Chanet number 9
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Chanet number 9
Cours 9 : Les Amériques à l’âge des guerres nationales
Introduction
Construction d’une histoire qui a consacré la puissance dominante, au point de lui réserver le nom de l’Amérique, (au singulier) et qui, pour cette raison même, a fait paraître aux autres américains, l’idée de l’unité du continent du Nord au Sud, artificielle, voire suspecte.
Lewis Hanke : « Tienen las américas una historia comun ? » Ce livre témoigne d’une défiance à l’égard d’un panaméricanisme où l’association du puissant et du faible ne servirait qu’à renforcer encore la domination de l’un sur l’autre.
Chanson de 1973 du canadien Felix Leclerc : “My neighbour is rich” : Il déplore la difficulté de communiquer avec son voisin géant : “ difficult it is to talk to him, he is so tall /that even with the ladder I cannot rich his ears”. Ce déséquilibre ne résulte pas d’un déterminisme, même si la géographie physique a pesé sur les conditions d’occupation de l’espace et de l’exploitation du milieu naturel. Ce déséquilibre est le résultat d’une évolution historique qui a connu au 19ème siècle une étape décisive. C’est à cela qu’on réfléchira aujourd’hui.
L’idée de l’unité du continent américain tient à quelques données fondamentales communes :
La colonisation par des peuples européens tournés vers l’Atlantique (Anglais, Français, Espagnols et Portugais) d’où découle un peuplement pluriethnique :
Des autochtones auxquels du Nord au Sud, reste attaché un même nom, celui d’Indien ou Amérindien. (Cela rappelle la quête initiale des Européens). Ces indiens ont été confrontés à un peuplement venu de l’extérieur et dans ce peuplement, il faut distinguer plusieurs catégories et plusieurs origines :
Des migrants européens dont le nombre s’accroit et dont la provenance change au cours du 19ème siècle,
Les descendants de colons qui ont fait souche (appelés « créoles » dans l’espace inter tropical),
Les noirs transportés d’Afrique comme esclaves,
Les métis.
De ces données communes, résulte un même ensemble de problèmes :
L’accession à l’indépendance, obtenue contre une mère patrie coloniale, parce qu’elle se produit au moment et sous l’influence de l’affirmation de principes politiques où la liberté individuelle occupe une place essentielle, ouvre du Nord au Sud, un processus complexe, à la fois de transformations institutionnelles et d’unification nationale. Processus non seulement complexe, mais conflictuel, compte tenu du risque de contradiction entre la volonté d’assoir l’ordre nouveau sur des principes égalitaires et la volonté de maintenir une organisation sociale inégalitaire.
Le plan vise à montrer les grandes étapes chronologiques et les enjeux thématiques de cette histoire marquée par des données communes. D’abord l’accession à l’indépendance qui fait prévaloir partout la forme républicaine de gouvernement (même si celle-ci est plus souvent nominale que réelle) puis l’inversion du rapport entre affirmation nationale et accession à l’indépendance. La 2nde ayant été longtemps considérée comme la conséquence de la 1ère alors qu’aujourd’hui, on a tendance à inverser cet ordre. (Même dans le cas des EU où la guerre de Sécession est pour la Nation un acte de naissance plutôt qu’une crise de croissance. L’historien Richard Bensel est même allé dans Yankee Leviathan jusqu’à suggérer que l’étude de l’histoire des EU devrait commencer en 1865, à la fin de la guerre de Sécession, plutôt qu’avec la constitution de 1787). En conclusion, on verra que la reconstruction de l’unité des EU est un temps de gestation de leur impérialisme. La modernisation des économies et des sociétés en Amérique latine reflète l’ascendant irrésistible que prennent alors les Yankees.
I) La voie hispano-américaine vers l’indépendance
(Pour les EU eux-mêmes, voir cours 1)
A) Contrastes Nord-Sud
1) Etat-Unis
En Amérique du Nord, la période révolutionnaire laisse les jeunes Etats-Unis face à l’ancienne mère patrie britannique dont la présence s’est renforcée au Canada et face à un double défi : l’expansion vers l’Ouest et la création de nouveaux états dans le cadre fédéral de l’Union. Des arrangements successifs avec la Grande Bretagne entre 1818 et 1846, fixent sur le 49ème parallèle la frontière avec le Canada, qui devient la plus longue frontière du monde avec l’acquisition en 1867 de l’Alaska, acheté par les EU à la Russie. Cette même année, est formée après négociation avec le gouvernement de Londres et son approbation, la confédération du Canada. Confédération ne signifie pas indépendance.
2) Canada
Le terme de « Dominion » apparait à cette occasion et il désigne un statut intermédiaire où l’état fédéral canadien reste pour sa politique extérieure membre de l’empire britannique (du Commonwealth). Ce dominion du Canada, formé initialement de 3 provinces, dont celle du Canada proprement dit qui se divise en 2, (Nouvelle Ecosse, Nouveau Brunswick et Canada séparé en Québec et Ontario), n’occupe qu’une petite partie du Canada actuel. Ce n’est qu’en 1831, avec le statut de Westminster que cette partie devient indépendante.
Le plus important, au début du 19ème siècle, c’est l’achat à la France (sous Bonaparte), de la Louisiane (Ne pas confondre La Louisiane que la France vend aux EU et l’état de Louisiane qui est seulement une partie du territoire de la grande Louisiane). Pour les indiens, cet achat n’annonçait rien de bon. Dans le rapport de cette acquisition (rédigé à la demande du président Jefferson), les indiens sont considérés « comme un grand obstacle au commerce et à la navigation ». Les pionniers de l’Ouest eux se réjouissent de cette acquisition, ainsi que les propriétaires d’esclaves qui allaient pouvoir étendre leur système. La Louisiane, au sens étroit du 18ème état admis dans l’Union, est créée en 1812. Au-delà, il y a des territoires immenses, (à peu prés le tiers de la surface totale des EU d’aujourd’hui, soit 4 fois la France), qui constituent pour l’avenir de l’Union un atout considérable. Bientôt, un terme nouveau va s’imposer, celui de « Far West » pour désigner ces terres, objets de grandes espérances.
En 1810, 14% des américains (qui sont alors 7 200 000, dont plus d’1 million d’esclaves) vivent à l’Ouest des Appalaches. En 1820, ils sont déjà 23% (la population est alors de 9 600 000, dont 1,5 millions d’esclaves)
3) Mexique
Du Mexique à la terre de Feu, les étendues vierges ne manquent pas non plus, mais les conditions de leur conquête diffèrent. Dans cet espace où les pays colonisateurs ont été l’Espagne et le Portugal, le problème du rapport à la métropole le scénario de la rupture avec elle, ne se pose pas dans les mêmes termes. L’accession des colonies à l’indépendance n’aboutit pas à la mise en place d’une entité fédérale unique, mais à un morcellement qui s’accompagne d’une prolongation de la lutte initiale dans des conflits à la fois internes et interétatiques.
4) Lumières et Amériques
Alors que les pères fondateurs des EU ont tiré de la philosophie des Lumières et des institutions anglaises les principes et les institutions qui leur ont permis de concilier la stabilisation d’un état délibérément réduit dans ses attributions et le maintien des inégalités propres à la société coloniale, de la partie centrale à la partie australe du continent, les Lumières, médiatisées par les élites lettrées espagnoles et portugaises, ont donné lieu à d’autres traductions politiques. Cette question de l’influence des Lumières reste investie d’une forte charge idéologique. Il faut examiner le problème du coté démographique.
5) Démographie
A la fin du 18ème siècle, la population de l’Amérique espagnole est estimée à 15 millions de personnes réparties en :
Indiens : 6 925 000 (45%)
Blancs : 3 057 193 (20%)
Noirs : 1 189 000 (8%)
Métis : 4 087 290 (27%)
Total pour l’Amérique espagnole : 15 288 483
Il faut ajouter les 3 500 000 habitants de l’Amérique portugaise, dont 1 500 000 esclaves.
Cette répartition n’est pas uniforme. Si l’on constate une tendance à la diminution de la part des indigènes, (sous l’effet du métissage qui s’est accru au cours du siècle) on observe aussi une densité inégale du peuplement amérindien : Les 2 plus grands noyaux se trouvaient dans des conditions comparables de relief et de climat de part et d’autre de l’équateur (Au Nord de Mexico et autour de Cuzco dans les Andes). Si on compare cette population avec celle des 13 colonies anglaises qui ont fondé les 1ers états de l’Union : sur 3 230 000 habitants, 700 000 noirs (22%), moins de 100 000 indiens (3%), soit 75% de blancs. De la Nouvelle Angleterre à la Géorgie, la population blanche, nettement majoritaire se concentre dans un espace bien délimité et culturellement assez homogène pour que la diffusion des Lumières y ait rencontré et nourri la formation d’une opinion publique assurée de sa domination sociale. De la vice royauté de la Nouvelle Espagne (c'est-à-dire le Mexique actuel) à celle du Rio de La Plata (c'est-à-dire l’Argentine actuelle), la population blanche est globalement minoritaire et disséminée sur un espace immense. Alors, bien sûr, la langue, la religion (catholique), la culture politique des élites, sont des facteurs d’unité non négligeables, mais dans l’explication du retournement contre la métropole, la diffusion préalable de l’imprimé a moins de poids que l’obligation de se déterminer pour ou contre, à partir du moment où la métropole est menacée par l’invasion Napoléonienne. Si la phase finale du processus qui les a menées à l’indépendance, au Nord, doit beaucoup aux suites territoriales et fiscales de la guerre de 7 ans, (dont la Grande Bretagne est sortie renforcée, voir cours 1), dans le cas de l’Amérique latine, ce n’est pas le renforcement de la métropole mais au contraire son affaiblissement qui accélère le processus.
B) Un processus lié à l’occupation de la péninsule ibérique
1) Un double mythe :
(Construit par la tradition historiographique nationaliste)
La marche à l’indépendance aurait été déterminée par la préexistence d’un sentiment national dont elle aurait constitué l’aboutissement naturel.
Elle aurait répondu à une sorte de projet unanime de faire bénéficier les colonies de l’Amérique espagnole des bienfaits de la Révolution française contre la tyrannie du roi d’Espagne.
En réalité, c’est par accident, de façon imprévue, que les pays d’Amérique latine en sont venus à l’indépendance.
Le souhait qui s’y est d’abord exprimé était de répondre à
2) La crise de l’empire espagnol
A partir de 1808. Napoléon veut imposer son frère Joseph comme roi d’Espagne. Il fait venir à Bayonne les rois Bourbons Charles IV et son fils Ferdinand VII, les fait abdiquer. Dans le vide ainsi créé en Espagne, se fait une recomposition complexe des forces politiques. Du coté de la résistance, on trouve les forces contre révolutionnaires, l’église catholique en tête, attachées au souverain légitime. Du coté de la collaboration avec les français, on trouve les « afrancesados », espagnols progressistes, pour qui les français peuvent être utiles pour introduire la législation issue de la Révolution. Mais on trouve aussi contre les occupants français des patriotes libéraux. Pour les américains, le roi est prisonnier de Napoléon, il importe de doter le pays d’une nouvelle autorité politique capable de diriger la lutte. C’est la même priorité qu’en métropole. Et cet effort commence ici et là sur une base locale. On voit se constituer d’abord des juntes (« juntas » signifie « réunies ») autonomes dans les grandes villes, puis une junte centrale en Espagne qui s’installe à Séville car les français occupent la route de Madrid et c’est à Cadix (port atlantique) que s’installe l’assemblée parlementaire issue de ce processus de recomposition.
Entre les 2 étapes (junte centrale, assemblée), il y a la désignation d’un Conseil de Régence (Consejo de regencia de Espana e indias) de 5 membres, dont un représente l’empire. Ce conseil est chargé d’organiser la réunion de Cortés constituantes à Cadix. Dés sa réunion, le 24 septembre 1810, cette assemblée adopte les formes modernes de la représentation politique en s’inspirant de l’assemblée constituante française de 1789 issue des Etats Généraux.
