Exposé : l'école, pilier de la république (1879-1885)
triplette 38 :: disciplines :: Histoire du XIXè siècle :: semaine 8 Second Empire et IIIè République
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Exposé : l'école, pilier de la république (1879-1885)
L'école, pilier de la République : 1879-1885
Introduction : "Entre toutes les nécessités du temps présent, entre tous les problèmes, j'en choisirai un auquel je consacrerai tout ce que j'ai d'intelligence, tout ce que j'ai d'âme, de cœur, de puissance physique et morale, c'est le problème de l'éducation du peuple". Cette phrase de Jules Ferry, ministre de l'instruction publique à trois reprises entre 1879 et 1883 marque l'importance donnée à l'éducation et à l'école par la IIIème république et son personnel politique. Les hommes de la IIIème république vont ainsi dans le sens déjà amorcé par Condorcet durant la Révolution française, puis Guizot sous la monarchie de Juillet, d'une généralisation massive de l'instruction. La IIIème République débute en 1870 après un siècle d'instabilité politique et la succession de plusieurs types de régime. Elle doit donc trouver un moyen de s'affirmer et de s'installer définitivement en France, à la fois de manière institutionnelle et dans les esprits des français. L'école va devenir le pilier de cette affirmation du régime, notamment sous l'impulsion de Jules Ferry. Pour lui, l'instruction est "subordonnée à l'urgence d'unité sociale et politique". La IIIème république naissante souhaite faire jouer un rôle prépondérant à l'enseignement scolaire qui doit devenir l'instrument du nouveau régime, pérenniser la République et transmettre les valeurs républicaines à des enfants de divers milieux sociaux. Dans ce sens, il fait voter trois lois qui constitue encore aujourd'hui la base du système scolaire française : l'école devient gratuite, obligatoire et laïque avec les lois du 16 juin 1881 et du 28 mars 1882. L'école doit devenir un véritable creuset de la République, inculquer des idéaux communs et favoriser l'unité.
→ Dans quelle mesure l'école, entre 1879 et 1885, est elle à la fois l'instrument et le support de l'installation et la pérennisation de la République ?
Nous verrons dans une première partie que l'école est un moyen de diffusion des idéaux de la République. Puis, nous verrons que la laïcisation de l'enseignement contribue à la prééminence des valeurs de la République sur la morale religieuse. Enfin, nous montrerons comment l'obligation et la gratuité ont servi l'objectif républicain de démocratisation et de massification de l'enseignement et de diffusion d'une conscience patriotique et citoyenne.
I. Une école au service des idéaux de la République
A. La devise républicaine au centre du système scolaire
→ La volonté de Jules Ferry est avant tout d'en finir avec les révolutions et de stabiliser la République. L'école devient un instrument politique et l'éducation scolaire est au cœur de ce projet afin d'enraciner les idéaux républicains. Les lois de Jules Ferry visent à créer une communauté d'individus soudés par les valeurs républicaines. Tous les matins, les écoliers sont accueillis par le drapeau tricolore de la république et chantent la Marseillaise. L'exaltation des symboles républicains est donc au cœur du dispositif scolaire. Les mauvais élèves sont sévèrement punis (bonnets d'âne et mise au coin) dans le but d'inculquer une morale aux jeunes citoyens. L'école de Ferry développe la reconnaissance du mérite et de l'égalité entre les individus telle qu'elle est promue par la devise républicaine.
→ Les jeunes français apprennent très vite leurs futurs droits et devoirs de citoyens de la République et la liberté dont ils disposent en rupture avec le conservatisme. Pour Ferry, "l'éducation du peuple est la condition essentielle de la liberté". Par ailleurs, l'école de la République permet de "républicaniser" progressivement les campagnes qui étaient encore largement monarchistes. L'école diffuse une culture et des valeurs communes de manière à souder les campagnes à la "grande patrie" dans un esprit républicain de fraternité. Les enfants apprennent notamment la géographie de manière très rigoureuse (obligation de connaître par cœur tous les départements) et l'histoire de France. Ferry est en effet convaincu que la conscience nationale passe par une prise de conscience par les enfants de leur appartenance à la nation. Même si les identités locales sont respectées, l'éducation scolaire cherche à "nationaliser les campagnes" pour que les ruraux se considèrent comme citoyens français d'une République une et indivisible.
