Les ouvriers dans les sociétés européennes
triplette 38 :: disciplines :: Histoire du XIXè siècle :: Semaine 5 Le Royaume-Uni à l’âge victorien et ses représentations
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Les ouvriers dans les sociétés européennes
Introduction : Suite aux différentes révolutions de la fin du XIIIème siècle et les mutations sociales qu'elles entraînent, le XIXème siècle en Europe voit les structures évoluer et le paysage social complètement bouleversé. C'est à partir de ce siècle que la réalité d'un monde ouvrier commence à se dessiner : on va même jusqu'à parler de "classe ouvrière", voir de prolétariat. Cette analyse en terme de classe doit beaucoup à Marx qui y voit une double réalité : quantitative (les membres d'une classe partagent le même niveau de vie) et qualitative (ils partagent une "conscience de classe", un sentiment d'appartenance et d'antagonisme vis à vis des autres classes). Pour lui, c'est l'industrialisation qui permet la formation d'une nouvelle classe sociale, le prolétariat, qui est réduit à vendre sa force de travail contre un salaire dont le patron déduit une plus-value, c'est à dire la différence entre la valeur du travail fourni et le salaire réellement versé. Ce groupe social s'impose au cœur des questions politiques à partir du 19ème siècle et l'est toujours aujourd'hui.. Nous nous poserons donc la question suivante : dans quelle mesure le XIXème siècle est-il le siècle de la constitution, de la prise de conscience mais aussi de l'unification de la classe ouvrière au sein des sociétés européennes ?
I. Le monde ouvrier du XIXème siècle en Europe : un monde hétérogène et des réalités sociales disparates
A. Des mondes ouvriers
→ Dès les débuts du XIXème siècle, l'organisation sociale traditionnelle en Europe évolue sous les effets conjugués de la croissance démographique, des mutations économiques et des nouveaux principes sociaux et moraux affirmés par les différentes révolutions. En ce qui concerne le monde ouvrier, il ne constitue pas encore un ensemble, notamment à cause des différences entre monde rural et monde urbain. L'exode rural est une réalité et est plus précoce en Grande-Bretagne par exemple (autant d'urbains que de ruraux en 1850) qu'en France. En Russie, au milieu du siècle, 9 personnes sur 10 habitent toujours à la campagne. A cette époque, le phénomène ouvrier est encore souvent saisonnier : les paysans deviennent ouvriers pendant les morte-saison agricoles. Dans les pays de l'Europe méditerranéenne et de l'Est, le système seigneurial domine encore.
→ En ce qui concerne les villes, le monde ouvrier recouvre une grande diversité de situations sociales. Les ouvriers restent minoritaires dans la première partie du siècle. En Grande-Bretagne on différencie les skilled (ouvriers qualifiés) et unskilled (non qualifiés) dont les situations sont très différentes. En France, on peut différencier les artisans de vieux métiers (menuisiers, serruriers) qui forment une élite ouvrière, les ouvriers à domicile et les prolétaires des industries modernes (mines de charbon, textile).
→ Jusqu'à la fin du Second Empire, on peut considérer que le monde ouvrier s'organise autour des deux pôles de la ville et de la campagne, très contrastés autant dans les modes de vie que dans les systèmes de valeurs. Il est donc difficile de construire une unité sociale dans ce groupe.
B. Une condition ouvrière qui évolue
→ Bien que le monde ouvrier recouvre des réalités très contrastées, ses membres subissent dans l'ensemble une condition ouvrière difficile. Ils subissent une économie de subsistance qui se caractérise par une lutte quotidienne contre l'insécurité et la précarité du revenu, l'absence de législation pour garantir un minimum de ressources ou pour les protéger contre la maladie et sont soumis à la l'état de la conjoncture économique. La condition ouvrière est très difficile, les journées de travail sont très longues, l'effort de l'ouvrier doit s'intensifier avec les nouvelles formes d'organisations du travail (cadence et surveillance par les contremaîtres), les accidents sont fréquents. Le mineur demeure le symbole de l'ouvrier qui exerce un travail pénible et dangereux.