Le paradoxe, c’est que l’absolutisme ait été aboli au nom du monarque déchu, que l’adoption d’une constitution libérale, fondée sur la souveraineté du peuple, ait d’abord visé à rétablir une instance légitime espagnole de gouvernement en l’absence du roi. C’est parce que ces patriotes espagnols ne reconnaissent pas la légitimité de Joseph Bonaparte, qu’au nom du roi Ferdinand VII (en lui imposant un choix qui n’est pas le sien !), dans un souci de légitimité sinon politique du moins dynastique, on décide d’établir des institutions libérales. Imaginez l’effet produit en Amérique ! C’est cette ligne de conduite qui détermine les positions prises dans l’empire : les créoles des principales cités à leur tour forment des juntes en 1810 et, non pas pour se séparer de l’Espagne, mais pour s’opposer aux effets d’une victoire des français en cas de conquête de l’Andalousie, car on ne sait pas comment la guerre va tourner. Les français avancent, mettent le siège à Cadix. Donc il s’agit de prendre une décision conservatoire. François Xavier Guerra et Richard Hocquellet ont montré que c’est la résistance en métropole et non pas la révolte dans l’empire d’Amérique qui a ouvert la voie de la modernité politique, afin de lutter contre Napoléon et non pas afin d’émanciper les colonies. C’est pour sauver la composante américaine de la monarchie espagnole et non pour l’affranchir que se constituent les juntes de 1810, à l’annonce de la dispersion de la junte centrale de Séville et du siège de Cadix. Dans ce but, est réactivée la fiction légitimatrice au nom de laquelle les municipalités (pueblos), organes représentatifs locaux, cellules mères de la souveraineté monarchique, vont produire une nouvelle souveraineté, nationale. On réactive une tradition (une fiction), et on va en produire une autre, à laquelle il va falloir donner un contenu, celui de la Nation.
C) Choix paradoxal de la modernité politique
Benedetto Croce en 1832, s’étonne que la médiation espagnole ait donné son nom à la modernité politique venue des EU et de France.
Le mot « libéral » a d’abord été employé par les constituants de Cadix, dans le sens qu’il va prendre, aussi bien en anglais qu’en français. Dans l’Espagne de 1810, comme dans la France de 1789, la question cruciale, celle qui permet de comprendre le tour qu’à partir de cette situation imprévisible créée par l’occupation Napoléonienne, va prendre le processus d’émancipation, est celle de savoir si la Nation doit être représentée par des états (comme les états généraux, par des corps d’ancien régime) ou par les élus du peuple, nouveau détenteur de la souveraineté. C’est de la réponse donnée à cette question pour les colonies américaines que découle la rapide dégradation des relations entre l’Espagne et ses possessions américaines. La source de la discorde est comparable à celle qui a conduit à l’indépendance des colonies britanniques dans la mesure où elle résulte du problème de la représentation politique de l’Amérique dans les institutions en cours de construction en Espagne.
1) Question de représentation
En janvier 1809, la junte centrale considère que l’Amérique devrait à l’avenir se contenter d’un mandataire par vice-royauté ou capitainerie générale
Voilà quelle était la structure de cet empire : Vice royauté de Nouvelle Espagne (Mexique), Capitainerie générale du Guatemala (devenue plusieurs petits états d’Amérique centrale), Vice royauté de Nouvelle Grenade (Colombie, Equateur), Capitainerie générale du Venezuela, Vice royauté du Pérou, Vice royauté du Rio de La Plata y compris le Paraguay, la Bolivie et l’Uruguay futur, et Capitainerie générale du Chili qui n’occupait qu’une partie du territoire actuel. Pour TOUT CELA, 1 représentant par entité, alors que pour l’Espagne, on prévoit une représentation en proportion de la population. Problème comparable à celui de la revendication du Tiers-Etat dans les états généraux, au commencement de la Révolution française.
En janvier 1810, quand on fixe les règles en vue de l’élection des Cortès, on prévoit dans la péninsule 1 député pour 50 000 habitants. Et dans l’empire des Indes, seules les villes principales sont appelées à désigner les représentants de chaque province. Voir ci-dessus. A partir de là, les choses vont vite, les cités américaines revendiquent une plus grande autonomie, toujours dans le cadre de la monarchie, par le biais des juntes qui se sont formées sur le modèle péninsulaire.
2) Point de vue espagnol
Ces juntes (celles de Caracas, Bogota, Mexico, Lima) se proclament d’ailleurs conservatrices des droits de Ferdinand VII. Les 2 premières accusent les cortès de trahir Ferdinand VII au profit de Napoléon. Le 1er attachement qui s’exprime est, c’est logique, celui de l’appartenance locale. Les groupes qui se forment se désignent d’abord comme des habitants de leur cité d’origine : Caraquenos pour ceux de Caracas, Portenos pour ceux de Buenos Aires. Mais dés lors que les dirigeants espagnols ne reconnaissent pas la légitimité des revendications et des initiatives (à leurs yeux désormais séparatistes) auxquelles elles donnent lieu, le clivage se produit très vite entre des loyalistes et d’autres qui, du coup, deviennent partisans de l’indépendance. C’est ce qui suscite l’adoption d’un vocabulaire national.
Dés 1812, les troupes du roi (la présence de l’armée reste le 1er élément de maintien de l’autorité de l’Espagne) ont face à elles des patriotes qui vont s’armer aussi.
3) Rôle de Simon Bolivar
En 1813, celui qu’on appelle « El libertador », proclame la guerre sans merci contre les espagnols.
Il a avec lui des hommes qui se désignent comme américains et même bientôt comme colombiens et même très vite comme républicains et comme des royalistes. Ce clivage s’est produit dans le mouvement, il ne préexistait pas. C’est la crise et ses étapes successives qui provoquent cette décantation et cet affrontement. L’appartenance politique et l’appartenance nationale se recoupent, non pas en raison de doctrines préétablies, mais plutôt sous l’effet du cours accidentel et violent d’une rupture dont rien avant 1808 ne laissait prévoir l’imminence. Désormais, il y a :
Adoption de la forme républicaine de gouvernement et
Militarisation de la vie politique
4) Exemple du Brésil
Constitue une exception à double titre. D’une part, le pays devient indépendant en 1822 sous la forme d’un empire et non d’une république. D’autre part, l’empereur Pierre 1er est le propre fils du roi du Portugal Jean VI.
Néanmoins, c’est le résultat d’un processus analogue à celui qu’on observe dans les colonies espagnoles, semé d’ambiguïtés et de contradictions, évolutif aussi en fonction du rapport des forces, dont les données initiales changent rapidement. Le roi Jean VI, à la différence du roi Ferdinand VII son voisin, n’a pas été capturé par Napoléon, il a pu s’échapper et est parti au Brésil. La cour du Portugal, s’est transportée à Rio en janvier 1808 (les 2 processus sont simultanés). Et c’est la révolution en métropole, (ou plutôt LES révolutions libérales de Lisbonne et Porto) en 1820 qui mettent en question le statut et l’avenir du Brésil. Les cortès du Portugal réclament le retour de Jean VI qui est resté à Rio, pour lui faire accepter une monarchie constitutionnelle. (Un peu comme les cortès de Cadix espéraient qu’à son retour, Ferdinand VII accepterait la constitution libérale qu’elles avaient rédigée). Jean VI accepte de rentrer en avril 1821 mais a pris la précaution de nommer son fils Pierre régent du royaume du Brésil. A partir de là, un bras de fer s’engage, comme entre l’Espagne et ses colonies, qui va obliger chacun à prendre un parti, à choisir un camp (y compris le prince régent Pierre). Les cortès, celles du Portugal, comme d’Espagne, peuvent compter sur l’armée (qui n’est pas très nombreuse). Le prince régent a le soutien d’hommes aux idées, par ailleurs opposées. Les uns ne veulent pas que les cortès l’emportent car à leurs yeux, elles affaiblissent la monarchie. Les démocrates, eux, se rallient à Don Pedro en raison de la politique à leurs yeux anti brésilienne des cortès. D’un coté, les parlementaires sont jugés trop libéraux (on veut maintenir la tradition monarchique), de l’autre, ils sont jugés trop portugais et hostiles au Brésil. Et le régent lui-même, qui est bien loin au départ de vouloir incarner un patriotisme brésilien, entend surtout défendre les prérogatives royales contre le libéralisme. Mais le fait est que la rupture est consommée à son initiative, d’où la célébrité de ce tableau, le cri d’Ipiranga, prononcé devant de maigres troupes le 7 septembre 1822 : « L’indépendance ou la mort »
Le prince régent franchit le pas (et la rivière Ipiranga). La rupture est désormais consommée. Elle va conduire à l’octroi d’une charte en 1824, à la manière de Louis XVIII en 1814. Çà n’empêchera pas que la violence qui accompagne communément la vie politique brésilienne s’intensifie et dégénère en graves affrontements armés.
C’est donc bien sur cette combinaison entre accession à la modernité politique et perpétuation de la violence politique qu’il faut réfléchir.
II) Une modernisation conflictuelle
En 10 ans (1810-1820) s’est donc produit en Amérique un retournement de situation. Alors qu’en 1810, s’exprimait de toutes parts l’attachement à la couronne, au tournant des années 1820, l’indépendance s’impose partout comme la seule solution viable aux conflits nés entre la métropole et ses colonies. Il faut d’abord tenir compte du cours accidenté de l’histoire de la métropole pour le comprendre.
Comme dans le cas du Portugal, dans le cas de l’Espagne, le roi Ferdinand VII, de retour en 1814, rétablit la monarchie absolue et déclare nulles par un décret du 4 mai 1814, les décisions des cortès de Cadix. Il rejette en bloc tout ce que les constituants ont fait. Ceux qui suivaient le mouvement en Amérique, se retrouvent considérés comme des séparatistes et en 1819, le roi envoie un corps expéditionnaire pour réprimer militairement les mouvements séparatistes. Ce qui provoque en Espagne, le 1er janvier 1820, un soulèvement militaire visant à rétablir la constitution libérale de Cadix (Un « pronunciamiento », car s’accompagne d’une proclamation). Cet acte ouvre une période de 3 années que les espagnols appellent « le trienio liberal » ou « trienio constitucional ». En 1823, ce sont les français, envoyés par Louis XVIII, qui mettent fin à cette expérience et rétablissent Ferdinand VII et la monarchie absolue. Ce « pronunciamiento » est le 1er d’une longue série d’actes semblables en Espagne et en Amérique. Prétention des officiers supérieurs à être des acteurs politiques légitimes et tendance à recourir à la violence militaire pour résoudre les crises politiques.
Exemple du Mexique :
François-Xavier Guerra montre la contradiction entre le caractère libéral de l’état proclamé par la constitution mexicaine (élaborée par les minorités éclairées) et les orientations de la société traditionnelle constituée de communautés indiennes ou paysannes, des haciendas et des enclaves seigneuriales , d’une foule de corps fortement hiérarchisés (dont l’Eglise, ordre omniprésent, vu comme clé de voûte de tout l’ancien édifice sociopolitique, et pour cette raison ennemi public n°1 des auteurs de la constitution). Dés lors, le régime libéral est condamné à « une fiction démocratique » : le suffrage universel, s’il avait été appliqué honnêtement aurait donné le pouvoir aux tenants de l’ordre ancien, sans aucun doute.
A) Fiction démocratique et pouvoir militaire
Le 1er effet de l’affaiblissement de la souveraineté de l’ancien régime, c'est-à-dire l’établissement de ces juntes locales d’où part le processus, reflète une tendance à
1) La fragmentation territoriale
Elle est plus accentuée que dans la péninsule où à partir des juntes locales, on a immédiatement désigné une junte centrale. Ici, pas de junte centrale. Avec la vacance du pouvoir royal, chaque junte locale en est venue à se considérer comme un pouvoir constituant autonome. Dans cette perspective où le danger était la désagrégation du pouvoir en une poussière de « pueblos », le problème à résoudre était double : il fallait à la fois mettre en place un état (moderne si possible) et construire une nation.
2) Construction de l’Etat-nation
En somme, il fallait créer une nouvelle unité politique à mesure que les colonies accèdent à l’indépendance, comme au Venezuela, en Argentine, au Paraguay et au Chili, dés 1811-1812. Les 1ers projets de constitution sont restés lettres mortes car il y a eu des reprises de contrôle par les armées de l’Espagne et aussi en raison de 2 tendances désormais divergentes de l’esprit public : d’une part, la « pulvérisation démocratique », prétention des municipalités à l’autonomie (découle de la constitution de Cadix qui admettait la création d’un municipe pour toute population dépassant 1000 habitants) qui appliquent le principe de la représentation la plus proche possible de la base démographique. Cette idée est introduite dans une configuration sociale où l’idée de communauté nationale reste pour beaucoup d’élites locales une abstraction, sans parler du peuple des campagnes.
D’autre part, face à cette tendance, on observe l’effort des militaires pour conjurer ce qu’ils considèrent comme une menace de dilution de la souveraineté.