→ Le patriotisme est également au cœur du dispositif scolaire et cherche à renforcer le lien entre république et nation. Suite au traumatisme de la défaite de 1871, la France cherche à reconquérir sa place de puissance européenne pour une éventuelle revanche. L'identité nationale se construit donc chez les jeunes français grâce à un sentiment commun d'originalité du peuple français par rapport à ses voisins. L'école cherche à favoriser le développement de valeurs communes pour faire des jeunes citoyens de futurs défenseurs de la patrie. L'école puis la conscription est des instruments essentiels pour cet objectif. Ainsi, dans de nombreuses classes d'écoles primaires, les instituteurs cachent l'Alsace et la Lorraine par un tissu noir en signe de deuil pour ces territoires "injustement volés à la République". Les manuels prennent une grande importance comme "Le Tour de France par deux enfants", bible du sentiment national, qui racontent l'histoire de deux garçons habitant une zone occupée en Lorraine qui cherchent à rejoindre leur oncle à Marseille et entament un tour de France. Dans chaque région, ils admirent les richesses de la France et apprennent leurs vertus républicaines.
B. La promotion de la citoyenneté et de la nation par l'école
→ L'organisation de l'école et les enseignements sont rationalisés de manière à servir la république et à en être le pilier. La science et le progrès sont au cœur de l'enseignement avec notamment le culte du positivisme dont Ferry est un fervent défenseur. L'organisation scolaire est hiérarchisée : les professeurs agrégés et docteurs forment les maitre des écoles normales supérieures et les professeurs de lycées qui vont former les professeurs du secondaire, qui forment à leur tour les instituteurs de primaire. Ce schéma est fondé sur l'idéal républicain de l'accès à la formation pour tous. Il établit également les commissions scolaires communales (composées d'un inspecteur primaire, du maire, d'un délégué cantonale et de membres désignés par le conseil municipal).Les instituteurs occupent une place essentielle dans le dispositif républicain. Surnommés les "hussards noirs de la République" par Charles Péguy en raison de leur uniforme sombre, ils ont la tâche fondamentale d'apprendre la morale républicaine aux enfants, de leur donner les connaissance nécessaires pour être de bons citoyens. L'enseignant n'est plus un simple maître d'école mais réellement un éducateur qui établit une nouvelle relation pédagogique.
→ Les bâtiments de type Mairie-école deviennent un symbole de la République. La devise républicaine y est systématiquement gravée au dessus de l'entrée principale et le drapeau tricolore bien visible. Un certain nombre de rituels s'inscrivent dans la tradition républicaine et y resteront pendant longtemps : la rentrée des classes le 1er octobre après les récoltes, la fin des classes le 14 juillet ou encore le jeudi libre.
→ Les lois scolaires de Jules Ferry sont accompagnées d'autres lois républicaines votées à la même époque instaurant un système de libertés essentielles. Ferry laïcise et professionnalise le conseil supérieur de l'instruction publique dont la mission est de préparer des projets de lois et décrets en matière d'enseignement : il vise l'unité de l'école républicaine. Les dépenses pour l'éducation deviennent très importantes et on entame notamment en 1883 la construction de 20 000 écoles primaires. Parallèlement, des lois sur la liberté de la presse (juillet 1881), la liberté de réunion (juillet 1881), la liberté syndicale (1884), sont votées et accompagnent l'œuvre scolaire de Jules Ferry.
II. LA LAICITÉ DE L’ÉCOLE, FER DE LANCE DE LA RÉPUBLIQUE
Pour arriver à cette conception unitaire de l’école de la république, jules ferry ne voit qu’un moyen : stopper l’influence de l’église sur la société à commencer sur l’école, qui exerce une véritable tutorat moral sur les jeunes français. L’œuvre scolaire est donc inséparable de la lutte contre l’influence du clergé sur la société.
A. Une école laïque pour libérer les individus de la tutelle de l'Eglise
→ Le 23 avril 1879, alors ministre de l’instruction publique, Ferry donne un discours à Epinal pour exposer les limites de la liberté à l’enseignement parlant pour certains établissements de comportement contre révolutionnaire. En effet, son projet de laïcisation de l’école répond aux idéaux de la révolution française. Selon lui, « la révolution française s’est déclarée indépendante de toute hypothèse transcendantale, supérieure à toute foi mystique, elle professe une morale sans culte »
La laïcisation commence d’abord le 4 février 1879 lorsqu’il modifie la composition du Conseil supérieur de l’Instruction publique, en éliminant les ecclésiastiques. Ces mesures sont suivies de la laïcité des programmes scolaires, qui fait l’objet d’une loi le 28 mars 1882, après deux années de débats parlementaires.