→ Une des grandes caractéristiques du monde ouvrier est également la présence des enfants. L'emploi des enfants est très généralisé dans le textile (pour leur agilité et leur souplesse) mais aussi dans les mines où ils représentent 20% des travailleurs en raison de leur capacité à se glisser dans les galeries très étroites. Les travailleurs étrangers forment également une grande partie du monde ouvrier, en France ils passent de 380 000 en 1851 à 1 million trente ans plus tard. Cette part de travailleurs étrangers représentent souvent la part la plus pauvre du prolétariat et celle qui subit les conditions les plus difficiles.
→ Néanmoins, on observe dans la seconde partie du XIXème siècle une tendance générale à l'amélioration de niveau de vie des ouvriers notamment grâce à l'abondance de travail. Les ouvriers connaissent par exemple une hausse de leur pouvoir d'achat qui reste contrasté selon les pays (80% en Grande-Bretagne contre 40% en France ou 20% en Allemagne). Par ailleurs, la législation progressive va permettre d'améliorer relativement les situations : à partir de 1890, l'ouvrier français n'est plus obligé d'avoir un livret spécial (document institué en 1803 pour contrôler les déplacements des travailleurs).
Ainsi, si le monde ouvrier est un monde contrasté et hétérogène qui subit dans l'ensemble une condition difficile, il va se retrouver profondément touché par la révolution industrielle dont l'impact social est durable et décisif.
II. La révolution industrielle et ses conséquences : l'émergence de la classe ouvrière
A. Transformations économiques et transformations structurelles
→ La révolution industrielle en Europe entraîne de profondes mutations économiques et structurelles qui ont des effets sur l'espace social. Tout d'abord, on observe une montée en puissance du salariat (en 1900, les salariés représentent 80% des actifs en Grande-Bretagne et deux tiers en Allemagne), l'emploi se redistribue au détriment de l'agriculture et au profit de l'industrie et des services. L'expansion de la grande industrie entraîne une transformation du monde ouvrier en donnant une nouvelle importance au prolétariat d'usine. Même si des formes du travail manuel coexistent, le travail salarié effectué dans de grandes entreprises se généralise.
→ Néanmoins, cette transformation reste à nuancer dans les premiers temps de l'industrialisation. En effet, l'enracinement rural des classes populaires reste une réalité et un obstacle au capitalisme. Ainsi, le transfert de la main d'œuvre agricole dans l'industrie reste limité et en France en 1880, près d'un actif sur deux travaille encore dans l'agriculture tandis que les ouvriers représentent 41% de la population active (3 millions de personnes).
→ Au niveau du travail de l'ouvrier, la révolution industrielle à deux grands effets. D'une part, la mécanisation du travail transforme son rôle : il devient auxiliaire de la machine, son travail est simplifié et spécialisé, la pénibilité s'accroît à cause des cadences et de la rapidité d'exécution. La mécanisation est facteur de "déqualification ouvrière". On observe par ailleurs un développement de l'alcoolisme ouvrier qui devient le troisième fléau après la tuberculose et la syphilis. D'autre part, l'urbanisation incontrôlée entraînée par la révolution industrielle provoque de nombreux déracinements : les familles ouvrières s'entassent dans des logements insalubres à cause du manque de place. Dans tous les pays en voie d'industrialisation, le travail concentré et mécanisé entraîne une dégradation de la condition ouvrière. Dans les "slums" de Manchester, les taudis ouvrier du premier centre cotonnier d'Europe, l'espérance de vie à la naissance est de 24 ans alors qu'elle est de 40 ans pour la moyenne anglaise.
B. L'émergence d'une conscience et d'une contestation
→ Face à cette industrialisation et ses conséquences, une conscience de classe commence à émerger, entraînant avec elle les prémisses d'une contestation ouvrière. La "misère morale" contamine le monde ouvrier, la famille traditionnelle se désarticule suite aux déracinements et la vie religieuse s'affaiblit notamment parce qu'elle était ancrée dans le monde rural. Des révoltes sporadiques commencent à émerger. La concentration des entreprises favorise la prise de conscience d'une situation commune, de droits à défendre, provoquant l'émergence du concept de classe.