3) Mise en place des régimes militaires
Dans une logique inverse centralisatrice, (inspirée par le jacobinisme français) les militaires prétendent à la fois représenter eux-mêmes le peuple et incarner l’Etat.
Clément Thibaud analyse ce processus à partir des armées de Bolivar
Dans les guerres d’indépendance du Venezuela et de la Colombie, il a donné naissance au « caudillisme ». (Franco a repris ce terme) « Caudillo » signifie capitaine, ou chef. Le héros du roman Civilizacion i barbarie de 1845, Juan Facundo Quiroga, a fourni le type littéraire du « gaucho » (cow-boy de la pampa argentine) devenu « caudillo ». L’auteur du livre est le futur président de l’Argentine, Domingo Faustino Sarmiento. Il veut montrer que ce processus qui conduit à donner l’autorité à un chef de bande qui sème la terreur dans les campagnes, c’est le règne de la barbarie que la civilisation doit vaincre. La civilisation est le fait de la ville et d’influence européenne contre la barbarie qui est autochtone et rurale et qu’incarne-le « gaucho ».
Longtemps, le « caudillisme » a été interprété dans cette perspective européocentrique (ou occidentaliste) comme un symptôme de sous développement, d’immaturité politique presque incurable. Les historiens marxistes n’ont pas contredit cette vision dans la mesure où ils mettaient, eux, l’accent sur l’aspect économique, sur la dépendance, sur les liens clientélistes existant entre cette pratique politique et la forme d’exploitation dominante de la terre. Les terres (latifundium) exploitées par des masses d’ouvriers agricoles, les « peones », susceptibles de fournir la soldatesque dont les « caudillos » avaient besoin.
Mais les études récentes proposent des analyses moins univoques de ces réseaux et de ces liens qui ont eu aussi un effet éducatif. Dés lors, pronunciamientos et guerre civile n’apparurent plus comme les ratés d’un processus de construction étatique, mais comme des moments marquant l’enracinement de la légitimité républicaine héritée des indépendances. 3 débats prolongés et violents ont contribué à la modernisation politique. Ils connaissent des variantes en fonction du contexte propre à chaque pays, et même à chaque région : (débats non spécifiques, mais de philosophie politique du siècle)
Débat entre conservateurs et libéraux
Débat entre fédéralistes et centralistes
Débat entre les partisans et les adversaires de l’Eglise, cette Eglise catholique qui comptait parmi les principaux propriétaires dans des sociétés peuplées en majorité d’hommes et de femmes qui ne possédaient rien.
Il faut donc reconsidérer la compatibilité entre la construction d’états nationaux et la conservation plus ou moins étendue des structures économiques et sociales d’ancien régime.
B) L’esclavage
Cette notion est liée à celle d’indépendance, d’émancipation et de construction nationale dans les Amériques au 19ème siècle.
On a vu en Europe et aux Etats-Unis comment s’est posé le problème de la citoyenneté : qui peut y accéder ou pas, jusqu’à quel point, pays légal-pays réel. Là où il y a des esclaves, peuvent-ils et dans quelles conditions être intégrés au pays réel, au pays légal ?
1) Longue marche vers l’abolition
Le 19ème siècle est celui de l’abolition de l’esclavage et devait logiquement conduire à la reconnaissance de l’universalité des droits de l’homme. Mais il a fallu beaucoup de temps et de sang pour que s’opère le passage de l’énoncé des principes à leur concrétisation juridique et plus encore économique et sociale. Les 2 révolutions atlantiques (la française et l’américaine, au sens des Etats-Unis) montrent qu’il y a là une sorte de nœud gordien, un enjeu qui plus que tout autre, était de nature à favoriser le passage de la sphère des principes libéraux sur lesquels fonder le nouvel ordre politique à la sphère des bouleversements radicaux de l’ordre social devant lesquels (bouleversements), ceux-là mêmes qui énonçaient les principes avaient tendance à reculer. C’est le cas aux Etats-Unis où les abolitionnistes restaient peu nombreux et très isolés encore dans les années 1820, c’est le cas en France où les assemblées révolutionnaires se sont montrées peu pressées d’aborder un sujet qui restait dominé par des considérations financières bien plus que philosophiques. L’abolition décrétée par la Convention le 4 février 1794 n’est que la ratification de l’initiative prise par le commissaire de la république à Saint Domingue, Sonthonax, dépassé par la révolte à laquelle il croyait pouvoir mettre fin en prononçant de sa propre initiative l’abolition de l’esclavage. La Convention lui donne raison avec une arrière-pensée pas tellement philanthropique, mais plutôt guerrière : elle pense mettre en difficulté l’Angleterre confrontée au même problème dans ses colonies des Caraïbes et y semer le désordre. Si cette île (Haïti, pour sa partie occidentale) est le lieu où l’utopie est devenue réalité, c’est au prix de beaucoup de violences et de misère. Bonaparte y rétablit d’ailleurs l’esclavage dés 1802 et il faudra attendre l’accession à l’indépendance sous le nom d’Haïti en 1804 pour la partie occidentale de l’île pour que la mesure d’abolition soit renouvelée. Et c’est un geste d’une portée symbolique immense dans toute l’Amérique latine.
2) Esclavage, citoyenneté et service militaire
Un lien se noue dés cette époque entre ces 3 notions. Le cas des armées Bolivariennes étudié par Clément Thibaud est exemplaire : très vite, les libérateurs, Bolivar en tête, ont besoin d’hommes à opposer à ceux de l’armée loyaliste. Ce besoin conduit Bolivar à ordonner le recrutement d’esclaves noirs. On leur promet la liberté, au bout de 2 ans de service. On se représente ces hommes comme robustes et facilement prêts à donner une vie qui leur laisse si peu d’espérance. Mais la promesse de la liberté n’attire pas tant de monde que prévu et quelques semaines après leur enrôlement, plus du tiers du contingent servile se retrouve à l’hôpital. Le rapport ainsi établi entre la citoyenneté et l’Etat militaire s’éloigne donc de celui que concevait Rousseau pour qui les enfants de paysans propriétaires devaient mettre plus de conviction à défendre leur patrie (et leurs biens !) que des fils de journaliers qui ne possédaient rien. Pour les élites patriotes bolivariennes, au contraire, l’esclave, parce qu’il n’a rien à perdre, peut identifier ses intérêts à ceux de la République et incarner l’espoir de régénération qui anime en principe le projet républicain. Conception ambigüe bien sûr et qui n’empêche pas les préjugés, notamment sur l’incapacité guerrières des esclaves : on les croit robustes, mais pas pour autant bons soldats.
Clémenceau, le 20 novembre 1917, à la chambre des députés, dit à propos des combattants français : « Ils ont des droits sur nous ». L’idée s’imposait d’autant plus alors que jamais armée n’avait à ce point coïncidé avec la Nation, au sens statistique du terme, jamais n’avait été mobilisée de façon aussi égalitaire en France, une si grande proportion d’hommes en âge de porter les armes. L’idée des droits des anciens combattants, (il ne serait pas venu l’idée à Napoléon de dire une chose pareille) ne s’imposait pas au même degré dans la Nouvelle Grenade de Bolivar, où il ne s’agissait pas d’une même proportion, d’une même représentation statistique. Mais il reste incontestable que ce sont les conditions crées par la guerre qui ont enclenché le long processus d’affranchissement des esclaves, 40 ans avant que ce même processus connaisse pour la même raison une accélération décisive aux Etats-Unis.
3) Chronologie de l’abolition de l’esclavage aux Amériques
Voir ci-dessous
Haïti vient logiquement et symboliquement en tête et on peut regrouper les moments de libération par petites périodes. On voit que ce phénomène suit de prés l’accession à l’indépendance. Elle n’a lieu que dans la 2ème moitié du siècle pour la Colombie de Bolivar et l’Argentine qui avait pourtant énoncé le principe beaucoup plus tôt. Le Brésil est le dernier à abolir l’esclavage, en 1888.
4) Un problème de temps et un problème d’espace
Temps : avant d’en venir à l’abolition complète qui au début du siècle pouvait paraitre utopique à bien des progressistes ou libéraux, 3 mesures transitoires se présentaient qui ont précédé l’abolition complète :
Abolition de la traite. Le commerce des esclaves.
L’affranchissement individuel ensuite, qui n’obligeait pas à prendre une mesure générale.
La « liberté du ventre » : tout enfant d’esclave naît libre. Mais on n’allait pas jusqu’à abolir l’esclavage pour ceux qui l’étaient. Cette mesure a été prise aussi bien par la 1ère assemblée constituante argentine en 1813 (et il faut attendre 1853 pour l’abolition complète) que par le congrès constitutif de la Grande Colombie en 1821 (et la Colombie n’abolira l’esclavage qu’en 1851)
Espace : dans une construction fédérale, il était d’autant plus concevable de rechercher un équilibre entre interdiction et maintien de l’esclavage, que cet équilibre ne se justifiait pas seulement par le pragmatisme politique, mais aussi par des intérêts économiques puissants. C’est tout le sens du compromis qui s’est établi aux EU jusqu’au milieu du siècle. 2 nouveautés complémentaires ont modifié profondément les conditions de possibilité de ce compromis :
L’afflux d’immigrants (surtout dans les états du Nord) qui apportaient avec eux des convictions abolitionnistes et
L’expansion territoriale vers l’Ouest.
Les 2 sont liées parce que parmi ces immigrants, il y avait potentiellement des pionniers pour l’expansion vers l’Ouest.
5) Problèmes de l’expansion vers l’Ouest
Cette expansion s’est faite aux dépens du Mexique et a profondément modifié l’équilibre géopolitique continental.
Le dernier vice roi de Nouvelle Espagne puis l’état Mexicain naissant (après l’indépendance acquise en 1821) ont laissé le territoire du Texas ouvert aux colons venus du Nord et ceux-ci sont devenus nettement majoritaires. En 1834, seulement 3400 mexicains sur 24 700 habitants. Les colons ont proclamé leur indépendance en 1836 (c’est la date de 1845 qui figure sur la carte car les EU en ont fait le 28ème état de l’Union à cette date). Le Mexique ne reconnait pas cette annexion d’où le contentieux entre ces 2 grands prétendants à la domination des territoires de l’Ouest.
La 1ère étape du « Go West », c’est La Louisiane.
La 2ème, 1846 : l’Oregon, 1845 : le Texas et 1848 : tout le reste.
Aux dépens du Mexique, çà signifie la perte de plus de la moitié du territoire. Cette guerre qui dure de 1846 à 1848, est appelée aux EU « the mexican war » et au Sud du Rio Grande, « la intervencion norte americana » ou « la guerra del quarenta y siete » par référence sélective à la résistance mexicaine à l’invasion des Yankees entre mars et août 1847 (de Vera Cruz à Mexico). Par le traité de Guadalupe Hidalgo du 2 février 1848, le Mexique cède à son voisin, outre le Texas dont il n’avait pas encore reconnu la perte, la Californie et le Nouveau Mexique (qui formeront d’autres états par la suite). 5 ans plus tard, le Mexique vend la région de la Messilla et on aboutit aux frontières définitives des EU.
D’un coté se trouvait stimulé le dynamisme expansionniste d’une République Fédérale, économiquement partagée entre des états non esclavagistes en voie d’industrialisation rapide et des états esclavagistes qui tiraient l’essentiel de leurs revenus de la culture du coton. De l’autre coté, se trouvait vaincue et affaiblie, une République, Fédérale elle aussi, celle du Mexique, où les luttes contre les espagnols pour l’indépendance s’étaient prolongées (parce que l’Espagne tenait par-dessus tout à cette colonie) et s’étaient transformées en luttes intestines entre libéraux et conservateurs pour aboutir à la préservation de structures d’ancien régime qui avaient freiné (par rapport au grand voisin) le développement économique du pays.
Mais aux EU, la victoire est aussi un problème. Elle relance le débat sur l’esclavage dans la mesure où elle rend difficile le maintien du compromis par lequel en août 1820 (du temps du président Monroe) il avait été décidé que l’esclavage ne serait admis dans aucun nouvel état situé au Nord de 36,30° de latitude Nord, c'est-à-dire la frontière Nord de l’état du Missouri qui était un état farouchement esclavagiste. Tous ces territoires sont au Sud. Va-t-on admettre au Nord, que partout au Sud il y ait des esclaves ?