→ Ainsi, à partir de 1882, l’instruction religieuse n’est plus obligatoire, mais elle est remplacée dans le programme pour une « instruction morale et civique ». D’autres interdictions s’ajoutent ensuite : le crucifix est retiré des salles de classes, et la loi interdit les autorités de l’Eglise d’inspecter les écoles. Jules ferry applique les principes d’une République qui refuse qu’on la soumette à une autorité, et s’inscrit dans le cadre de l’instauration des libertés par le biais de l’école. Hostile au régime, il faut priver l’Eglise de ses moyens d’influence et en particulier l'éducation. Selon ces objectifs, Jules Ferry énonce les bases d’une morale qu’il veut être à la base de la société: « C’est [la morale] la bonne, la vieille morale de nos pères, la nôtre, la vôtre, car nous n’en avons qu’une ».
→ La vision républicaine de l’école est inspirée des philosophes des lumières et des rationalistes du milieu du XIXème siècle, l’enseignement se doit d’être neutre, et moderne. En effet la laïcité constitue la rupture avec l’enseignement clérical. Elle n’est pas seulement un combat contre l’Eglise, mais aussi contre l’anti modernisme. Jules Ferry est positiviste, ainsi le progrès des sociétés se fait par la diffusion de la science, et il faut remplacer l’influence de l’Eglise par un enseignement d’Etat à visée scientifique. Par la laïcisation de l’école, Jules Ferry met en avant l’idée de modernité, “ il ne faut pas s’isoler du mouvement scientifique européen » dit il « il faut considérer que si nous restions en deca de tout ce qui se constitue a coté de nous ( hollande, Angleterre, Genève), nous montrerions une timidité qui n’est pas dans les habitudes de l ‘esprit français, » Le combat se fait aussi contre les héritiers du jacobinisme et les socialistes, considérés comme les alliés naturels de la droite cléricale. Face à ce chaos d’alliance d’idéologies, seule l’école laïque peut offrir la possibilité de penser par soi-même, et d’œuvrer pour le bien commun.
B. Une école laïque mais pas antireligieuse
En effet , « oui nous avons voulu la lutte anticléricale, mais la lutte antireligieuse, jamais, jamais » avait déclaré Jules Ferry le 10 juin 1881.
→ Le 30 Octobre 1886, Paul Bert, anticléricaliste convaincu, met au point la loi Goblet qui vise à laïciser le personnel des écoles publiques ; il se prononce même en faveur d’une éradication complète de toute mention de Dieu dans les manuels scolaires. Cette loi prévoyait également la disparition totale du personnel congrégationniste dans les écoles de garçons et de filles. Cependant, Jules Ferry n’est pas aussi radical que Paul Bert, et préfère, lui, se tenir à une construction plus progressive de la laïcité. Ainsi, l’enseignement privé est maintenu et demeure le domaine de la bourgeoisie. Malgré les nouvelles institutions dont se dote la France, la loi Goblet et la suppression des financements publics pour le privé, l’enseignement privé subsiste et écoles républicaines et école privée continuent de coexister.
→ Ce refus d’un enseignement religieux n’est donc pas forcément synonyme d’anticléricalisme intolérant. Ainsi, le jeudi est décrété jour de congé afin de laisser la possibilité de suivre une instruction religieuse, mais à l’extérieur des locaux scolaires. De plus, les devoirs envers Dieu sont maintenus dans les programmes de morale de 1882. En ce sens, la morale républicaine rejoint la morale chrétienne puisqu’elles enseignent les mêmes valeurs, à savoir le “ triomphe définitif du bien sur le mal” (Jules Ferry), la morale républicaine faisant ici allusion à l’irréductibilité de la loi sur le droit.
→ Le 15 mars 1879, Jules Ferry dépose un projet de loi visant à exclure de l’enseignement les membres des congrégations non autorisées (article 7). Cette interdiction, visant notamment les Jésuites, se concrétise durant les années 1880-1885. Ces mesures sont une réaction à la loi Falloux, votée trente ans plus tôt, qui accordait aux congrégations une liberté totale d'enseignement. Pourtant, ces congrégations réapparaissent peu à peu et connaissent même une forte croissance entre 1885 et 1904 : la religion a toujours fait partie de la vie sociale et culturelle des élèves, notamment dans les villages, et c’est donc naturellement qu’ils reçoivent un enseignement porté par un maitre congréganiste.
Ainsi, l’Eglise constitue une véritable gêne pour la République qui elle met en avant l’autonomie de la pensée et de la morale, mais elle conserve tout de même une influence non négligeable.
