont lieu lors d’affrontements avec la police qui provoquent une prise de conscience au niveau du gouvernement. Dès mai 1976, droit de réunion et droit d’association sont reconnus. Mais devant l’impasse dans laquelle se trouve le pouvoir et devant la nécessité d’enclencher la réforme, Juan Carlos exige la démission du premier ministre le 1 juillet 1976.
B) Un processus de réforme qui ne va pas à l’encontre de la légalité franquiste
Après quelques mois d’immobilisme politique, l’arrivée d’Adolfo Suarez à la tête du gouvernement marque le déclenchement du processus de réforme. Il est nommé le 3 juillet 1976. Une première déclaration de Suarez à la télévision le 6 juillet témoigne de sa volonté profonde de démocratisation : il déclare vouloir établir un « jeu politique ouvert à tous » et que « les gouvernements du futur soient le résultat de la libre volonté de la majorité des Espagnols ». Le projet de réforme de Suarez passe par l’adoption par les Cortès de la Loi pour la réforme politique. Bien qu’elle respecte la légalité franquiste, celle-ci contient des valeurs et principes démocratiques (partis politiques libres et régions autonomes) et décide des élections au suffrage universel direct d’une assemblée, les Cortes, composée de 350 députés et d’un Sénat de 207 élus. Le 18 novembre 1976, les Cortès approuvent leur propre dissolution, c’est le « hara-kiri » des Cortès. Le 15 décembre la Loi est adoptée par le peuple espagnol par référendum avec plus de 94% des suffrages. Cette loi est fondamentale car elle permet de passer de la légalité franquiste à la légalité démocratique.
Toutefois le processus de réforme ne se déroule pas sans heurts en témoigne la Semaine Noire qui pousse le pays au bord de la rupture du 23 au 28 janvier 1977 marquée par des attentats terroristes et dont le point culminant est la nuit du 24 janvier avec le « massacre d’Atocha ». Ces violences aboutissent à la légalisation du PCE le 9 avril 1977 qui offre à la Transition un peu plus de légitimité. En parallèle pour permettre un bon déroulement des élections, le gouvernement procède au démantèlement des institutions et organismes franquistes. Le Tribunal d’Ordre Public, responsable de la répression politique est dissous, puis c’est au tour du Movimiento Nacional, parti unique sous Franco, qui ouvre la voie au pluralisme politique.
Comme prévu par la Loi pour la réforme politique, la première élection démocratique depuis quarante ans a lieu le 15 juin 1977. Deux grands partis sortent vainqueurs de ces élections : l’UCD (Union de centre démocratique), coalition de centre-droit dirigé par Suarez et le PSOE. Ils deviennent de ce fait les piliers de la législature constituante. Le faible soutien des Espagnols au franquisme se reflète dans les quelques 0,8% des suffrages exprimées en faveurs de l’extrême droite.
C) La constitution de 1978
La constitution de 1978 est rédigée par une commission de 36 députés issus de toutes les formations politiques. Il faut 18 mois pour l’élaborer en raison des nombreuses négociations autour des sujets difficiles. Le texte final est un texte consensuel dans lequel on trouve un certain nombre d’ambiguïtés. Il est approuvé par les Cortès le 31 octobre 1978. Le 6 décembre 1978 le texte est soumis à un référendum populaire et le oui l’emporte avec plus de 87% des suffrages exprimés. La constitution s’articule autour de grands principes. Tout d’abord l’Espagne devient un Etat social et démocratique de droit, la souveraineté appartient au peuple espagnol. La forme de gouvernement est celle d’une monarchie parlementaire et le territoire s’organise autour de Communautés
autonomes dans le cadre d’un Etat décentralisé. Les autonomies peuvent se voir attribuées la gestion de certaines matières comme l’éducation, les transports, la santé etc. L’Etat, quant à lui se voit confier la défense et la politique étrangère et est aussi le garant de la solidarité entre les autonomies. Le roi possède une fonction représentative sans véritable pouvoir mais symbolise l’unité de la nation. Il est le chef de l’Etat et des armées, nomme le président du gouvernement détenteur de l’exécutif et ratifie les lois. Le pouvoir législatif est aux mains d’un parlement bicaméral constitué du Congrès des députés et du Sénat. L’Etat est non confessionnel. Liberté de syndicalisation, droit de grève, droit à la propriété privée sont reconnus par la constitution. De plus, une disposition dérogatoire abroge définitivement l’ensemble des Lois Fondamentales franquistes et légalise donc pleinement la scission avec le régime de Franco.