→ Dès la monarchie de juillet, le prolétariat fait son entrée sur la scène politique française. La question ouvrière commence à devenir centrale. Le soulèvement des canuts à Lyon en 1831 et en 1834 témoigne d'une véritable prise de conscience par le monde ouvrier de sa capacité de révolte.
La ville concentre le groupe ouvrier les plus considérable et les ouvriers occupent une place essentielle lors des révoltes urbaines du XIXème siècle. Ainsi, pendant la Commune en 1871, à Belleville, 84% des insurgés sont des ouvriers. On observe ainsi la constitution d'une pensée de classe qui refuse les portes paroles des autres groupes sociaux.
→ Les pouvoirs publics commencent à constater les dangers d'une révolte ouvrière et concèdent quelques réformes notamment sur le travail des enfants (lois en 1819 en Grande-Bretagne, en 1839 en Prusse, en 1841 en France). La Grande Bretagne autorise les associations ouvrières en 1824 (les trade-unions) mais cela ne calme pas les revendications ouvrières, particulièrement virulentes en Europe pendant les journées révolutionnaires de 1848.
→ En Grande-Bretagne, la lutte ouvrière connaît un pas décisif avec le chartisme, un puissant mouvement d'émancipation ouvrière qui surgit en 1836, animé par un ébéniste, Lovett, et un journaliste irlandais, O'connor. Il tire son nom de "la charte du peuple" élaborée en 1837 qui énonce un certain nombre de revendications telles que la réduction à 10h de la journée de travail ou la suppression du travail des jeunes enfant. Ce mouvement crée une vive agitation dans les années 1830-1840, sévèrement réprimée, qui se solde par un échec mais oblige le gouvernement à davantage se préoccuper du sort ouvrier.
La révolution industrielle bouleverse donc de manière profonde et durable la structure traditionnelle des sociétés européennes favorisant la prise de conscience par le monde ouvrier d'une situation et d'une identité commune, et donc l'émergence d'une contestation qui s'amplifie et s'organise dans la seconde moitié du siècle.
III. L'organisation et le renforcement de la classe ouvrière dans la seconde moitié du XIXème siècle
A. Facteurs économiques, sociaux et moraux
→ Dans la seconde moitié du XIXème siècle, la structure des classes laborieuses se stabilise. Les habitats des ouvriers se concentrent souvent à proximité de leur lieu de travail (on peut prendre l'exemple des corons des pays noirs pour les mineurs) et le métier commence à se transmettre de père en fils, consolidant la structure d'une classe sociale. Le thème du "mineur fils de mineur" évoqué par Zola dans Germinal devient une réalité. Le prolétariat d'usine s'impose : en Grande-Bretagne, l'effectif des travailleurs de l'industriel passe de 5,7 millions en 1881 à 8,6 millions en 1911, en Allemagne de 6 à 9 millions.
→ Dans les pays qui commencent tout juste à s'industrialiser, la constitution d'un prolétariat d'usine est récente mais fortement concentrée dans certains pôles : Turin, Milan ou Gênes en Italie, Vienne dans l'empire austro-hongrois, en Russie à Donbass pour le charbon, sur l'Oural pour les minerais ou à Bakou pour le pétrole (ainsi que les activités manufacturières à Moscou ou Saint Petersbourg).
→ La Grande dépression des années 1880-1890 ébranle l'équilibre instable des sociétés. Cette période est décisive pour le monde ouvrier car elle se solde par une prise d'importance décisive du prolétariat. En France, la grande dépression provoque une crise du monde paysan et accélère l'exode rural : entre 1806 et 1906, les urbains passent de 30,5% à 42,1% de la population. Les ouvriers migrent vers les banlieues faisant naitre une nouvelle réalité populaire : c'est là que le véritable prolétariat industriel se constitue.
→ Ces bouleversements provoquent une crise d'identité profonde au sein du monde ouvrier. La substitution du capital au travail c'est à dire de la machine à la qualification traditionnelle est particulièrement difficile pour les ouvriers. Les déracinements dus à l'exode rural provoquent une rupture des solidarités traditionnelles ancestrales.