III. L'école gratuite et obligatoire pour tous : un objectif républicain de démocratisation
A. Des lois essentielles et une modification de l'enseignement
→ Jules Ferry est également à l'origine de deux lois fondamentales pour l'amélioration de l'accès à l'enseignement sous la IIIème République. La première est la loi du 16 juin 1881 qui rend l'enseignement primaire public gratuit et permet donc en théorie aux enfants de tous les milieux d'y accéder. La seconde est la loi du 28 mars 1882 qui rend l'école obligatoire pour les garçons et filles âgés de 6 à 13 ans. Ferry s'inspire ainsi des idées de Condorcet qui disait en 1792 que "l'instruction doit être universelle, doit s'étendre à tous les citoyens, doit embrasser le système tout entier des connaissances humaines, et assurer aux hommes, dans tous les âges de la vie, la facilité de conserver leurs connaissances ou d'en acquérir de nouvelles".
L'enseignement primaire obligatoire est destiné à transmettre les connaissances de bases (écriture, lecture et calcul). De nouveau programmes sont également mis en place dont les contenus sont plus riches et ou l'accent est moins mis sur le par cœur. L'enseignement secondaire reste quand à lui très littéraire et fondé sur l'enseignement du latin jusqu'au baccalauréat.
→ Les écoles maternelles sont également développées : elles sont réservées aux enfants de 2 à 6 ans et notamment ceux dont les parents travaillent à l'usine.
→ L'enseignement secondaire public pour les filles est également crée avec les lycées de jeunes filles établis par la loi Camille Sée de 1880. Ces derniers se développement et en 1900 on compte 41 lycées et 29 collèges de filles.
B. Des effets mitigés
→ La gratuité de l'enseignent rend effectivement l'école accessible au plus grand nombre. Elles sont multipliées dans les petites communes et on assiste à une alphabétisation progressive des masses. La massification de l'école entraîne également une disparition progressive des patois car l'enseignement est donné en français. Cela permet une unité plus importante au sein du pays et rend l'ascension sociale plus facile puisque chaque enfant est censé parler français en sortant du système scolaire. Cette possibilité de mobilité sociale est l'un des piliers du système méritocratique républicain. Par ailleurs, les progrès de la science enseignés à l'école font progressivement prendre conscience aux populations rurales de la nature superstitieuse de leurs croyances. On assiste ainsi à une véritable modernisation de la vie dans les campagnes.
→ Par ailleurs, le développement des manuels permet l'insertion de la littérature dans les classes populaires. Le "dictionnaire pédagogique" de Fernand Buisson par exemple constitue un ouvrage de référence de l'école républicaine qui vise à offrir des définitions accessibles à tous. On assiste au développement de la volonté de réussir par le travail et par le mérite, véritable socle de la République.
→ Néanmoins, la mobilité sociale reste partielle et la démocratisation limitée. Ainsi, malgré l'institution des lycées de jeunes filles, les femmes restent encore considérées comme inférieures et leur place n'est pas à l'école pour beaucoup. Par ailleurs, l'enseignement n'étant gratuit que jusqu'à 13 ans, la grande majorité des enfants issus des classes populaires ne dépassent pas le certificat d'étude. Le baccalauréat reste réservé à une élite bourgeoise et les études supérieures encore plus. En outre, malgré l'obligation d'aller à l'école, l'absentéisme reste fréquent dans les campagnes et un contrôle efficace de l'assiduité est difficile à mettre en place. On assiste donc à la coexistence de deux système : l'école du peuple, qui permet certes la démocratisation de l'enseignement, et l'école des élites (collèges, lycées, universités) qui favorise le maintien de la reproduction sociale. Jules Ferry démocratise l'école dans la mesure ou il la rend gratuite et obligatoire pour le peuple mais d'après l'historien Claude Lelievre, sa conception de l'égalité n'est pas celle de l'égalité des chances ou de l'égalité des conditions mais celle d'une "égalité en dignité".
Conclusion : En conclusion, l'école telle qu'elle est réformée par Jules Ferry entre 1879 et 1885, c'est à dire gratuite, obligatoire et laïque est véritablement le pilier de la République. L'objectif est d'inculquer aux élèves le patriotisme républicain, servir les intérêts de la nation et pour cela, développer une école puissante et organisée autour de l’idéal républicain. Cette objectif a été en grande partie réalisé : inculcation des valeurs républicaines et patriotiques, neutralité religieuse et autorité des savoirs grâce à la laïcité et démocratisation et généralisation de l'accès à l'école grâce à la gratuité et l'obligation. Néanmoins, d'une part cette démocratisation reste limitée et l'éducation approfondie reste le fait d'une élite, d'autre part l'école ultra-républicaine a pu favoriser une montée du nationalisme et parfois de la xénophobie (ex : Allemagne)qui ont caractérisés la société française du début du 20ème siècle.