En 1854-55, une nouvelle étape du divorce entre le Nord et le Sud : autour de la formation de 2 nouveaux états situés dans la zone sensible, le Kansas et le Nebraska. Le sénateur démocrate de l’Illinois, Stephen Douglas propose habilement de consulter les électeurs et les laisser trancher la question. Ce qui aboutit au Kansas Nebraska Act qui loin d’apaiser les tensions, va les entretenir. Le résultat de l’élection, favorable aux esclavagistes, est immédiatement contesté par l’autre camp ; les débats remontent au niveau fédéral où le président qui ne veut pas trancher, avalise finalement le résultat de l’élection.
Cette carte de 1856 laisse le Texas en blanc, en rose, les états non esclavagistes (la Californie au Sud du 36ème parallèle), en gris, les états esclavagistes (jusqu’au Missouri) et en vert, la réserve fédérale, c'est-à-dire tous les territoires nouvellement acquis qui seront lotis et transformés en états.
On arrive là à un point crucial et dangereux. Si Douglas bat Lincoln en 1858 aux élections sénatoriales dans l’Illinois, 2 ans plus tard c’est Lincoln qui prend sa revanche aux élections présidentielles mais le débat débouche sur la guerre civile.
C) Guerres Civiles
C’est une réalité familière en Amérique latine pour des raisons qui tiennent aux conditions de l’accès à l’indépendance. Double risque de la généralisation : essentialisation de catégories qui ne permettent pas de rendre compte de la diversité des réalités et occultation de l’évolution.
Lorsqu’à la fin de 1810, la junte de Caracas veut imposer l’obéissance aux cités de Coro et Maracaibo (Venezuela), il s’agit de mettre fin à la rivalité entre des cités autonomes pour faire prévaloir une appartenance civique supérieure à l’appartenance locale. Mais imposer l’obéissance, cela signifie recourir aux moyens militaires à titre dissuasif, pour limiter la violence et non pas pour provoquer le bain de sang. Cela justifie de parler de « guerre civique » plutôt que de guerre civile. L’évolution a fait de ce type de conflit une guerre « d’extermination » à fondement idéologique. Il n’y a rien de cela entre juntes en 1810.
1) Guerre de la Triple Alliance
L’Amérique latine a connu une guerre d’extermination au 19ème siècle : celle qui a lieu entre 1865 et 1870 entre le Paraguay et 3 pays coalisés contre lui, (d’où son nom de Guerre de la Triple Alliance) le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay.
Le Paraguay en est sorti exsangue, amputé de parties de son territoire au profit du Brésil et de l’Argentine, et avec une population masculine très réduite. (Il restait en 1870 1 homme pour 3 ou 4 femmes). C’est une guerre pour laquelle il n’y a pas à proprement parler de fondement idéologique. Elle boucle le cycle des guerres « civiles » de La Plata (cycle ouvert par les indépendances) dans la mesure où ces indépendances avaient laissé aux confins entre les états, des zones frontalières indécises (Le Chaco qui sera disputé jusque dans les années 1830 entre le Paraguay et la Bolivie) plutôt que des frontières véritables, des zones où l’identité des populations demeurait floue, où elles pouvaient aisément changer de camp (comme les indiens en Amérique du Nord, comme aussi ce sera le cas dans la guerre du Mexique contre les français dans les années 1860). C’est une guerre interétatique plutôt qu’internationale. Il y est en jeu le mode d’incarnation « caudillesque » de la souveraineté (puisque la république du Paraguay n’était ni libérale, ni démocratique) sans que cela ait affaibli l’autorité de son chef président de la République, Francisco Solano Lopez. (Sera exécuté par ses ennemis le 1er mars 1870). Donc, sur l’ensemble du continent américain au 19ème siècle, la guerre civile par excellence, c’est celle que nous appelons la guerre de Sécession, mais qui aux EU, est désignée comme « The Civil War ».
2) La Guerre de Sécession
a) Les causes
Comme pour tous les évènements dont le bilan n’était pas concevable à leur commencement, le débat sur les causes peut sembler interminable et vain. Selon le point de vue adopté, celui des vainqueurs ou celui des vaincus, on mettra plutôt en avant l’intransigeant attachement du Sud à l’esclavage ou la légitime interprétation de la constitution suivant laquelle chaque état conservait sur son propre territoire une autorité éminente par rapport à celle du gouvernement fédéral, par conséquent, pouvait faire valoir un droit à la sécession. Le fait est que le maintien de l’esclavage était le principal ciment de la confédération. La victoire de l’Union a permis de renforcer les pouvoirs du gouvernement fédéral. Si anciens et si vifs qu’aient pu être les débats sur ces 2 questions, aucun des 2 camps ne s’était vraiment préparé à la guerre pour cela. James Mac Pherson écrit : « Les Etats-Unis ont l’habitude de préparer la guerre une fois qu’ils y sont entrés ». C’est une 1ère explication de la longueur du conflit, 4 ans, d’avril 1861 à avril 1865.
b) Election de Lincoln
C’est l’élection d’Abraham Lincoln à la présidence en 1860 qui a rendu cette guerre inévitable. Les états du Sud ont rejeté en bloc le candidat et le programme du parti républicain. Dés le 4 avril 1861, un mois avant l’entrée en fonction de Lincoln, les états du Sud forment une nouvelle union, les états confédérés d’Amérique, dotée d’un président provisoire, Jefferson Davis.
Les états du Sud n’acceptent pas de rejoindre l’Union, et à l’intérieur de l’Union, on n’acceptera pas leur indépendance.
Compte tenu de l’enjeu économique que représentait le coton, l’échec de la confédération à obtenir la reconnaissance des grandes puissances européennes sur ce point a causé son affaiblissement.
c) Deux théâtres d’opérations
L’un situé à l’Est, entre les 2 capitales qui sont proches, Washington et Richmond pour les confédérés. L’autre à l’Ouest, le long du Mississipi, avec la ville de Vicksburg, le nœud du cours moyen du Mississipi. A partir de la prise de cette ville par l’Union, le 4 juillet 1863, la progression des forces de l’Union vers l’Est, permet de couper en deux (jusqu’à la Caroline du Sud) la Confédération. La bataille de Gettysburg en Pennsylvanie, du 1er au 3 juillet 1863 est la plus coûteuse : 23 000 morts pour l’Union, soit le quart des effectifs, 28 000 pour l’armée du Sud commandée par le général Lee.(le tiers)
Les zones de combat sont toutes situées dans les états du Sud et les états frontaliers. C’est dans le théâtre de l’Est que se manifestent le mieux les capacités militaires des confédérés et de leurs chefs :Jackson, Robert Lee
Le pendant de cette phrase de Robert Lee est donné par un chef du Nord, Sherman : « vous ne pouvez pas qualifier la guerre en termes plus sévères que moi ; la guerre est cruauté et vous ne pouvez pas la raffiner »
Lincoln n’a pas attendu la prise d’Atlanta par Sherman le 2 septembre 1864 (qui devait favoriser sa réélection) pour publier
d) la proclamation d’émancipation des esclaves
Il l’avait fait 2 ans plus tôt, le 22 septembre 1862,
…………………..toutes les personnes tenues en esclavage dans quelque état que ce soit ………….même ceux en révolte contre les EU, seront, maintenant et à jamais, libres »
Ce texte vient à un étrange moment, ni au début, ni à la fin de la guerre. Au début, la priorité allait au maintien de l’Union et au maintien dans l’Union des états frontaliers esclavagistes. (Les états ont beaucoup hésité avant de choisir leur camp.) A la fin, parce qu’il s’agissait d’une arme de guerre contre le Sud, pas de paix. Il s’agit de répondre à un besoin qui est le même que celui que Bolivar a éprouvé en 1820 : il faut des hommes supplémentaires et on va mobiliser des noirs, ce qu’on avait hésité à faire y compris au Nord, jusqu’à ce moment-là. Puis, en annonçant qu’on libère les esclaves du Sud, on va les mettre de son coté. (Espoir en partie déçu). Réélu en 64, victorieux en 65, (Richmond est tombé le 3 avril, Lee a capitulé le 9) Lincoln n’a guère le temps de gagner la paix puisque le 14 avril, il est assassiné au théâtre Ford de Washington, par un acteur, John Wilkes Booth. Cet acteur, militant de la cause des confédérés, avait réuni une troupe de conspirateurs (dont Lewis Paine, voir ci-dessous) qui devait assassiner d’autres personnalités (comme le vice président W. Steward).
Voir Film de John Ford (The prisoner of Shark Island) consacré à un autre accusé dans ce complot, le docteur Samuel Mudd, médecin condamné pour avoir soigné Booth dans sa fuite. Equilibre entre l’humanité du regard et du propos et ambiguïté du paternalisme qui s’y exprime.
Epilogue
3 ensembles de remarques sur des points essentiels :
1) La distinction nécessaire entre indépendance politique et indépendance économique
L’accession à l’indépendance ne signifie pas l’effacement de la présence de l’ancien monde ; Charles Pancha écrit : « Au pacte colonial espagnol succède une emprise commerciale britannique qui, dans la 2ème moitié de siècle, se transforme en impérialisme ». Ce résumé peut paraitre rapide et simple mais il est globalement vrai, à la condition d’ajouter qu’à mesure qu’on approche de la fin du siècle, l’impérialisme britannique est de plus en plus concurrencé par celui des Etats-Unis. La justification nationale de cette concurrence se trouvait déjà inscrite dans « la doctrine Monroe ».
« En ce qui concerne les colonies ou dépendances actuelles de telle ou telle puissance européenne, nous ne sommes pas intervenus et n’interviendrons pas. Mais pour ce qui regarde les gouvernements qui ont proclamé leur indépendance et la maintiennent, indépendance qu’après mûre considération et conformément à la justice nous avons reconnue, nous ne pourrions regarder toute intervention de quelque puissance européenne que ce soit ayant pour but de les soumettre (ces états devenus indépendants) ou d’exercer en quelque manière un contrôle sur leurs destinées (allusion à la « Manifest destiny » à occuper tout l’espace entre le Pacifique et l’Atlantique), que comme la manifestation d’une disposition inamicale à l’égard des EU ».
La perpétuation de certains régimes nationaux passe effectivement dans la 2ème moitié du siècle par l’accroissement de relations économiques inégales avec les EU. Ex, le Mexique, sous la dictature militaire de Porfirio Diaz. (Appelée le « Porfiriat », encore un type de « caudillo »). La meilleure preuve du fait que la distinction entre des territoires qui restaient des colonies et ceux qui n’avaient plus voulu en être, n’a pas résisté à l’évolution (dans le sens d’une plus grande prise en compte du droit des peuples et d’un renforcement du leadership états-unien dans l’espace américain tout en entier) est donnée par la guerre hispano-américaine de 1898. Prétexte : une révolte cubaine contre l’Espagne puis répression par l’Espagne. Elle montre la capacité des EU à mobiliser leur opinion publique pour justifier l’envoi d’un ultimatum à l’Espagne au nom de leurs intérêts nationaux (qui, à priori, ne sont pas directement concernés) et l’issue de cette guerre est claire : c’est au bénéfice des EU que l’Espagne perd ses dernières colonies (Porto-Rico et Cuba, l’île de Guam, les Philippines)
2) Ampleur l’immigration en Amérique
C’est le 2ème moyen par lequel se maintient une forte présence de l’ancien monde dans le nouveau. Il n’y a pas que les EU qui sont concernés : l’Argentine a planifié et financé une politique active en la matière. Alors que la population du pays n’était que d’1 200 000 en 1856, entre 1871 et 1910 pas moins de 3 400 000 immigrés viennent s’installer en Argentine (Italiens : 55%, espagnols : 25%)
Mais il reste que les EU ont été la principale destination et de très loin. Ils ont accueilli au 19ème siècle 28 millions d’émigrants (63% du total des migrants en provenance de l’Europe) (Argentine : 6 millions = 12,3%, Brésil : 4,6 millions, Canada : 5,2 millions mais c’est une porte dérobée vers les EU). Cet afflux massif représente un décuplement de ressources et de force pour ce pays (convaincu de sa « Manifest destiny »).
3) Exclus et révoltés
Il faut tout de même rappeler que ce dynamisme conquérant et bâtisseur, que les espérances qui ont attiré vers ce continent tant d’hommes et de femmes,(la vraie terre du progrès) ont souvent été déçus. Beaucoup d’exclus et de révoltés.
L’histoire de l’Amérique latine a eu tendance à être dominée par un discours pessimiste et misérabiliste où l’accent était mis sur l’injustice et la violence (dues en grande partie aux yankees). Nous n’en sommes plus là aujourd’hui. Les analyses scientifiques ont gagné en rigueur et en précision. Mais ces réalités ont existé massivement, constamment et douloureusement.