B. Manifestations socio-politiques
→ C'est donc également à partir des années 1880 et jusqu'à la veille de la première guerre mondiale qu'on observe une intense mobilisation collective : cette période semble être l'apogée du mouvement ouvrier avec deux éléments principaux : les grèves et le syndicalisme. Suite à la conjugaison de facteurs évoqués précédemment, les ouvriers prennent peu à peu conscience de l'oppression dont ils sont victimes et s'organisent en marge de la société comme une "contre-société". Les différentes idéologies s'affichent comme ouvertement révolutionnaires et l'intervention des grèves achève de cimenter la conscience de classe. L'idéologie principale est la doctrine marxiste approfondie par Marx et Engel dans le Capital, dont le premier volume paraît en 1867, qui propose un programme politique révolutionnaire de conquête du pouvoir et de triomphe du prolétariat.
→ Peu à peu, les différents dirigeants des mouvements ouvriers se rencontrent et confrontent leurs idées : en 1864 est crée l'Association Internationale des travailleurs (la première internationale) qui comprend des sections locales dans chaque pays mais se retrouve traversée par de nombreuses dissensions entre marxistes et anarchistes. Des partis socialistes sont crées dans toute l'Europe (le parti Allemand en 1875 au congrès de Gotha, le parti ouvrier social-démocrate en Russie en 1898 mais ses dirigeants sont vite arrêtés). Par la suite, la seconde internationale se crée autour du parti social-démocrate allemand et s'efforce de définir une doctrine commune à tout les partis. De plus en plus de partis se réclament du "prolétariat" et comment à s'enraciner grâce à la conquête des municipalités.
→ Néanmoins, les partis sont surtout le fait des intellectuelles tandis que l'expression populaire du mouvement ouvrier s'exprime dans les syndicats et la grève. Les syndicats deviennent légaux en 1875 en Grande Bretagne et en 1884 en France. Leur but est un rapprochement sur le plan national de l'ensemble des ouvriers d'une industrie afin de former une fédération capable de défendre les intérêts des ouvriers. Ils ont un rôle fondamental d'unification. Le développement de la presse et des transports permet une meilleure communication entre leaders parisiens et ouvriers de province. En Grande-Bretagne, dès 1900 on compte 3 millions de syndiqués. Les trade-unions britanniques se regroupent dans le Trade-Union Congress dans un mouvement appelé "unionisme" qui réclame entre autres les journées de 8h. En Allemagne les syndicats se regroupent sous le parti social démocrate de Karl Legien. Cette liaison étroite entre syndicat et parti se retrouve également en Suède, au Danemark, en Belgique ou aux Pays-Bas. En France, La CGT est crée en 1895 au congrès de Limoges pour rassembler les syndicats, les unions locales et les bourses du travail. Elle est indépendante mais pas apolitique.
→ En ce qui concerne les conflits, ils concernent toutes les catégories d'ouvriers, même le prolétariat rural (grève des bucherons du Cher en 1891, des viticulteurs du Languedoc en 1907). La durée moyenne des conflits s'allonge, en France elle passe de 7 jours en 1875 à 21 jours en 1902.Par ailleurs, les revendications évoluent : les ouvriers contestent plus les nouveaux règlements et la nouvelle organisation du travail que les problèmes de salaire.
→ C'est également à cette période que se mettent en place une série de symboles qui contribuent à l'identité collective du monde ouvrier : le drapeau rouge au détriment du drapeau tricolore en France, le chant de l'Internationale ou la date du 1er mai qui devient fête des travailleurs.
Conclusion : En conclusion, le XIXème apparaît bien comme le siècle de la montée en puissance, de l'organisation et de l'affirmation de la classe ouvrière dans les sociétés européennes. Pourtant, au début du siècle, l'unité du monde ouvrier est loin d'être évidente : malgré le partage d'une condition ouvrière difficile, les réalités sociales sont encore très disparates et le clivage ville-campagne est une réalité. La révolution industrielle et la série de mutations économiques qui s'ensuivent provoquent l'ébauche d'une contestation et de la construction d'une conscience de classe au milieu du siècle avec les premiers mouvements ouvriers. Par la suite, la seconde moitié du siècle voit le développement et l'organisation de la classe ouvrière à travers le partage d'une identité commune. Le développement de cette conscience de classe se manifeste dans la vie politique mais aussi à travers les deux puissants outils des contestations : les grèves et les syndicats. Alors que les classes dominantes s'étaient appuyées sur l'isolement des classes populaires pour empêcher la diffusion de l'idéologie révolutionnaire, les syndicats permettent l'unification des revendications. La fin du siècle est donc marquée par l'émergence d'un puissant mouvement ouvrier qui se radicalise et que les hommes politiques ne peuvent plus négliger. Pourtant, paradoxalement, le XXème siècle sera bien, malgré quelques avancées sociales, celui du triomphe du capitalisme et de la recherche du profit au détriment des ouvriers.