Malgré ces limites, l'école de Ferry reste encore aujourd'hui en modèle d'intégration et d'organisation scolaire, un symbole de la république française qu'il convient de garder au cœur des actuelles réflexions sur la crise de l'école en France.
Introduction : "Entre toutes les nécessités du temps présent, entre tous les problèmes, j'en choisirai un auquel je consacrerai tout ce que j'ai d'intelligence, tout ce que j'ai d'âme, de cœur, de puissance physique et morale, c'est le problème de l'éducation du peuple". Cette phrase de Jules Ferry, ministre de l'instruction publique à trois reprises entre 1879 et 1883 marque l'importance donnée à l'éducation et à l'école par la IIIème république et son personnel politique. Les hommes de la IIIème république vont ainsi dans le sens déjà amorcé par Condorcet durant la Révolution française, puis Guizot sous la monarchie de Juillet, d'une généralisation massive de l'instruction. La IIIème République débute en 1870 après un siècle d'instabilité politique et la succession de plusieurs types de régime. Elle doit donc trouver un moyen de s'affirmer et de s'installer définitivement en France, à la fois de manière institutionnelle et dans les esprits des français. L'école va devenir le pilier de cette affirmation du régime, notamment sous l'impulsion de Jules Ferry. Pour lui, l'instruction est "subordonnée à l'urgence d'unité sociale et politique". La IIIème république naissante souhaite faire jouer un rôle prépondérant à l'enseignement scolaire qui doit devenir l'instrument du nouveau régime, pérenniser la République et transmettre les valeurs républicaines à des enfants de divers milieux sociaux. Dans ce sens, il fait voter trois lois qui constitue encore aujourd'hui la base du système scolaire française : l'école devient gratuite, obligatoire et laïque avec les lois du 16 juin 1881 et du 28 mars 1882. L'école doit devenir un véritable creuset de la République, inculquer des idéaux communs et favoriser l'unité.
→ Dans quelle mesure l'école, entre 1879 et 1885, est elle à la fois l'instrument et le support de l'installation et la pérennisation de la République ?
Nous verrons dans une première partie que l'école est un moyen de diffusion des idéaux de la République. Puis, nous verrons que la laïcisation de l'enseignement contribue à la prééminence des valeurs de la République sur la morale religieuse. Enfin, nous montrerons comment l'obligation et la gratuité ont servi l'objectif républicain de démocratisation et de massification de l'enseignement et de diffusion d'une conscience patriotique et citoyenne.
I. Une école au service des idéaux de la République
A. La devise républicaine au centre du système scolaire
→ La volonté de Jules Ferry est avant tout d'en finir avec les révolutions et de stabiliser la République. L'école devient un instrument politique et l'éducation scolaire est au cœur de ce projet afin d'enraciner les idéaux républicains. Les lois de Jules Ferry visent à créer une communauté d'individus soudés par les valeurs républicaines. Tous les matins, les écoliers sont accueillis par le drapeau tricolore de la république et chantent la Marseillaise. L'exaltation des symboles républicains est donc au cœur du dispositif scolaire. Les mauvais élèves sont sévèrement punis (bonnets d'âne et mise au coin) dans le but d'inculquer une morale aux jeunes citoyens. L'école de Ferry développe la reconnaissance du mérite et de l'égalité entre les individus telle qu'elle est promue par la devise républicaine.
→ Les jeunes français apprennent très vite leurs futurs droits et devoirs de citoyens de la République et la liberté dont ils disposent en rupture avec le conservatisme. Pour Ferry, "l'éducation du peuple est la condition essentielle de la liberté". Par ailleurs, l'école de la République permet de "républicaniser" progressivement les campagnes qui étaient encore largement monarchistes. L'école diffuse une culture et des valeurs communes de manière à souder les campagnes à la "grande patrie" dans un esprit républicain de fraternité. Les enfants apprennent notamment la géographie de manière très rigoureuse (obligation de connaître par cœur tous les départements) et l'histoire de France. Ferry est en effet convaincu que la conscience nationale passe par une prise de conscience par les enfants de leur appartenance à la nation. Même si les identités locales sont respectées, l'éducation scolaire cherche à "nationaliser les campagnes" pour que les ruraux se considèrent comme citoyens français d'une République une et indivisible.