Introduction
Construction d’une histoire qui a consacré la puissance dominante, au point de lui réserver le nom de l’Amérique, (au singulier) et qui, pour cette raison même, a fait paraître aux autres américains, l’idée de l’unité du continent du Nord au Sud, artificielle, voire suspecte.
Lewis Hanke : « Tienen las américas una historia comun ? » Ce livre témoigne d’une défiance à l’égard d’un panaméricanisme où l’association du puissant et du faible ne servirait qu’à renforcer encore la domination de l’un sur l’autre.
Chanson de 1973 du canadien Felix Leclerc : “My neighbour is rich” : Il déplore la difficulté de communiquer avec son voisin géant : “ difficult it is to talk to him, he is so tall /that even with the ladder I cannot rich his ears”. Ce déséquilibre ne résulte pas d’un déterminisme, même si la géographie physique a pesé sur les conditions d’occupation de l’espace et de l’exploitation du milieu naturel. Ce déséquilibre est le résultat d’une évolution historique qui a connu au 19ème siècle une étape décisive. C’est à cela qu’on réfléchira aujourd’hui.
L’idée de l’unité du continent américain tient à quelques données fondamentales communes :
La colonisation par des peuples européens tournés vers l’Atlantique (Anglais, Français, Espagnols et Portugais) d’où découle un peuplement pluriethnique :
Des autochtones auxquels du Nord au Sud, reste attaché un même nom, celui d’Indien ou Amérindien. (Cela rappelle la quête initiale des Européens). Ces indiens ont été confrontés à un peuplement venu de l’extérieur et dans ce peuplement, il faut distinguer plusieurs catégories et plusieurs origines :
Des migrants européens dont le nombre s’accroit et dont la provenance change au cours du 19ème siècle,
Les descendants de colons qui ont fait souche (appelés « créoles » dans l’espace inter tropical),
Les noirs transportés d’Afrique comme esclaves,
Les métis.
De ces données communes, résulte un même ensemble de problèmes :
L’accession à l’indépendance, obtenue contre une mère patrie coloniale, parce qu’elle se produit au moment et sous l’influence de l’affirmation de principes politiques où la liberté individuelle occupe une place essentielle, ouvre du Nord au Sud, un processus complexe, à la fois de transformations institutionnelles et d’unification nationale. Processus non seulement complexe, mais conflictuel, compte tenu du risque de contradiction entre la volonté d’assoir l’ordre nouveau sur des principes égalitaires et la volonté de maintenir une organisation sociale inégalitaire.
Le plan vise à montrer les grandes étapes chronologiques et les enjeux thématiques de cette histoire marquée par des données communes. D’abord l’accession à l’indépendance qui fait prévaloir partout la forme républicaine de gouvernement (même si celle-ci est plus souvent nominale que réelle) puis l’inversion du rapport entre affirmation nationale et accession à l’indépendance. La 2nde ayant été longtemps considérée comme la conséquence de la 1ère alors qu’aujourd’hui, on a tendance à inverser cet ordre. (Même dans le cas des EU où la guerre de Sécession est pour la Nation un acte de naissance plutôt qu’une crise de croissance. L’historien Richard Bensel est même allé dans Yankee Leviathan jusqu’à suggérer que l’étude de l’histoire des EU devrait commencer en 1865, à la fin de la guerre de Sécession, plutôt qu’avec la constitution de 1787). En conclusion, on verra que la reconstruction de l’unité des EU est un temps de gestation de leur impérialisme. La modernisation des économies et des sociétés en Amérique latine reflète l’ascendant irrésistible que prennent alors les Yankees.
I) La voie hispano-américaine vers l’indépendance
(Pour les EU eux-mêmes, voir cours 1)
A) Contrastes Nord-Sud
1) Etat-Unis
En Amérique du Nord, la période révolutionnaire laisse les jeunes Etats-Unis face à l’ancienne mère patrie britannique dont la présence s’est renforcée au Canada et face à un double défi : l’expansion vers l’Ouest et la création de nouveaux états dans le cadre fédéral de l’Union. Des arrangements successifs avec la Grande Bretagne entre 1818 et 1846, fixent sur le 49ème parallèle la frontière avec le Canada, qui devient la plus longue frontière du monde avec l’acquisition en 1867 de l’Alaska, acheté par les EU à la Russie. Cette même année, est formée après négociation avec le gouvernement de Londres et son approbation, la confédération du Canada. Confédération ne signifie pas indépendance.
2) Canada
Le terme de « Dominion » apparait à cette occasion et il désigne un statut intermédiaire où l’état fédéral canadien reste pour sa politique extérieure membre de l’empire britannique (du Commonwealth). Ce dominion du Canada, formé initialement de 3 provinces, dont celle du Canada proprement dit qui se divise en 2, (Nouvelle Ecosse, Nouveau Brunswick et Canada séparé en Québec et Ontario), n’occupe qu’une petite partie du Canada actuel. Ce n’est qu’en 1831, avec le statut de Westminster que cette partie devient indépendante.
Le plus important, au début du 19ème siècle, c’est l’achat à la France (sous Bonaparte), de la Louisiane (Ne pas confondre La Louisiane que la France vend aux EU et l’état de Louisiane qui est seulement une partie du territoire de la grande Louisiane). Pour les indiens, cet achat n’annonçait rien de bon. Dans le rapport de cette acquisition (rédigé à la demande du président Jefferson), les indiens sont considérés « comme un grand obstacle au commerce et à la navigation ». Les pionniers de l’Ouest eux se réjouissent de cette acquisition, ainsi que les propriétaires d’esclaves qui allaient pouvoir étendre leur système. La Louisiane, au sens étroit du 18ème état admis dans l’Union, est créée en 1812. Au-delà, il y a des territoires immenses, (à peu prés le tiers de la surface totale des EU d’aujourd’hui, soit 4 fois la France), qui constituent pour l’avenir de l’Union un atout considérable. Bientôt, un terme nouveau va s’imposer, celui de « Far West » pour désigner ces terres, objets de grandes espérances.
En 1810, 14% des américains (qui sont alors 7 200 000, dont plus d’1 million d’esclaves) vivent à l’Ouest des Appalaches. En 1820, ils sont déjà 23% (la population est alors de 9 600 000, dont 1,5 millions d’esclaves)
3) Mexique
Du Mexique à la terre de Feu, les étendues vierges ne manquent pas non plus, mais les conditions de leur conquête diffèrent. Dans cet espace où les pays colonisateurs ont été l’Espagne et le Portugal, le problème du rapport à la métropole le scénario de la rupture avec elle, ne se pose pas dans les mêmes termes. L’accession des colonies à l’indépendance n’aboutit pas à la mise en place d’une entité fédérale unique, mais à un morcellement qui s’accompagne d’une prolongation de la lutte initiale dans des conflits à la fois internes et interétatiques.
4) Lumières et Amériques
Alors que les pères fondateurs des EU ont tiré de la philosophie des Lumières et des institutions anglaises les principes et les institutions qui leur ont permis de concilier la stabilisation d’un état délibérément réduit dans ses attributions et le maintien des inégalités propres à la société coloniale, de la partie centrale à la partie australe du continent, les Lumières, médiatisées par les élites lettrées espagnoles et portugaises, ont donné lieu à d’autres traductions politiques. Cette question de l’influence des Lumières reste investie d’une forte charge idéologique. Il faut examiner le problème du coté démographique.
5) Démographie
A la fin du 18ème siècle, la population de l’Amérique espagnole est estimée à 15 millions de personnes réparties en :
Indiens : 6 925 000 (45%)
Blancs : 3 057 193 (20%)
Noirs : 1 189 000 (8%)
Métis : 4 087 290 (27%)
Total pour l’Amérique espagnole : 15 288 483
Il faut ajouter les 3 500 000 habitants de l’Amérique portugaise, dont 1 500 000 esclaves.
Cette répartition n’est pas uniforme. Si l’on constate une tendance à la diminution de la part des indigènes, (sous l’effet du métissage qui s’est accru au cours du siècle) on observe aussi une densité inégale du peuplement amérindien : Les 2 plus grands noyaux se trouvaient dans des conditions comparables de relief et de climat de part et d’autre de l’équateur (Au Nord de Mexico et autour de Cuzco dans les Andes). Si on compare cette population avec celle des 13 colonies anglaises qui ont fondé les 1ers états de l’Union : sur 3 230 000 habitants, 700 000 noirs (22%), moins de 100 000 indiens (3%), soit 75% de blancs. De la Nouvelle Angleterre à la Géorgie, la population blanche, nettement majoritaire se concentre dans un espace bien délimité et culturellement assez homogène pour que la diffusion des Lumières y ait rencontré et nourri la formation d’une opinion publique assurée de sa domination sociale. De la vice royauté de la Nouvelle Espagne (c'est-à-dire le Mexique actuel) à celle du Rio de La Plata (c'est-à-dire l’Argentine actuelle), la population blanche est globalement minoritaire et disséminée sur un espace immense. Alors, bien sûr, la langue, la religion (catholique), la culture politique des élites, sont des facteurs d’unité non négligeables, mais dans l’explication du retournement contre la métropole, la diffusion préalable de l’imprimé a moins de poids que l’obligation de se déterminer pour ou contre, à partir du moment où la métropole est menacée par l’invasion Napoléonienne. Si la phase finale du processus qui les a menées à l’indépendance, au Nord, doit beaucoup aux suites territoriales et fiscales de la guerre de 7 ans, (dont la Grande Bretagne est sortie renforcée, voir cours 1), dans le cas de l’Amérique latine, ce n’est pas le renforcement de la métropole mais au contraire son affaiblissement qui accélère le processus.
B) Un processus lié à l’occupation de la péninsule ibérique
1) Un double mythe :
(Construit par la tradition historiographique nationaliste)
La marche à l’indépendance aurait été déterminée par la préexistence d’un sentiment national dont elle aurait constitué l’aboutissement naturel.
Elle aurait répondu à une sorte de projet unanime de faire bénéficier les colonies de l’Amérique espagnole des bienfaits de la Révolution française contre la tyrannie du roi d’Espagne.
En réalité, c’est par accident, de façon imprévue, que les pays d’Amérique latine en sont venus à l’indépendance.
Le souhait qui s’y est d’abord exprimé était de répondre à
2) La crise de l’empire espagnol
A partir de 1808. Napoléon veut imposer son frère Joseph comme roi d’Espagne. Il fait venir à Bayonne les rois Bourbons Charles IV et son fils Ferdinand VII, les fait abdiquer. Dans le vide ainsi créé en Espagne, se fait une recomposition complexe des forces politiques. Du coté de la résistance, on trouve les forces contre révolutionnaires, l’église catholique en tête, attachées au souverain légitime. Du coté de la collaboration avec les français, on trouve les « afrancesados », espagnols progressistes, pour qui les français peuvent être utiles pour introduire la législation issue de la Révolution. Mais on trouve aussi contre les occupants français des patriotes libéraux. Pour les américains, le roi est prisonnier de Napoléon, il importe de doter le pays d’une nouvelle autorité politique capable de diriger la lutte. C’est la même priorité qu’en métropole. Et cet effort commence ici et là sur une base locale. On voit se constituer d’abord des juntes (« juntas » signifie « réunies ») autonomes dans les grandes villes, puis une junte centrale en Espagne qui s’installe à Séville car les français occupent la route de Madrid et c’est à Cadix (port atlantique) que s’installe l’assemblée parlementaire issue de ce processus de recomposition.
Entre les 2 étapes (junte centrale, assemblée), il y a la désignation d’un Conseil de Régence (Consejo de regencia de Espana e indias) de 5 membres, dont un représente l’empire. Ce conseil est chargé d’organiser la réunion de Cortés constituantes à Cadix. Dés sa réunion, le 24 septembre 1810, cette assemblée adopte les formes modernes de la représentation politique en s’inspirant de l’assemblée constituante française de 1789 issue des Etats Généraux.