I. Le monde ouvrier du XIXème siècle en Europe : un monde hétérogène et des réalités sociales disparates
A. Des mondes ouvriers
→ Dès les débuts du XIXème siècle, l'organisation sociale traditionnelle en Europe évolue sous les effets conjugués de la croissance démographique, des mutations économiques et des nouveaux principes sociaux et moraux affirmés par les différentes révolutions. En ce qui concerne le monde ouvrier, il ne constitue pas encore un ensemble, notamment à cause des différences entre monde rural et monde urbain. L'exode rural est une réalité et est plus précoce en Grande-Bretagne par exemple (autant d'urbains que de ruraux en 1850) qu'en France. En Russie, au milieu du siècle, 9 personnes sur 10 habitent toujours à la campagne. A cette époque, le phénomène ouvrier est encore souvent saisonnier : les paysans deviennent ouvriers pendant les morte-saison agricoles. Dans les pays de l'Europe méditerranéenne et de l'Est, le système seigneurial domine encore.
→ En ce qui concerne les villes, le monde ouvrier recouvre une grande diversité de situations sociales. Les ouvriers restent minoritaires dans la première partie du siècle. En Grande-Bretagne on différencie les skilled (ouvriers qualifiés) et unskilled (non qualifiés) dont les situations sont très différentes. En France, on peut différencier les artisans de vieux métiers (menuisiers, serruriers) qui forment une élite ouvrière, les ouvriers à domicile et les prolétaires des industries modernes (mines de charbon, textile).
→ Jusqu'à la fin du Second Empire, on peut considérer que le monde ouvrier s'organise autour des deux pôles de la ville et de la campagne, très contrastés autant dans les modes de vie que dans les systèmes de valeurs. Il est donc difficile de construire une unité sociale dans ce groupe.
B. Une condition ouvrière qui évolue
→ Bien que le monde ouvrier recouvre des réalités très contrastées, ses membres subissent dans l'ensemble une condition ouvrière difficile. Ils subissent une économie de subsistance qui se caractérise par une lutte quotidienne contre l'insécurité et la précarité du revenu, l'absence de législation pour garantir un minimum de ressources ou pour les protéger contre la maladie et sont soumis à la l'état de la conjoncture économique. La condition ouvrière est très difficile, les journées de travail sont très longues, l'effort de l'ouvrier doit s'intensifier avec les nouvelles formes d'organisations du travail (cadence et surveillance par les contremaîtres), les accidents sont fréquents. Le mineur demeure le symbole de l'ouvrier qui exerce un travail pénible et dangereux.
→ Une des grandes caractéristiques du monde ouvrier est également la présence des enfants. L'emploi des enfants est très généralisé dans le textile (pour leur agilité et leur souplesse) mais aussi dans les mines où ils représentent 20% des travailleurs en raison de leur capacité à se glisser dans les galeries très étroites. Les travailleurs étrangers forment également une grande partie du monde ouvrier, en France ils passent de 380 000 en 1851 à 1 million trente ans plus tard. Cette part de travailleurs étrangers représentent souvent la part la plus pauvre du prolétariat et celle qui subit les conditions les plus difficiles.
→ Néanmoins, on observe dans la seconde partie du XIXème siècle une tendance générale à l'amélioration de niveau de vie des ouvriers notamment grâce à l'abondance de travail. Les ouvriers connaissent par exemple une hausse de leur pouvoir d'achat qui reste contrasté selon les pays (80% en Grande-Bretagne contre 40% en France ou 20% en Allemagne). Par ailleurs, la législation progressive va permettre d'améliorer relativement les situations : à partir de 1890, l'ouvrier français n'est plus obligé d'avoir un livret spécial (document institué en 1803 pour contrôler les déplacements des travailleurs).