→ Le patriotisme est également au cœur du dispositif scolaire et cherche à renforcer le lien entre république et nation. Suite au traumatisme de la défaite de 1871, la France cherche à reconquérir sa place de puissance européenne pour une éventuelle revanche. L'identité nationale se construit donc chez les jeunes français grâce à un sentiment commun d'originalité du peuple français par rapport à ses voisins. L'école cherche à favoriser le développement de valeurs communes pour faire des jeunes citoyens de futurs défenseurs de la patrie. L'école puis la conscription est des instruments essentiels pour cet objectif. Ainsi, dans de nombreuses classes d'écoles primaires, les instituteurs cachent l'Alsace et la Lorraine par un tissu noir en signe de deuil pour ces territoires "injustement volés à la République". Les manuels prennent une grande importance comme "Le Tour de France par deux enfants", bible du sentiment national, qui racontent l'histoire de deux garçons habitant une zone occupée en Lorraine qui cherchent à rejoindre leur oncle à Marseille et entament un tour de France. Dans chaque région, ils admirent les richesses de la France et apprennent leurs vertus républicaines.
B. La promotion de la citoyenneté et de la nation par l'école
→ L'organisation de l'école et les enseignements sont rationalisés de manière à servir la république et à en être le pilier. La science et le progrès sont au cœur de l'enseignement avec notamment le culte du positivisme dont Ferry est un fervent défenseur. L'organisation scolaire est hiérarchisée : les professeurs agrégés et docteurs forment les maitre des écoles normales supérieures et les professeurs de lycées qui vont former les professeurs du secondaire, qui forment à leur tour les instituteurs de primaire. Ce schéma est fondé sur l'idéal républicain de l'accès à la formation pour tous. Il établit également les commissions scolaires communales (composées d'un inspecteur primaire, du maire, d'un délégué cantonale et de membres désignés par le conseil municipal).Les instituteurs occupent une place essentielle dans le dispositif républicain. Surnommés les "hussards noirs de la République" par Charles Péguy en raison de leur uniforme sombre, ils ont la tâche fondamentale d'apprendre la morale républicaine aux enfants, de leur donner les connaissance nécessaires pour être de bons citoyens. L'enseignant n'est plus un simple maître d'école mais réellement un éducateur qui établit une nouvelle relation pédagogique.
→ Les bâtiments de type Mairie-école deviennent un symbole de la République. La devise républicaine y est systématiquement gravée au dessus de l'entrée principale et le drapeau tricolore bien visible. Un certain nombre de rituels s'inscrivent dans la tradition républicaine et y resteront pendant longtemps : la rentrée des classes le 1er octobre après les récoltes, la fin des classes le 14 juillet ou encore le jeudi libre.
→ Les lois scolaires de Jules Ferry sont accompagnées d'autres lois républicaines votées à la même époque instaurant un système de libertés essentielles. Ferry laïcise et professionnalise le conseil supérieur de l'instruction publique dont la mission est de préparer des projets de lois et décrets en matière d'enseignement : il vise l'unité de l'école républicaine. Les dépenses pour l'éducation deviennent très importantes et on entame notamment en 1883 la construction de 20 000 écoles primaires. Parallèlement, des lois sur la liberté de la presse (juillet 1881), la liberté de réunion (juillet 1881), la liberté syndicale (1884), sont votées et accompagnent l'œuvre scolaire de Jules Ferry.
II. LA LAICITÉ DE L’ÉCOLE, FER DE LANCE DE LA RÉPUBLIQUE
Pour arriver à cette conception unitaire de l’école de la république, jules ferry ne voit qu’un moyen : stopper l’influence de l’église sur la société à commencer sur l’école, qui exerce une véritable tutorat moral sur les jeunes français. L’œuvre scolaire est donc inséparable de la lutte contre l’influence du clergé sur la société.
A. Une école laïque pour libérer les individus de la tutelle de l'Eglise
→ Le 23 avril 1879, alors ministre de l’instruction publique, Ferry donne un discours à Epinal pour exposer les limites de la liberté à l’enseignement parlant pour certains établissements de comportement contre révolutionnaire. En effet, son projet de laïcisation de l’école répond aux idéaux de la révolution française. Selon lui, « la révolution française s’est déclarée indépendante de toute hypothèse transcendantale, supérieure à toute foi mystique, elle professe une morale sans culte »
La laïcisation commence d’abord le 4 février 1879 lorsqu’il modifie la composition du Conseil supérieur de l’Instruction publique, en éliminant les ecclésiastiques. Ces mesures sont suivies de la laïcité des programmes scolaires, qui fait l’objet d’une loi le 28 mars 1882, après deux années de débats parlementaires.
→ Ainsi, à partir de 1882, l’instruction religieuse n’est plus obligatoire, mais elle est remplacée dans le programme pour une « instruction morale et civique ». D’autres interdictions s’ajoutent ensuite : le crucifix est retiré des salles de classes, et la loi interdit les autorités de l’Eglise d’inspecter les écoles. Jules ferry applique les principes d’une République qui refuse qu’on la soumette à une autorité, et s’inscrit dans le cadre de l’instauration des libertés par le biais de l’école. Hostile au régime, il faut priver l’Eglise de ses moyens d’influence et en particulier l'éducation. Selon ces objectifs, Jules Ferry énonce les bases d’une morale qu’il veut être à la base de la société: « C’est [la morale] la bonne, la vieille morale de nos pères, la nôtre, la vôtre, car nous n’en avons qu’une ».