Le paradoxe, c’est que l’absolutisme ait été aboli au nom du monarque déchu, que l’adoption d’une constitution libérale, fondée sur la souveraineté du peuple, ait d’abord visé à rétablir une instance légitime espagnole de gouvernement en l’absence du roi. C’est parce que ces patriotes espagnols ne reconnaissent pas la légitimité de Joseph Bonaparte, qu’au nom du roi Ferdinand VII (en lui imposant un choix qui n’est pas le sien !), dans un souci de légitimité sinon politique du moins dynastique, on décide d’établir des institutions libérales. Imaginez l’effet produit en Amérique ! C’est cette ligne de conduite qui détermine les positions prises dans l’empire : les créoles des principales cités à leur tour forment des juntes en 1810 et, non pas pour se séparer de l’Espagne, mais pour s’opposer aux effets d’une victoire des français en cas de conquête de l’Andalousie, car on ne sait pas comment la guerre va tourner. Les français avancent, mettent le siège à Cadix. Donc il s’agit de prendre une décision conservatoire. François Xavier Guerra et Richard Hocquellet ont montré que c’est la résistance en métropole et non pas la révolte dans l’empire d’Amérique qui a ouvert la voie de la modernité politique, afin de lutter contre Napoléon et non pas afin d’émanciper les colonies. C’est pour sauver la composante américaine de la monarchie espagnole et non pour l’affranchir que se constituent les juntes de 1810, à l’annonce de la dispersion de la junte centrale de Séville et du siège de Cadix. Dans ce but, est réactivée la fiction légitimatrice au nom de laquelle les municipalités (pueblos), organes représentatifs locaux, cellules mères de la souveraineté monarchique, vont produire une nouvelle souveraineté, nationale. On réactive une tradition (une fiction), et on va en produire une autre, à laquelle il va falloir donner un contenu, celui de la Nation.
C) Choix paradoxal de la modernité politique
Benedetto Croce en 1832, s’étonne que la médiation espagnole ait donné son nom à la modernité politique venue des EU et de France.
Le mot « libéral » a d’abord été employé par les constituants de Cadix, dans le sens qu’il va prendre, aussi bien en anglais qu’en français. Dans l’Espagne de 1810, comme dans la France de 1789, la question cruciale, celle qui permet de comprendre le tour qu’à partir de cette situation imprévisible créée par l’occupation Napoléonienne, va prendre le processus d’émancipation, est celle de savoir si la Nation doit être représentée par des états (comme les états généraux, par des corps d’ancien régime) ou par les élus du peuple, nouveau détenteur de la souveraineté. C’est de la réponse donnée à cette question pour les colonies américaines que découle la rapide dégradation des relations entre l’Espagne et ses possessions américaines. La source de la discorde est comparable à celle qui a conduit à l’indépendance des colonies britanniques dans la mesure où elle résulte du problème de la représentation politique de l’Amérique dans les institutions en cours de construction en Espagne.
1) Question de représentation
En janvier 1809, la junte centrale considère que l’Amérique devrait à l’avenir se contenter d’un mandataire par vice-royauté ou capitainerie générale
Voilà quelle était la structure de cet empire : Vice royauté de Nouvelle Espagne (Mexique), Capitainerie générale du Guatemala (devenue plusieurs petits états d’Amérique centrale), Vice royauté de Nouvelle Grenade (Colombie, Equateur), Capitainerie générale du Venezuela, Vice royauté du Pérou, Vice royauté du Rio de La Plata y compris le Paraguay, la Bolivie et l’Uruguay futur, et Capitainerie générale du Chili qui n’occupait qu’une partie du territoire actuel. Pour TOUT CELA, 1 représentant par entité, alors que pour l’Espagne, on prévoit une représentation en proportion de la population. Problème comparable à celui de la revendication du Tiers-Etat dans les états généraux, au commencement de la Révolution française.
En janvier 1810, quand on fixe les règles en vue de l’élection des Cortès, on prévoit dans la péninsule 1 député pour 50 000 habitants. Et dans l’empire des Indes, seules les villes principales sont appelées à désigner les représentants de chaque province. Voir ci-dessus. A partir de là, les choses vont vite, les cités américaines revendiquent une plus grande autonomie, toujours dans le cadre de la monarchie, par le biais des juntes qui se sont formées sur le modèle péninsulaire.
2) Point de vue espagnol
Ces juntes (celles de Caracas, Bogota, Mexico, Lima) se proclament d’ailleurs conservatrices des droits de Ferdinand VII. Les 2 premières accusent les cortès de trahir Ferdinand VII au profit de Napoléon. Le 1er attachement qui s’exprime est, c’est logique, celui de l’appartenance locale. Les groupes qui se forment se désignent d’abord comme des habitants de leur cité d’origine : Caraquenos pour ceux de Caracas, Portenos pour ceux de Buenos Aires. Mais dés lors que les dirigeants espagnols ne reconnaissent pas la légitimité des revendications et des initiatives (à leurs yeux désormais séparatistes) auxquelles elles donnent lieu, le clivage se produit très vite entre des loyalistes et d’autres qui, du coup, deviennent partisans de l’indépendance. C’est ce qui suscite l’adoption d’un vocabulaire national.
Dés 1812, les troupes du roi (la présence de l’armée reste le 1er élément de maintien de l’autorité de l’Espagne) ont face à elles des patriotes qui vont s’armer aussi.
3) Rôle de Simon Bolivar
En 1813, celui qu’on appelle « El libertador », proclame la guerre sans merci contre les espagnols.
Il a avec lui des hommes qui se désignent comme américains et même bientôt comme colombiens et même très vite comme républicains et comme des royalistes. Ce clivage s’est produit dans le mouvement, il ne préexistait pas. C’est la crise et ses étapes successives qui provoquent cette décantation et cet affrontement. L’appartenance politique et l’appartenance nationale se recoupent, non pas en raison de doctrines préétablies, mais plutôt sous l’effet du cours accidentel et violent d’une rupture dont rien avant 1808 ne laissait prévoir l’imminence. Désormais, il y a :
Adoption de la forme républicaine de gouvernement et
Militarisation de la vie politique
4) Exemple du Brésil
Constitue une exception à double titre. D’une part, le pays devient indépendant en 1822 sous la forme d’un empire et non d’une république. D’autre part, l’empereur Pierre 1er est le propre fils du roi du Portugal Jean VI.
Néanmoins, c’est le résultat d’un processus analogue à celui qu’on observe dans les colonies espagnoles, semé d’ambiguïtés et de contradictions, évolutif aussi en fonction du rapport des forces, dont les données initiales changent rapidement. Le roi Jean VI, à la différence du roi Ferdinand VII son voisin, n’a pas été capturé par Napoléon, il a pu s’échapper et est parti au Brésil. La cour du Portugal, s’est transportée à Rio en janvier 1808 (les 2 processus sont simultanés). Et c’est la révolution en métropole, (ou plutôt LES révolutions libérales de Lisbonne et Porto) en 1820 qui mettent en question le statut et l’avenir du Brésil. Les cortès du Portugal réclament le retour de Jean VI qui est resté à Rio, pour lui faire accepter une monarchie constitutionnelle. (Un peu comme les cortès de Cadix espéraient qu’à son retour, Ferdinand VII accepterait la constitution libérale qu’elles avaient rédigée). Jean VI accepte de rentrer en avril 1821 mais a pris la précaution de nommer son fils Pierre régent du royaume du Brésil. A partir de là, un bras de fer s’engage, comme entre l’Espagne et ses colonies, qui va obliger chacun à prendre un parti, à choisir un camp (y compris le prince régent Pierre). Les cortès, celles du Portugal, comme d’Espagne, peuvent compter sur l’armée (qui n’est pas très nombreuse). Le prince régent a le soutien d’hommes aux idées, par ailleurs opposées. Les uns ne veulent pas que les cortès l’emportent car à leurs yeux, elles affaiblissent la monarchie. Les démocrates, eux, se rallient à Don Pedro en raison de la politique à leurs yeux anti brésilienne des cortès. D’un coté, les parlementaires sont jugés trop libéraux (on veut maintenir la tradition monarchique), de l’autre, ils sont jugés trop portugais et hostiles au Brésil. Et le régent lui-même, qui est bien loin au départ de vouloir incarner un patriotisme brésilien, entend surtout défendre les prérogatives royales contre le libéralisme. Mais le fait est que la rupture est consommée à son initiative, d’où la célébrité de ce tableau, le cri d’Ipiranga, prononcé devant de maigres troupes le 7 septembre 1822 : « L’indépendance ou la mort »
Le prince régent franchit le pas (et la rivière Ipiranga). La rupture est désormais consommée. Elle va conduire à l’octroi d’une charte en 1824, à la manière de Louis XVIII en 1814. Çà n’empêchera pas que la violence qui accompagne communément la vie politique brésilienne s’intensifie et dégénère en graves affrontements armés.
C’est donc bien sur cette combinaison entre accession à la modernité politique et perpétuation de la violence politique qu’il faut réfléchir.
II) Une modernisation conflictuelle
En 10 ans (1810-1820) s’est donc produit en Amérique un retournement de situation. Alors qu’en 1810, s’exprimait de toutes parts l’attachement à la couronne, au tournant des années 1820, l’indépendance s’impose partout comme la seule solution viable aux conflits nés entre la métropole et ses colonies. Il faut d’abord tenir compte du cours accidenté de l’histoire de la métropole pour le comprendre.
Comme dans le cas du Portugal, dans le cas de l’Espagne, le roi Ferdinand VII, de retour en 1814, rétablit la monarchie absolue et déclare nulles par un décret du 4 mai 1814, les décisions des cortès de Cadix. Il rejette en bloc tout ce que les constituants ont fait. Ceux qui suivaient le mouvement en Amérique, se retrouvent considérés comme des séparatistes et en 1819, le roi envoie un corps expéditionnaire pour réprimer militairement les mouvements séparatistes. Ce qui provoque en Espagne, le 1er janvier 1820, un soulèvement militaire visant à rétablir la constitution libérale de Cadix (Un « pronunciamiento », car s’accompagne d’une proclamation). Cet acte ouvre une période de 3 années que les espagnols appellent « le trienio liberal » ou « trienio constitucional ». En 1823, ce sont les français, envoyés par Louis XVIII, qui mettent fin à cette expérience et rétablissent Ferdinand VII et la monarchie absolue. Ce « pronunciamiento » est le 1er d’une longue série d’actes semblables en Espagne et en Amérique. Prétention des officiers supérieurs à être des acteurs politiques légitimes et tendance à recourir à la violence militaire pour résoudre les crises politiques.
Exemple du Mexique :
François-Xavier Guerra montre la contradiction entre le caractère libéral de l’état proclamé par la constitution mexicaine (élaborée par les minorités éclairées) et les orientations de la société traditionnelle constituée de communautés indiennes ou paysannes, des haciendas et des enclaves seigneuriales , d’une foule de corps fortement hiérarchisés (dont l’Eglise, ordre omniprésent, vu comme clé de voûte de tout l’ancien édifice sociopolitique, et pour cette raison ennemi public n°1 des auteurs de la constitution). Dés lors, le régime libéral est condamné à « une fiction démocratique » : le suffrage universel, s’il avait été appliqué honnêtement aurait donné le pouvoir aux tenants de l’ordre ancien, sans aucun doute.
A) Fiction démocratique et pouvoir militaire
Le 1er effet de l’affaiblissement de la souveraineté de l’ancien régime, c'est-à-dire l’établissement de ces juntes locales d’où part le processus, reflète une tendance à
1) La fragmentation territoriale
Elle est plus accentuée que dans la péninsule où à partir des juntes locales, on a immédiatement désigné une junte centrale. Ici, pas de junte centrale. Avec la vacance du pouvoir royal, chaque junte locale en est venue à se considérer comme un pouvoir constituant autonome. Dans cette perspective où le danger était la désagrégation du pouvoir en une poussière de « pueblos », le problème à résoudre était double : il fallait à la fois mettre en place un état (moderne si possible) et construire une nation.
2) Construction de l’Etat-nation
En somme, il fallait créer une nouvelle unité politique à mesure que les colonies accèdent à l’indépendance, comme au Venezuela, en Argentine, au Paraguay et au Chili, dés 1811-1812. Les 1ers projets de constitution sont restés lettres mortes car il y a eu des reprises de contrôle par les armées de l’Espagne et aussi en raison de 2 tendances désormais divergentes de l’esprit public : d’une part, la « pulvérisation démocratique », prétention des municipalités à l’autonomie (découle de la constitution de Cadix qui admettait la création d’un municipe pour toute population dépassant 1000 habitants) qui appliquent le principe de la représentation la plus proche possible de la base démographique. Cette idée est introduite dans une configuration sociale où l’idée de communauté nationale reste pour beaucoup d’élites locales une abstraction, sans parler du peuple des campagnes.
D’autre part, face à cette tendance, on observe l’effort des militaires pour conjurer ce qu’ils considèrent comme une menace de dilution de la souveraineté.