Ainsi, si le monde ouvrier est un monde contrasté et hétérogène qui subit dans l'ensemble une condition difficile, il va se retrouver profondément touché par la révolution industrielle dont l'impact social est durable et décisif.
II. La révolution industrielle et ses conséquences : l'émergence de la classe ouvrière
A. Transformations économiques et transformations structurelles
→ La révolution industrielle en Europe entraîne de profondes mutations économiques et structurelles qui ont des effets sur l'espace social. Tout d'abord, on observe une montée en puissance du salariat (en 1900, les salariés représentent 80% des actifs en Grande-Bretagne et deux tiers en Allemagne), l'emploi se redistribue au détriment de l'agriculture et au profit de l'industrie et des services. L'expansion de la grande industrie entraîne une transformation du monde ouvrier en donnant une nouvelle importance au prolétariat d'usine. Même si des formes du travail manuel coexistent, le travail salarié effectué dans de grandes entreprises se généralise.
→ Néanmoins, cette transformation reste à nuancer dans les premiers temps de l'industrialisation. En effet, l'enracinement rural des classes populaires reste une réalité et un obstacle au capitalisme. Ainsi, le transfert de la main d'œuvre agricole dans l'industrie reste limité et en France en 1880, près d'un actif sur deux travaille encore dans l'agriculture tandis que les ouvriers représentent 41% de la population active (3 millions de personnes).
→ Au niveau du travail de l'ouvrier, la révolution industrielle à deux grands effets. D'une part, la mécanisation du travail transforme son rôle : il devient auxiliaire de la machine, son travail est simplifié et spécialisé, la pénibilité s'accroît à cause des cadences et de la rapidité d'exécution. La mécanisation est facteur de "déqualification ouvrière". On observe par ailleurs un développement de l'alcoolisme ouvrier qui devient le troisième fléau après la tuberculose et la syphilis. D'autre part, l'urbanisation incontrôlée entraînée par la révolution industrielle provoque de nombreux déracinements : les familles ouvrières s'entassent dans des logements insalubres à cause du manque de place. Dans tous les pays en voie d'industrialisation, le travail concentré et mécanisé entraîne une dégradation de la condition ouvrière. Dans les "slums" de Manchester, les taudis ouvrier du premier centre cotonnier d'Europe, l'espérance de vie à la naissance est de 24 ans alors qu'elle est de 40 ans pour la moyenne anglaise.
B. L'émergence d'une conscience et d'une contestation
→ Face à cette industrialisation et ses conséquences, une conscience de classe commence à émerger, entraînant avec elle les prémisses d'une contestation ouvrière. La "misère morale" contamine le monde ouvrier, la famille traditionnelle se désarticule suite aux déracinements et la vie religieuse s'affaiblit notamment parce qu'elle était ancrée dans le monde rural. Des révoltes sporadiques commencent à émerger. La concentration des entreprises favorise la prise de conscience d'une situation commune, de droits à défendre, provoquant l'émergence du concept de classe.
→ Dès la monarchie de juillet, le prolétariat fait son entrée sur la scène politique française. La question ouvrière commence à devenir centrale. Le soulèvement des canuts à Lyon en 1831 et en 1834 témoigne d'une véritable prise de conscience par le monde ouvrier de sa capacité de révolte.
La ville concentre le groupe ouvrier les plus considérable et les ouvriers occupent une place essentielle lors des révoltes urbaines du XIXème siècle. Ainsi, pendant la Commune en 1871, à Belleville, 84% des insurgés sont des ouvriers. On observe ainsi la constitution d'une pensée de classe qui refuse les portes paroles des autres groupes sociaux.
→ Les pouvoirs publics commencent à constater les dangers d'une révolte ouvrière et concèdent quelques réformes notamment sur le travail des enfants (lois en 1819 en Grande-Bretagne, en 1839 en Prusse, en 1841 en France). La Grande Bretagne autorise les associations ouvrières en 1824 (les trade-unions) mais cela ne calme pas les revendications ouvrières, particulièrement virulentes en Europe pendant les journées révolutionnaires de 1848.