→ La vision républicaine de l’école est inspirée des philosophes des lumières et des rationalistes du milieu du XIXème siècle, l’enseignement se doit d’être neutre, et moderne. En effet la laïcité constitue la rupture avec l’enseignement clérical. Elle n’est pas seulement un combat contre l’Eglise, mais aussi contre l’anti modernisme. Jules Ferry est positiviste, ainsi le progrès des sociétés se fait par la diffusion de la science, et il faut remplacer l’influence de l’Eglise par un enseignement d’Etat à visée scientifique. Par la laïcisation de l’école, Jules Ferry met en avant l’idée de modernité, “ il ne faut pas s’isoler du mouvement scientifique européen » dit il « il faut considérer que si nous restions en deca de tout ce qui se constitue a coté de nous ( hollande, Angleterre, Genève), nous montrerions une timidité qui n’est pas dans les habitudes de l ‘esprit français, » Le combat se fait aussi contre les héritiers du jacobinisme et les socialistes, considérés comme les alliés naturels de la droite cléricale. Face à ce chaos d’alliance d’idéologies, seule l’école laïque peut offrir la possibilité de penser par soi-même, et d’œuvrer pour le bien commun.
B. Une école laïque mais pas antireligieuse
En effet , « oui nous avons voulu la lutte anticléricale, mais la lutte antireligieuse, jamais, jamais » avait déclaré Jules Ferry le 10 juin 1881.
→ Le 30 Octobre 1886, Paul Bert, anticléricaliste convaincu, met au point la loi Goblet qui vise à laïciser le personnel des écoles publiques ; il se prononce même en faveur d’une éradication complète de toute mention de Dieu dans les manuels scolaires. Cette loi prévoyait également la disparition totale du personnel congrégationniste dans les écoles de garçons et de filles. Cependant, Jules Ferry n’est pas aussi radical que Paul Bert, et préfère, lui, se tenir à une construction plus progressive de la laïcité. Ainsi, l’enseignement privé est maintenu et demeure le domaine de la bourgeoisie. Malgré les nouvelles institutions dont se dote la France, la loi Goblet et la suppression des financements publics pour le privé, l’enseignement privé subsiste et écoles républicaines et école privée continuent de coexister.
→ Ce refus d’un enseignement religieux n’est donc pas forcément synonyme d’anticléricalisme intolérant. Ainsi, le jeudi est décrété jour de congé afin de laisser la possibilité de suivre une instruction religieuse, mais à l’extérieur des locaux scolaires. De plus, les devoirs envers Dieu sont maintenus dans les programmes de morale de 1882. En ce sens, la morale républicaine rejoint la morale chrétienne puisqu’elles enseignent les mêmes valeurs, à savoir le “ triomphe définitif du bien sur le mal” (Jules Ferry), la morale républicaine faisant ici allusion à l’irréductibilité de la loi sur le droit.
→ Le 15 mars 1879, Jules Ferry dépose un projet de loi visant à exclure de l’enseignement les membres des congrégations non autorisées (article 7). Cette interdiction, visant notamment les Jésuites, se concrétise durant les années 1880-1885. Ces mesures sont une réaction à la loi Falloux, votée trente ans plus tôt, qui accordait aux congrégations une liberté totale d'enseignement. Pourtant, ces congrégations réapparaissent peu à peu et connaissent même une forte croissance entre 1885 et 1904 : la religion a toujours fait partie de la vie sociale et culturelle des élèves, notamment dans les villages, et c’est donc naturellement qu’ils reçoivent un enseignement porté par un maitre congréganiste.
Ainsi, l’Eglise constitue une véritable gêne pour la République qui elle met en avant l’autonomie de la pensée et de la morale, mais elle conserve tout de même une influence non négligeable.
III. L'école gratuite et obligatoire pour tous : un objectif républicain de démocratisation
A. Des lois essentielles et une modification de l'enseignement
→ Jules Ferry est également à l'origine de deux lois fondamentales pour l'amélioration de l'accès à l'enseignement sous la IIIème République. La première est la loi du 16 juin 1881 qui rend l'enseignement primaire public gratuit et permet donc en théorie aux enfants de tous les milieux d'y accéder. La seconde est la loi du 28 mars 1882 qui rend l'école obligatoire pour les garçons et filles âgés de 6 à 13 ans. Ferry s'inspire ainsi des idées de Condorcet qui disait en 1792 que "l'instruction doit être universelle, doit s'étendre à tous les citoyens, doit embrasser le système tout entier des connaissances humaines, et assurer aux hommes, dans tous les âges de la vie, la facilité de conserver leurs connaissances ou d'en acquérir de nouvelles".