Si la transition démocratique est effectivement un modèle, il n'en est pas de même pour la consolidation de cette démocratie. Celle-ci fait en effet face à des difficultés importantes, et n'est pas aussi homogène qu'on pourrait le croire.
II) Une consolidation démocratique qui n'est pas aussi homogène qu'on pourrait le croire
A) Une consolidation difficile : le « désenchantement »
1) Des éléments de consolidation démocratique
Il est indéniable qu'il y a eu des éléments de consolidation démocratique avant le phénomène de désenchantement. Tout d'abord, après l'approbation de la Constitution (1978) et conformément à celle-ci, le Parlement constituant est dissous : on convoque de nouvelles élections législatives en mars 1979 : Adolfo Suarez reste à la tête du gouvernement. Toujours en mars 1979, on fait parvenir la démocratie à une échelle plus locale en organisant des élections municipales.
Mais c'est à l'échelle régionale que la consolidation est plus délicate. La mise en place de l'État des autonomies est difficile : toutes les provinces n'accèdent pas à leur autonomie au même rythme : ce sont les provinces dites « historiques » qui y accèdent en premier (les Pays Basques et la Catalogne par exemple). De plus, chaque province a une identité très forte, ce qui peut être un obstacle à cette échelle.
L'institutionnalisation est donc difficile, surtout à l'échelle régionale. Le gouvernement a des difficultés à résoudre ces problèmes, ce qui contribuera en partie au désenchantement.
2) Le phénomène de « désenchantement »
a) Qu'est-ce que le désenchantement ?
C'est la désillusion qui a suivi les attentes engendrées par la mort de Franco (20 décembre 1975), engourdissement civique et social qui remplace l'euphorie de la liberté récemment acquise. C'est comme si les espagnols découvraient que la démocratie ne résout pas d'elle-même toutes les difficultés.
b) Les facteurs du désenchantement
L'Espagne souffre d'une crise globale entre 1979 et 1981 qui menace la légitimité de la jeune démocratie. Avec les pactes de la Moncloa en 1977, on a laissé un certain nombre de problèmes économiques et sociaux au second plan pendant une courte période, car la construction du nouvel État démocratique était impérative. Ces problèmes reviennent au devant de la scène. Le choc pétrolier de 1979, la croissance nulle en 1980 et 1981 sont autant de facteurs qui conduisent au problème du pouvoir d'achat. La consolidation démocratique ne se trouve plus en tête des préoccupations des espagnols (elle est remplacée par le souci du chômage) pendant cette période de crise.
c) Les manifestations du désenchantement
La première des manifestations est la démobilisation politique et sociale frappante, qui contraste avec la forte mobilisation des années 1976-1977. On l'observe par des taux de participation aux élections qui diminuent fortement : 39% d'abstention aux élections législatives de mars 1979 ; 71% d'abstention au référendum galicien de décembre 1980. L'affiliation syndicale est de plus en plus faible, et il y a de moins en moins de grèves et de manifestations. Le parti au pouvoir (Union du Centre Démocratique) manque cruellement d'unité, et on voit apparaître une crise au sein même du gouvernement. L'UCD accumule les échecs électoraux, on observe beaucoup d'abandons autour de Suarez et de divisions internes au parti. Enfin, un regain de l'offensive terroriste contribue au climat putschiste. Beaucoup de rumeurs renforcent le camp de ceux qui sont favorables à un coup de force qui rétablirait un État autoritaire.
Devant ce contexte, Adolfo Suarez présente sa démission au roi le 29 janvier 1981.
B) Une démocratie menacée
1) Par qui ?
Il existe des forces qui tentent de faire obstacle à la consolidation de la démocratie. Leur stratégie est de faire monter la tension par un recours à la violence. Dans ces forces on trouve :
– des groupes issus du régime franquistes comme l'armée et la police (qui composaient une partie de son appareil répressif)
– des petits groupes qui sont le produit d'une radicalisation politique de la jeunesse
Nous sommes en présence de deux formes de terrorisme opposées : d'une part, la violence d'extrême-droite et des groupes paramilitaires, d'autre part, celle des groupes d'extrême-gauche (GRAPO et ETA par exemple). Mais l'opposant le plus dangereux est l'armée, puisque c'est l'organisme le plus mécontent du processus de démocratisation du pays.