→ En Grande-Bretagne, la lutte ouvrière connaît un pas décisif avec le chartisme, un puissant mouvement d'émancipation ouvrière qui surgit en 1836, animé par un ébéniste, Lovett, et un journaliste irlandais, O'connor. Il tire son nom de "la charte du peuple" élaborée en 1837 qui énonce un certain nombre de revendications telles que la réduction à 10h de la journée de travail ou la suppression du travail des jeunes enfant. Ce mouvement crée une vive agitation dans les années 1830-1840, sévèrement réprimée, qui se solde par un échec mais oblige le gouvernement à davantage se préoccuper du sort ouvrier.
La révolution industrielle bouleverse donc de manière profonde et durable la structure traditionnelle des sociétés européennes favorisant la prise de conscience par le monde ouvrier d'une situation et d'une identité commune, et donc l'émergence d'une contestation qui s'amplifie et s'organise dans la seconde moitié du siècle.
III. L'organisation et le renforcement de la classe ouvrière dans la seconde moitié du XIXème siècle
A. Facteurs économiques, sociaux et moraux
→ Dans la seconde moitié du XIXème siècle, la structure des classes laborieuses se stabilise. Les habitats des ouvriers se concentrent souvent à proximité de leur lieu de travail (on peut prendre l'exemple des corons des pays noirs pour les mineurs) et le métier commence à se transmettre de père en fils, consolidant la structure d'une classe sociale. Le thème du "mineur fils de mineur" évoqué par Zola dans Germinal devient une réalité. Le prolétariat d'usine s'impose : en Grande-Bretagne, l'effectif des travailleurs de l'industriel passe de 5,7 millions en 1881 à 8,6 millions en 1911, en Allemagne de 6 à 9 millions.
→ Dans les pays qui commencent tout juste à s'industrialiser, la constitution d'un prolétariat d'usine est récente mais fortement concentrée dans certains pôles : Turin, Milan ou Gênes en Italie, Vienne dans l'empire austro-hongrois, en Russie à Donbass pour le charbon, sur l'Oural pour les minerais ou à Bakou pour le pétrole (ainsi que les activités manufacturières à Moscou ou Saint Petersbourg).
→ La Grande dépression des années 1880-1890 ébranle l'équilibre instable des sociétés. Cette période est décisive pour le monde ouvrier car elle se solde par une prise d'importance décisive du prolétariat. En France, la grande dépression provoque une crise du monde paysan et accélère l'exode rural : entre 1806 et 1906, les urbains passent de 30,5% à 42,1% de la population. Les ouvriers migrent vers les banlieues faisant naitre une nouvelle réalité populaire : c'est là que le véritable prolétariat industriel se constitue.
→ Ces bouleversements provoquent une crise d'identité profonde au sein du monde ouvrier. La substitution du capital au travail c'est à dire de la machine à la qualification traditionnelle est particulièrement difficile pour les ouvriers. Les déracinements dus à l'exode rural provoquent une rupture des solidarités traditionnelles ancestrales.
B. Manifestations socio-politiques
→ C'est donc également à partir des années 1880 et jusqu'à la veille de la première guerre mondiale qu'on observe une intense mobilisation collective : cette période semble être l'apogée du mouvement ouvrier avec deux éléments principaux : les grèves et le syndicalisme. Suite à la conjugaison de facteurs évoqués précédemment, les ouvriers prennent peu à peu conscience de l'oppression dont ils sont victimes et s'organisent en marge de la société comme une "contre-société". Les différentes idéologies s'affichent comme ouvertement révolutionnaires et l'intervention des grèves achève de cimenter la conscience de classe. L'idéologie principale est la doctrine marxiste approfondie par Marx et Engel dans le Capital, dont le premier volume paraît en 1867, qui propose un programme politique révolutionnaire de conquête du pouvoir et de triomphe du prolétariat.