3) Mise en place des régimes militaires
Dans une logique inverse centralisatrice, (inspirée par le jacobinisme français) les militaires prétendent à la fois représenter eux-mêmes le peuple et incarner l’Etat.
Clément Thibaud analyse ce processus à partir des armées de Bolivar
Dans les guerres d’indépendance du Venezuela et de la Colombie, il a donné naissance au « caudillisme ». (Franco a repris ce terme) « Caudillo » signifie capitaine, ou chef. Le héros du roman Civilizacion i barbarie de 1845, Juan Facundo Quiroga, a fourni le type littéraire du « gaucho » (cow-boy de la pampa argentine) devenu « caudillo ». L’auteur du livre est le futur président de l’Argentine, Domingo Faustino Sarmiento. Il veut montrer que ce processus qui conduit à donner l’autorité à un chef de bande qui sème la terreur dans les campagnes, c’est le règne de la barbarie que la civilisation doit vaincre. La civilisation est le fait de la ville et d’influence européenne contre la barbarie qui est autochtone et rurale et qu’incarne-le « gaucho ».
Longtemps, le « caudillisme » a été interprété dans cette perspective européocentrique (ou occidentaliste) comme un symptôme de sous développement, d’immaturité politique presque incurable. Les historiens marxistes n’ont pas contredit cette vision dans la mesure où ils mettaient, eux, l’accent sur l’aspect économique, sur la dépendance, sur les liens clientélistes existant entre cette pratique politique et la forme d’exploitation dominante de la terre. Les terres (latifundium) exploitées par des masses d’ouvriers agricoles, les « peones », susceptibles de fournir la soldatesque dont les « caudillos » avaient besoin.
Mais les études récentes proposent des analyses moins univoques de ces réseaux et de ces liens qui ont eu aussi un effet éducatif. Dés lors, pronunciamientos et guerre civile n’apparurent plus comme les ratés d’un processus de construction étatique, mais comme des moments marquant l’enracinement de la légitimité républicaine héritée des indépendances. 3 débats prolongés et violents ont contribué à la modernisation politique. Ils connaissent des variantes en fonction du contexte propre à chaque pays, et même à chaque région : (débats non spécifiques, mais de philosophie politique du siècle)
Débat entre conservateurs et libéraux
Débat entre fédéralistes et centralistes
Débat entre les partisans et les adversaires de l’Eglise, cette Eglise catholique qui comptait parmi les principaux propriétaires dans des sociétés peuplées en majorité d’hommes et de femmes qui ne possédaient rien.
Il faut donc reconsidérer la compatibilité entre la construction d’états nationaux et la conservation plus ou moins étendue des structures économiques et sociales d’ancien régime.
B) L’esclavage
Cette notion est liée à celle d’indépendance, d’émancipation et de construction nationale dans les Amériques au 19ème siècle.
On a vu en Europe et aux Etats-Unis comment s’est posé le problème de la citoyenneté : qui peut y accéder ou pas, jusqu’à quel point, pays légal-pays réel. Là où il y a des esclaves, peuvent-ils et dans quelles conditions être intégrés au pays réel, au pays légal ?
1) Longue marche vers l’abolition
Le 19ème siècle est celui de l’abolition de l’esclavage et devait logiquement conduire à la reconnaissance de l’universalité des droits de l’homme. Mais il a fallu beaucoup de temps et de sang pour que s’opère le passage de l’énoncé des principes à leur concrétisation juridique et plus encore économique et sociale. Les 2 révolutions atlantiques (la française et l’américaine, au sens des Etats-Unis) montrent qu’il y a là une sorte de nœud gordien, un enjeu qui plus que tout autre, était de nature à favoriser le passage de la sphère des principes libéraux sur lesquels fonder le nouvel ordre politique à la sphère des bouleversements radicaux de l’ordre social devant lesquels (bouleversements), ceux-là mêmes qui énonçaient les principes avaient tendance à reculer. C’est le cas aux Etats-Unis où les abolitionnistes restaient peu nombreux et très isolés encore dans les années 1820, c’est le cas en France où les assemblées révolutionnaires se sont montrées peu pressées d’aborder un sujet qui restait dominé par des considérations financières bien plus que philosophiques. L’abolition décrétée par la Convention le 4 février 1794 n’est que la ratification de l’initiative prise par le commissaire de la république à Saint Domingue, Sonthonax, dépassé par la révolte à laquelle il croyait pouvoir mettre fin en prononçant de sa propre initiative l’abolition de l’esclavage. La Convention lui donne raison avec une arrière-pensée pas tellement philanthropique, mais plutôt guerrière : elle pense mettre en difficulté l’Angleterre confrontée au même problème dans ses colonies des Caraïbes et y semer le désordre. Si cette île (Haïti, pour sa partie occidentale) est le lieu où l’utopie est devenue réalité, c’est au prix de beaucoup de violences et de misère. Bonaparte y rétablit d’ailleurs l’esclavage dés 1802 et il faudra attendre l’accession à l’indépendance sous le nom d’Haïti en 1804 pour la partie occidentale de l’île pour que la mesure d’abolition soit renouvelée. Et c’est un geste d’une portée symbolique immense dans toute l’Amérique latine.
2) Esclavage, citoyenneté et service militaire
Un lien se noue dés cette époque entre ces 3 notions. Le cas des armées Bolivariennes étudié par Clément Thibaud est exemplaire : très vite, les libérateurs, Bolivar en tête, ont besoin d’hommes à opposer à ceux de l’armée loyaliste. Ce besoin conduit Bolivar à ordonner le recrutement d’esclaves noirs. On leur promet la liberté, au bout de 2 ans de service. On se représente ces hommes comme robustes et facilement prêts à donner une vie qui leur laisse si peu d’espérance. Mais la promesse de la liberté n’attire pas tant de monde que prévu et quelques semaines après leur enrôlement, plus du tiers du contingent servile se retrouve à l’hôpital. Le rapport ainsi établi entre la citoyenneté et l’Etat militaire s’éloigne donc de celui que concevait Rousseau pour qui les enfants de paysans propriétaires devaient mettre plus de conviction à défendre leur patrie (et leurs biens !) que des fils de journaliers qui ne possédaient rien. Pour les élites patriotes bolivariennes, au contraire, l’esclave, parce qu’il n’a rien à perdre, peut identifier ses intérêts à ceux de la République et incarner l’espoir de régénération qui anime en principe le projet républicain. Conception ambigüe bien sûr et qui n’empêche pas les préjugés, notamment sur l’incapacité guerrières des esclaves : on les croit robustes, mais pas pour autant bons soldats.
Clémenceau, le 20 novembre 1917, à la chambre des députés, dit à propos des combattants français : « Ils ont des droits sur nous ». L’idée s’imposait d’autant plus alors que jamais armée n’avait à ce point coïncidé avec la Nation, au sens statistique du terme, jamais n’avait été mobilisée de façon aussi égalitaire en France, une si grande proportion d’hommes en âge de porter les armes. L’idée des droits des anciens combattants, (il ne serait pas venu l’idée à Napoléon de dire une chose pareille) ne s’imposait pas au même degré dans la Nouvelle Grenade de Bolivar, où il ne s’agissait pas d’une même proportion, d’une même représentation statistique. Mais il reste incontestable que ce sont les conditions crées par la guerre qui ont enclenché le long processus d’affranchissement des esclaves, 40 ans avant que ce même processus connaisse pour la même raison une accélération décisive aux Etats-Unis.
3) Chronologie de l’abolition de l’esclavage aux Amériques
Voir ci-dessous
Haïti vient logiquement et symboliquement en tête et on peut regrouper les moments de libération par petites périodes. On voit que ce phénomène suit de prés l’accession à l’indépendance. Elle n’a lieu que dans la 2ème moitié du siècle pour la Colombie de Bolivar et l’Argentine qui avait pourtant énoncé le principe beaucoup plus tôt. Le Brésil est le dernier à abolir l’esclavage, en 1888.
4) Un problème de temps et un problème d’espace
Temps : avant d’en venir à l’abolition complète qui au début du siècle pouvait paraitre utopique à bien des progressistes ou libéraux, 3 mesures transitoires se présentaient qui ont précédé l’abolition complète :
Abolition de la traite. Le commerce des esclaves.
L’affranchissement individuel ensuite, qui n’obligeait pas à prendre une mesure générale.
La « liberté du ventre » : tout enfant d’esclave naît libre. Mais on n’allait pas jusqu’à abolir l’esclavage pour ceux qui l’étaient. Cette mesure a été prise aussi bien par la 1ère assemblée constituante argentine en 1813 (et il faut attendre 1853 pour l’abolition complète) que par le congrès constitutif de la Grande Colombie en 1821 (et la Colombie n’abolira l’esclavage qu’en 1851)
Espace : dans une construction fédérale, il était d’autant plus concevable de rechercher un équilibre entre interdiction et maintien de l’esclavage, que cet équilibre ne se justifiait pas seulement par le pragmatisme politique, mais aussi par des intérêts économiques puissants. C’est tout le sens du compromis qui s’est établi aux EU jusqu’au milieu du siècle. 2 nouveautés complémentaires ont modifié profondément les conditions de possibilité de ce compromis :
L’afflux d’immigrants (surtout dans les états du Nord) qui apportaient avec eux des convictions abolitionnistes et
L’expansion territoriale vers l’Ouest.
Les 2 sont liées parce que parmi ces immigrants, il y avait potentiellement des pionniers pour l’expansion vers l’Ouest.
5) Problèmes de l’expansion vers l’Ouest
Cette expansion s’est faite aux dépens du Mexique et a profondément modifié l’équilibre géopolitique continental.
Le dernier vice roi de Nouvelle Espagne puis l’état Mexicain naissant (après l’indépendance acquise en 1821) ont laissé le territoire du Texas ouvert aux colons venus du Nord et ceux-ci sont devenus nettement majoritaires. En 1834, seulement 3400 mexicains sur 24 700 habitants. Les colons ont proclamé leur indépendance en 1836 (c’est la date de 1845 qui figure sur la carte car les EU en ont fait le 28ème état de l’Union à cette date). Le Mexique ne reconnait pas cette annexion d’où le contentieux entre ces 2 grands prétendants à la domination des territoires de l’Ouest.
La 1ère étape du « Go West », c’est La Louisiane.
La 2ème, 1846 : l’Oregon, 1845 : le Texas et 1848 : tout le reste.
Aux dépens du Mexique, çà signifie la perte de plus de la moitié du territoire. Cette guerre qui dure de 1846 à 1848, est appelée aux EU « the mexican war » et au Sud du Rio Grande, « la intervencion norte americana » ou « la guerra del quarenta y siete » par référence sélective à la résistance mexicaine à l’invasion des Yankees entre mars et août 1847 (de Vera Cruz à Mexico). Par le traité de Guadalupe Hidalgo du 2 février 1848, le Mexique cède à son voisin, outre le Texas dont il n’avait pas encore reconnu la perte, la Californie et le Nouveau Mexique (qui formeront d’autres états par la suite). 5 ans plus tard, le Mexique vend la région de la Messilla et on aboutit aux frontières définitives des EU.
D’un coté se trouvait stimulé le dynamisme expansionniste d’une République Fédérale, économiquement partagée entre des états non esclavagistes en voie d’industrialisation rapide et des états esclavagistes qui tiraient l’essentiel de leurs revenus de la culture du coton. De l’autre coté, se trouvait vaincue et affaiblie, une République, Fédérale elle aussi, celle du Mexique, où les luttes contre les espagnols pour l’indépendance s’étaient prolongées (parce que l’Espagne tenait par-dessus tout à cette colonie) et s’étaient transformées en luttes intestines entre libéraux et conservateurs pour aboutir à la préservation de structures d’ancien régime qui avaient freiné (par rapport au grand voisin) le développement économique du pays.
Mais aux EU, la victoire est aussi un problème. Elle relance le débat sur l’esclavage dans la mesure où elle rend difficile le maintien du compromis par lequel en août 1820 (du temps du président Monroe) il avait été décidé que l’esclavage ne serait admis dans aucun nouvel état situé au Nord de 36,30° de latitude Nord, c'est-à-dire la frontière Nord de l’état du Missouri qui était un état farouchement esclavagiste. Tous ces territoires sont au Sud. Va-t-on admettre au Nord, que partout au Sud il y ait des esclaves ?