L'enseignement primaire obligatoire est destiné à transmettre les connaissances de bases (écriture, lecture et calcul). De nouveau programmes sont également mis en place dont les contenus sont plus riches et ou l'accent est moins mis sur le par cœur. L'enseignement secondaire reste quand à lui très littéraire et fondé sur l'enseignement du latin jusqu'au baccalauréat.
→ Les écoles maternelles sont également développées : elles sont réservées aux enfants de 2 à 6 ans et notamment ceux dont les parents travaillent à l'usine.
→ L'enseignement secondaire public pour les filles est également crée avec les lycées de jeunes filles établis par la loi Camille Sée de 1880. Ces derniers se développement et en 1900 on compte 41 lycées et 29 collèges de filles.
B. Des effets mitigés
→ La gratuité de l'enseignent rend effectivement l'école accessible au plus grand nombre. Elles sont multipliées dans les petites communes et on assiste à une alphabétisation progressive des masses. La massification de l'école entraîne également une disparition progressive des patois car l'enseignement est donné en français. Cela permet une unité plus importante au sein du pays et rend l'ascension sociale plus facile puisque chaque enfant est censé parler français en sortant du système scolaire. Cette possibilité de mobilité sociale est l'un des piliers du système méritocratique républicain. Par ailleurs, les progrès de la science enseignés à l'école font progressivement prendre conscience aux populations rurales de la nature superstitieuse de leurs croyances. On assiste ainsi à une véritable modernisation de la vie dans les campagnes.
→ Par ailleurs, le développement des manuels permet l'insertion de la littérature dans les classes populaires. Le "dictionnaire pédagogique" de Fernand Buisson par exemple constitue un ouvrage de référence de l'école républicaine qui vise à offrir des définitions accessibles à tous. On assiste au développement de la volonté de réussir par le travail et par le mérite, véritable socle de la République.
→ Néanmoins, la mobilité sociale reste partielle et la démocratisation limitée. Ainsi, malgré l'institution des lycées de jeunes filles, les femmes restent encore considérées comme inférieures et leur place n'est pas à l'école pour beaucoup. Par ailleurs, l'enseignement n'étant gratuit que jusqu'à 13 ans, la grande majorité des enfants issus des classes populaires ne dépassent pas le certificat d'étude. Le baccalauréat reste réservé à une élite bourgeoise et les études supérieures encore plus. En outre, malgré l'obligation d'aller à l'école, l'absentéisme reste fréquent dans les campagnes et un contrôle efficace de l'assiduité est difficile à mettre en place. On assiste donc à la coexistence de deux système : l'école du peuple, qui permet certes la démocratisation de l'enseignement, et l'école des élites (collèges, lycées, universités) qui favorise le maintien de la reproduction sociale. Jules Ferry démocratise l'école dans la mesure ou il la rend gratuite et obligatoire pour le peuple mais d'après l'historien Claude Lelievre, sa conception de l'égalité n'est pas celle de l'égalité des chances ou de l'égalité des conditions mais celle d'une "égalité en dignité".
Conclusion : En conclusion, l'école telle qu'elle est réformée par Jules Ferry entre 1879 et 1885, c'est à dire gratuite, obligatoire et laïque est véritablement le pilier de la République. L'objectif est d'inculquer aux élèves le patriotisme républicain, servir les intérêts de la nation et pour cela, développer une école puissante et organisée autour de l’idéal républicain. Cette objectif a été en grande partie réalisé : inculcation des valeurs républicaines et patriotiques, neutralité religieuse et autorité des savoirs grâce à la laïcité et démocratisation et généralisation de l'accès à l'école grâce à la gratuité et l'obligation. Néanmoins, d'une part cette démocratisation reste limitée et l'éducation approfondie reste le fait d'une élite, d'autre part l'école ultra-républicaine a pu favoriser une montée du nationalisme et parfois de la xénophobie (ex : Allemagne)qui ont caractérisés la société française du début du 20ème siècle.
Malgré ces limites, l'école de Ferry reste encore aujourd'hui en modèle d'intégration et d'organisation scolaire, un symbole de la république française qu'il convient de garder au cœur des actuelles réflexions sur la crise de l'école en France.
zefazef- Invité
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