→ Peu à peu, les différents dirigeants des mouvements ouvriers se rencontrent et confrontent leurs idées : en 1864 est crée l'Association Internationale des travailleurs (la première internationale) qui comprend des sections locales dans chaque pays mais se retrouve traversée par de nombreuses dissensions entre marxistes et anarchistes. Des partis socialistes sont crées dans toute l'Europe (le parti Allemand en 1875 au congrès de Gotha, le parti ouvrier social-démocrate en Russie en 1898 mais ses dirigeants sont vite arrêtés). Par la suite, la seconde internationale se crée autour du parti social-démocrate allemand et s'efforce de définir une doctrine commune à tout les partis. De plus en plus de partis se réclament du "prolétariat" et comment à s'enraciner grâce à la conquête des municipalités.
→ Néanmoins, les partis sont surtout le fait des intellectuelles tandis que l'expression populaire du mouvement ouvrier s'exprime dans les syndicats et la grève. Les syndicats deviennent légaux en 1875 en Grande Bretagne et en 1884 en France. Leur but est un rapprochement sur le plan national de l'ensemble des ouvriers d'une industrie afin de former une fédération capable de défendre les intérêts des ouvriers. Ils ont un rôle fondamental d'unification. Le développement de la presse et des transports permet une meilleure communication entre leaders parisiens et ouvriers de province. En Grande-Bretagne, dès 1900 on compte 3 millions de syndiqués. Les trade-unions britanniques se regroupent dans le Trade-Union Congress dans un mouvement appelé "unionisme" qui réclame entre autres les journées de 8h. En Allemagne les syndicats se regroupent sous le parti social démocrate de Karl Legien. Cette liaison étroite entre syndicat et parti se retrouve également en Suède, au Danemark, en Belgique ou aux Pays-Bas. En France, La CGT est crée en 1895 au congrès de Limoges pour rassembler les syndicats, les unions locales et les bourses du travail. Elle est indépendante mais pas apolitique.
→ En ce qui concerne les conflits, ils concernent toutes les catégories d'ouvriers, même le prolétariat rural (grève des bucherons du Cher en 1891, des viticulteurs du Languedoc en 1907). La durée moyenne des conflits s'allonge, en France elle passe de 7 jours en 1875 à 21 jours en 1902.Par ailleurs, les revendications évoluent : les ouvriers contestent plus les nouveaux règlements et la nouvelle organisation du travail que les problèmes de salaire.
→ C'est également à cette période que se mettent en place une série de symboles qui contribuent à l'identité collective du monde ouvrier : le drapeau rouge au détriment du drapeau tricolore en France, le chant de l'Internationale ou la date du 1er mai qui devient fête des travailleurs.
Conclusion : En conclusion, le XIXème apparaît bien comme le siècle de la montée en puissance, de l'organisation et de l'affirmation de la classe ouvrière dans les sociétés européennes. Pourtant, au début du siècle, l'unité du monde ouvrier est loin d'être évidente : malgré le partage d'une condition ouvrière difficile, les réalités sociales sont encore très disparates et le clivage ville-campagne est une réalité. La révolution industrielle et la série de mutations économiques qui s'ensuivent provoquent l'ébauche d'une contestation et de la construction d'une conscience de classe au milieu du siècle avec les premiers mouvements ouvriers. Par la suite, la seconde moitié du siècle voit le développement et l'organisation de la classe ouvrière à travers le partage d'une identité commune. Le développement de cette conscience de classe se manifeste dans la vie politique mais aussi à travers les deux puissants outils des contestations : les grèves et les syndicats. Alors que les classes dominantes s'étaient appuyées sur l'isolement des classes populaires pour empêcher la diffusion de l'idéologie révolutionnaire, les syndicats permettent l'unification des revendications. La fin du siècle est donc marquée par l'émergence d'un puissant mouvement ouvrier qui se radicalise et que les hommes politiques ne peuvent plus négliger. Pourtant, paradoxalement, le XXème siècle sera bien, malgré quelques avancées sociales, celui du triomphe du capitalisme et de la recherche du profit au détriment des ouvriers.
Joséphi- Invité
triplette 38 :: disciplines :: Histoire du XIXè siècle :: Semaine 5 Le Royaume-Uni à l’âge victorien et ses représentations
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