En 1854-55, une nouvelle étape du divorce entre le Nord et le Sud : autour de la formation de 2 nouveaux états situés dans la zone sensible, le Kansas et le Nebraska. Le sénateur démocrate de l’Illinois, Stephen Douglas propose habilement de consulter les électeurs et les laisser trancher la question. Ce qui aboutit au Kansas Nebraska Act qui loin d’apaiser les tensions, va les entretenir. Le résultat de l’élection, favorable aux esclavagistes, est immédiatement contesté par l’autre camp ; les débats remontent au niveau fédéral où le président qui ne veut pas trancher, avalise finalement le résultat de l’élection.
Cette carte de 1856 laisse le Texas en blanc, en rose, les états non esclavagistes (la Californie au Sud du 36ème parallèle), en gris, les états esclavagistes (jusqu’au Missouri) et en vert, la réserve fédérale, c'est-à-dire tous les territoires nouvellement acquis qui seront lotis et transformés en états.
On arrive là à un point crucial et dangereux. Si Douglas bat Lincoln en 1858 aux élections sénatoriales dans l’Illinois, 2 ans plus tard c’est Lincoln qui prend sa revanche aux élections présidentielles mais le débat débouche sur la guerre civile.
C) Guerres Civiles
C’est une réalité familière en Amérique latine pour des raisons qui tiennent aux conditions de l’accès à l’indépendance. Double risque de la généralisation : essentialisation de catégories qui ne permettent pas de rendre compte de la diversité des réalités et occultation de l’évolution.
Lorsqu’à la fin de 1810, la junte de Caracas veut imposer l’obéissance aux cités de Coro et Maracaibo (Venezuela), il s’agit de mettre fin à la rivalité entre des cités autonomes pour faire prévaloir une appartenance civique supérieure à l’appartenance locale. Mais imposer l’obéissance, cela signifie recourir aux moyens militaires à titre dissuasif, pour limiter la violence et non pas pour provoquer le bain de sang. Cela justifie de parler de « guerre civique » plutôt que de guerre civile. L’évolution a fait de ce type de conflit une guerre « d’extermination » à fondement idéologique. Il n’y a rien de cela entre juntes en 1810.
1) Guerre de la Triple Alliance
L’Amérique latine a connu une guerre d’extermination au 19ème siècle : celle qui a lieu entre 1865 et 1870 entre le Paraguay et 3 pays coalisés contre lui, (d’où son nom de Guerre de la Triple Alliance) le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay.
Le Paraguay en est sorti exsangue, amputé de parties de son territoire au profit du Brésil et de l’Argentine, et avec une population masculine très réduite. (Il restait en 1870 1 homme pour 3 ou 4 femmes). C’est une guerre pour laquelle il n’y a pas à proprement parler de fondement idéologique. Elle boucle le cycle des guerres « civiles » de La Plata (cycle ouvert par les indépendances) dans la mesure où ces indépendances avaient laissé aux confins entre les états, des zones frontalières indécises (Le Chaco qui sera disputé jusque dans les années 1830 entre le Paraguay et la Bolivie) plutôt que des frontières véritables, des zones où l’identité des populations demeurait floue, où elles pouvaient aisément changer de camp (comme les indiens en Amérique du Nord, comme aussi ce sera le cas dans la guerre du Mexique contre les français dans les années 1860). C’est une guerre interétatique plutôt qu’internationale. Il y est en jeu le mode d’incarnation « caudillesque » de la souveraineté (puisque la république du Paraguay n’était ni libérale, ni démocratique) sans que cela ait affaibli l’autorité de son chef président de la République, Francisco Solano Lopez. (Sera exécuté par ses ennemis le 1er mars 1870). Donc, sur l’ensemble du continent américain au 19ème siècle, la guerre civile par excellence, c’est celle que nous appelons la guerre de Sécession, mais qui aux EU, est désignée comme « The Civil War ».
2) La Guerre de Sécession
a) Les causes
Comme pour tous les évènements dont le bilan n’était pas concevable à leur commencement, le débat sur les causes peut sembler interminable et vain. Selon le point de vue adopté, celui des vainqueurs ou celui des vaincus, on mettra plutôt en avant l’intransigeant attachement du Sud à l’esclavage ou la légitime interprétation de la constitution suivant laquelle chaque état conservait sur son propre territoire une autorité éminente par rapport à celle du gouvernement fédéral, par conséquent, pouvait faire valoir un droit à la sécession. Le fait est que le maintien de l’esclavage était le principal ciment de la confédération. La victoire de l’Union a permis de renforcer les pouvoirs du gouvernement fédéral. Si anciens et si vifs qu’aient pu être les débats sur ces 2 questions, aucun des 2 camps ne s’était vraiment préparé à la guerre pour cela. James Mac Pherson écrit : « Les Etats-Unis ont l’habitude de préparer la guerre une fois qu’ils y sont entrés ». C’est une 1ère explication de la longueur du conflit, 4 ans, d’avril 1861 à avril 1865.
b) Election de Lincoln
C’est l’élection d’Abraham Lincoln à la présidence en 1860 qui a rendu cette guerre inévitable. Les états du Sud ont rejeté en bloc le candidat et le programme du parti républicain. Dés le 4 avril 1861, un mois avant l’entrée en fonction de Lincoln, les états du Sud forment une nouvelle union, les états confédérés d’Amérique, dotée d’un président provisoire, Jefferson Davis.
Les états du Sud n’acceptent pas de rejoindre l’Union, et à l’intérieur de l’Union, on n’acceptera pas leur indépendance.
Compte tenu de l’enjeu économique que représentait le coton, l’échec de la confédération à obtenir la reconnaissance des grandes puissances européennes sur ce point a causé son affaiblissement.
c) Deux théâtres d’opérations
L’un situé à l’Est, entre les 2 capitales qui sont proches, Washington et Richmond pour les confédérés. L’autre à l’Ouest, le long du Mississipi, avec la ville de Vicksburg, le nœud du cours moyen du Mississipi. A partir de la prise de cette ville par l’Union, le 4 juillet 1863, la progression des forces de l’Union vers l’Est, permet de couper en deux (jusqu’à la Caroline du Sud) la Confédération. La bataille de Gettysburg en Pennsylvanie, du 1er au 3 juillet 1863 est la plus coûteuse : 23 000 morts pour l’Union, soit le quart des effectifs, 28 000 pour l’armée du Sud commandée par le général Lee.(le tiers)
Les zones de combat sont toutes situées dans les états du Sud et les états frontaliers. C’est dans le théâtre de l’Est que se manifestent le mieux les capacités militaires des confédérés et de leurs chefs :Jackson, Robert Lee
Le pendant de cette phrase de Robert Lee est donné par un chef du Nord, Sherman : « vous ne pouvez pas qualifier la guerre en termes plus sévères que moi ; la guerre est cruauté et vous ne pouvez pas la raffiner »
Lincoln n’a pas attendu la prise d’Atlanta par Sherman le 2 septembre 1864 (qui devait favoriser sa réélection) pour publier
d) la proclamation d’émancipation des esclaves
Il l’avait fait 2 ans plus tôt, le 22 septembre 1862,
…………………..toutes les personnes tenues en esclavage dans quelque état que ce soit ………….même ceux en révolte contre les EU, seront, maintenant et à jamais, libres »
Ce texte vient à un étrange moment, ni au début, ni à la fin de la guerre. Au début, la priorité allait au maintien de l’Union et au maintien dans l’Union des états frontaliers esclavagistes. (Les états ont beaucoup hésité avant de choisir leur camp.) A la fin, parce qu’il s’agissait d’une arme de guerre contre le Sud, pas de paix. Il s’agit de répondre à un besoin qui est le même que celui que Bolivar a éprouvé en 1820 : il faut des hommes supplémentaires et on va mobiliser des noirs, ce qu’on avait hésité à faire y compris au Nord, jusqu’à ce moment-là. Puis, en annonçant qu’on libère les esclaves du Sud, on va les mettre de son coté. (Espoir en partie déçu). Réélu en 64, victorieux en 65, (Richmond est tombé le 3 avril, Lee a capitulé le 9) Lincoln n’a guère le temps de gagner la paix puisque le 14 avril, il est assassiné au théâtre Ford de Washington, par un acteur, John Wilkes Booth. Cet acteur, militant de la cause des confédérés, avait réuni une troupe de conspirateurs (dont Lewis Paine, voir ci-dessous) qui devait assassiner d’autres personnalités (comme le vice président W. Steward).
Voir Film de John Ford (The prisoner of Shark Island) consacré à un autre accusé dans ce complot, le docteur Samuel Mudd, médecin condamné pour avoir soigné Booth dans sa fuite. Equilibre entre l’humanité du regard et du propos et ambiguïté du paternalisme qui s’y exprime.
Epilogue
3 ensembles de remarques sur des points essentiels :
1) La distinction nécessaire entre indépendance politique et indépendance économique
L’accession à l’indépendance ne signifie pas l’effacement de la présence de l’ancien monde ; Charles Pancha écrit : « Au pacte colonial espagnol succède une emprise commerciale britannique qui, dans la 2ème moitié de siècle, se transforme en impérialisme ». Ce résumé peut paraitre rapide et simple mais il est globalement vrai, à la condition d’ajouter qu’à mesure qu’on approche de la fin du siècle, l’impérialisme britannique est de plus en plus concurrencé par celui des Etats-Unis. La justification nationale de cette concurrence se trouvait déjà inscrite dans « la doctrine Monroe ».
« En ce qui concerne les colonies ou dépendances actuelles de telle ou telle puissance européenne, nous ne sommes pas intervenus et n’interviendrons pas. Mais pour ce qui regarde les gouvernements qui ont proclamé leur indépendance et la maintiennent, indépendance qu’après mûre considération et conformément à la justice nous avons reconnue, nous ne pourrions regarder toute intervention de quelque puissance européenne que ce soit ayant pour but de les soumettre (ces états devenus indépendants) ou d’exercer en quelque manière un contrôle sur leurs destinées (allusion à la « Manifest destiny » à occuper tout l’espace entre le Pacifique et l’Atlantique), que comme la manifestation d’une disposition inamicale à l’égard des EU ».
La perpétuation de certains régimes nationaux passe effectivement dans la 2ème moitié du siècle par l’accroissement de relations économiques inégales avec les EU. Ex, le Mexique, sous la dictature militaire de Porfirio Diaz. (Appelée le « Porfiriat », encore un type de « caudillo »). La meilleure preuve du fait que la distinction entre des territoires qui restaient des colonies et ceux qui n’avaient plus voulu en être, n’a pas résisté à l’évolution (dans le sens d’une plus grande prise en compte du droit des peuples et d’un renforcement du leadership états-unien dans l’espace américain tout en entier) est donnée par la guerre hispano-américaine de 1898. Prétexte : une révolte cubaine contre l’Espagne puis répression par l’Espagne. Elle montre la capacité des EU à mobiliser leur opinion publique pour justifier l’envoi d’un ultimatum à l’Espagne au nom de leurs intérêts nationaux (qui, à priori, ne sont pas directement concernés) et l’issue de cette guerre est claire : c’est au bénéfice des EU que l’Espagne perd ses dernières colonies (Porto-Rico et Cuba, l’île de Guam, les Philippines)
2) Ampleur l’immigration en Amérique
C’est le 2ème moyen par lequel se maintient une forte présence de l’ancien monde dans le nouveau. Il n’y a pas que les EU qui sont concernés : l’Argentine a planifié et financé une politique active en la matière. Alors que la population du pays n’était que d’1 200 000 en 1856, entre 1871 et 1910 pas moins de 3 400 000 immigrés viennent s’installer en Argentine (Italiens : 55%, espagnols : 25%)
Mais il reste que les EU ont été la principale destination et de très loin. Ils ont accueilli au 19ème siècle 28 millions d’émigrants (63% du total des migrants en provenance de l’Europe) (Argentine : 6 millions = 12,3%, Brésil : 4,6 millions, Canada : 5,2 millions mais c’est une porte dérobée vers les EU). Cet afflux massif représente un décuplement de ressources et de force pour ce pays (convaincu de sa « Manifest destiny »).
3) Exclus et révoltés
Il faut tout de même rappeler que ce dynamisme conquérant et bâtisseur, que les espérances qui ont attiré vers ce continent tant d’hommes et de femmes,(la vraie terre du progrès) ont souvent été déçus. Beaucoup d’exclus et de révoltés.
L’histoire de l’Amérique latine a eu tendance à être dominée par un discours pessimiste et misérabiliste où l’accent était mis sur l’injustice et la violence (dues en grande partie aux yankees). Nous n’en sommes plus là aujourd’hui. Les analyses scientifiques ont gagné en rigueur et en précision. Mais ces réalités ont existé massivement, constamment et douloureusement.
Cha-cha- Invité
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