2) La concrétisation des menaces : le coup d'état du 23 février 1981
On assistera à une concrétisation des menaces de l'armée lors de l'attentat du 23 février 1981 (qu'on appelle aussi le « 23-F »). Le Parlement s'apprête à voter pour élire le successeur de Suarez à la tête du gouvernement quand les gardes civils font irruption dans l'hémicycle, menés par le lieutenant Tejero. Ils prennent les parlementaires en otage et prétendent agir au nom du roi.
C'est à ce moment qu'intervient Juan Carlos lui-même : il enregistre immédiatement un message dans lequel il désavoue les putschistes et s'engage à défendre la légitimité de la démocratie. La prise d'otage s'achève dix-sept heures plus tard.
Quelles en sont les conséquences ? Tout d'abord, Juan Carlos gagne enfin la légitimité populaire qui lui a toujours manqué. Mais surtout, les doutes du « désenchantement » disparaissent. Le successeur de Suarez est élu (Calvo-Sotelo). On assiste avec lui au processus de « normalisation démocratique » qui passe par exemple par l'approbation de la loi sur le divorce, et par une harmonisation du processus d'accès à l'autonomie pour les provinces.
Mais il ne parvient pas à résoudre le problème de manque d'unité au sein du parti de l'UCD. Il dissout alors le Parlement et convoque des élections anticipées en août 1982.
C) La fin de la transition symbolisée par l'arrivée des socialistes au pouvoir
Cette élection est marquée par un taux de participation record et par une très forte mobilisation politique, ce qui prouve bien la fin du phénomène de « désenchantement ». Elle est surtout marquée par l'alternance politique : le parti au pouvoir est anéanti, et c'est le PSOE (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol) qui remporte la majorité absolue au Congrès.
Pour le cas espagnol, la transition démocratique est donc consolidée par les élections législatives de 1982. L'alternance politique et le bon déroulement de la passation de pouvoir constituent une preuve de la solidité des institutions démocratiques espagnoles.
Conclusion :
En sept ans, l'Espagne passe donc du régime autoritaire franquiste à un régime démocratique stable. Mais la transition n'a pas été totalement homogène entre 1975 et 1982. Si la nécessité de se défaire de la dictature de Franco était évidente, il n'en fût pas de même pour la consolidation du nouveau régime. Cette consolidation a été tourmentée par une crise touchant à beaucoup de domaines, et par le sentiment de « désenchantement » politique.
Mais en définitive, c'est un succès car elle a abouti à une des plus longues périodes de stabilité dans l'histoire contemporaine de l'Espagne, et ce sans traumatismes excessifs. Elle a été permise par :
• des négociations entre les élites de l'Ancien Régime et l'opposition
• un « esprit de transition » qui se caractérise par un esprit de consensus, de compromis, d'unité nationale
• un caractère plutôt pacifiste
• une volonté de réconciliation nationale
Enfin, l'entrée de l'Espagne dans la Communauté Économique Européenne quatre ans après la fin de sa transition démocratique (en 1986) peut être perçue comme la preuve finale d'un régime politique stable.
Bibliographie :
Histoire de l'Espagne contemporaine. De 1808 à nos jours, sous la direction de Jordi CANAL. Éd. Armand Colin
Jaillardon Édith. « L'Espagne post-franquiste : le consensus et ses équivoques » Revue française de science politique, 29ème année, n°2, pp. 283-312
Vilanova Pere, « Espagne, trente ans de démocratie : notes pour un bilan », Pouvoirs, 2008/1 n°124 pp. 5-18
Couffignal Georges, «Le régime politique de l'Espagne» Éd. Montschrestien. Collection Clefs Politique
Maria Teresa Pérez Picazo ; Guy Lemeunier « L'Espagne au XX ème siècle » Éd. Armand Colin Julie Amiot ; Jesus Alonso Carballes « Dossier espagnol 2011-2013 » Éd. Atlande
EstherW- Invité
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