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Message  Cha-cha Mar 13 Déc - 21:32

DE LA NATION A L’ETAT NATIONAL. INSTITUTIONS ET CONFLITS

En 1849-50, l’Empire d’Autriche est parvenu à contenir à la fois l’ambition du Royaume de Piémont-Sardaigne de diriger l’unification italienne et celle du Royaume de Prusse de diriger l’unification de l’Allemagne. L’équilibre européen établi au Congrès de Vienne en 1815 se maintenait donc au milieu du siècle mais de toute évidence contre la volonté de l’opinion dans ces deux espaces. En 1859, le processus unitaire connait une étape décisive en Italie et il ne s’arrêtera pas avant d’avoir conduit à la formation de deux états, qui, en dix ans, du Royaume d’Italie en 1861 à l’Empire Allemand en 1871, modifient profondément, au détriment de l’Autriche, mais aussi de la France, la carte de l’Europe dessinée à Vienne en 1815.
L’objet de ce cours est de comparer ces deux succès du mouvement national, mouvement national momentanément interrompu par l’échec de ce que les italiens appellent le « 48 » (ce mot désigne l’ensemble du cycle révolutionnaire de la fin des années 1840). Ces deux succès soulèvent plusieurs questions : Un premier ensemble de questions concerne la mise en place de l’Etat National (quelles ressources, quels moyens ont permis de réussir ce qui avait été manqué dix ans auparavant ?) puis quelles institutions ont été adoptées pour répondre aux besoins de la Nation. Un deuxième ensemble de questions touche à la Nation elle-même et à son unité. Si l’idée, la cause unitaire, a mobilisé assez d’acteurs pour que sa réalisation devienne possible, dans une large mesure, la nation unifiée restait à construire une fois achevée la mise en place de l’Etat National. Et dès lors, l’évolution des deux pays diffère sensiblement.

D’un coté, nous avons le Reich wilhelminien (Guillaume = Wilhelm). D’un empereur à l’autre, une grande puissance s’affirme, dépassant le cadre d’une volonté de domination continentale à une politique mondiale qui lui assure une « place au soleil ».
La Prusse est parvenue à faire de l’Etat Impérial Allemand la puissance dominante de l’Europe continentale.


Ci-contre, les rois de la Maison de Savoie. Dans cette Italie, elle aussi travaillée par le rêve impérial, deux clichés restent présents et ceci, jusqu’à nos jours, deux clichés moins contradictoires que complémentaires, cliché d’un pays sans état et cliché d’un état sans nation, où si l’on veut, d’un pays où une nation inachevée est gouvernée par un état faible.
On notera la parenté de destin des deux derniers monarques : Guillaume II abdique à la fin de la première guerre mondiale et mourra en exil au Pays-Bas en 1941, Victor-Emmanuel III abdique en mars 1946 et meurt en exil en Egypte en 1947.
C’est cette différence entre ces deux pays aussi qu’il s’agira aujourd’hui d’éclairer.

1 LES ETAPES DE L’UNIFICATION : UN PARCOURS CARTOGRAPHIQUE

1.1 L’Allemagne
1.1.1 L’Allemagne et l’Empire d’Autriche (1800-1806)

1806= fin du Saint Empire Romain Germanique (SERG)

- Une grande partie du Royaume de Prusse, la partie orientale, n’appartient pas au SERG. Il s’agit en grande partie de la Pologne, partagée entre la Prusse, la Russie et l’Autriche en 1795.
- La Vénétie et l’Istrie, tout en appartenant à l’Autriche, sont aussi en dehors du SERG.
- Il existe des enclaves sans continuité territoriale appartenant à la Prusse à l’intérieur du SERG.
- C’est aussi le temps des « républiques sœurs » : République Batave en Hollande, République Cisalpine et République Ligure en Italie.

1.1.2 L’Allemagne et L’Empire d’Autriche (1812) (au temps du grand empire napoléonien)

On remarque deux choses : rétrécissement de la Prusse après sa défaite à Iéna en 1806 et la disparition du SERG, remplacé par une entité plus petite, la Confédération du Rhin, centrée à l’Ouest. Cette confédération ne s’étend pas à l’Est à cause de la Prusse et de l’Autriche, les frontières de cette dernière ayant été un peu modifiées : le Tyrol et Salzbourg sont attribués au Royaume de Bavière, allié de Napoléon, les Provinces Illyriennes sont annexées par l’Empire français en 1809.
Le Grand Duché de Varsovie est crée par Napoléon pour satisfaire le sentiment national polonais, mais sans sa pleine indépendance.


1.1.3 L’Allemagne et l’Empire d’Autriche (1815) (Congrès de Vienne)


- On revient à une grande Prusse, plus grande qu’avant la défaite de 1806. Mais elle ne récupère qu’une partie de ses possessions polonaises de la fin du XVIIIème siècle. Ce qu’on appelle la « Grande Pologne » est attribué à la Russie. En compensation la Prusse récupère dans la zone du Rhin, d’une grande partie de la Westphalie.
- La nouvelle entité qui remplace la « confédération du Rhin », la « confédération Germanique », est un peu plus étendue : la limite sud s’agrandit, l’Empire d’Autriche y occupe une place plus importante que n’était la sienne dans le SERG, la limite nord englobe le Duché de Holstein qui appartient en fait au roi de Danemark.
- Une fois de plus, la bizarrerie qu’une partie des territoires de la Prusse et de l’Autriche ne font pas partie de la Confédération Germanique alors que le Duché de Holstein en fait partie, tout en étant sous une tutelle extérieure à cette confédération.
- L’Autriche a, bien sûr, récupéré ses territoires du Tyrol et de Salzbourg ainsi que les Provinces Illyriennes.

1.1.4 L’Allemagne et l’Empire D’Autriche-Hongrie (1867)



En 1866 a lieu une guerre entre la Prusse et l’Autriche dont on voit les résultats ci-dessus.
- la Confédération Germanique est remplacée par la « Confédération de l’Allemagne du Nord » qui partage en deux l’entité allemande, suivant une ligne est-ouest, avec au sud, quatre états qui n’appartiennent pas à la confédération (Grand Duché de Hesse, le Palatinat-bavarois, la Bavière, le grand Duché de Württemberg et de Bade).
- L’Autriche ne fait pas partie de la nouvelle confédération.
- Le duché de Schleswig, sous autorité danoise, est annexé par la Prusse et fait partie de la confédération.

1.1.5 Les Empires Allemands et Austro-hongrois (1871) (après la guerre franco-allemande)

- Le Reichland d’Alsace-Lorraine s’ajoute à l’Empire Allemand qui englobe maintenant les quatre états allemands du sud et la confédération allemande du nord
- L’Autriche n’appartient pas à ce nouvel empire.
Il n’empêche que ces deux empires qui se partagent l’Europe centrale se réconcilient et même, s’allient à partir de 1879. On parlera des « Empires Centraux » jusqu’à leur commune disparition en 1918.

1.2 L’Italie
1.2.1 L’Italie napoléonienne (1812)
On distingue des entités politiques de cinq types :
- les territoires rattachés à la France, à la république française au temps du Consulat, puis à l’Empire à partir de 1804 : le Piémont, la République Ligure et le Grand Duché de Parme, le Grand Duché de Toscane, les Etats Pontificaux avec Rome, ou encore le Valais enlevé à la Suisse.
- Les territoires qui forment la République Italienne, puis à partir de 1805, le Royaume d’Italie, dont Napoléon est le souverain et son beau-fils, Eugène de Beauharnais, le vice-roi. Il s’agit de la Lombardie, de la Vénétie, du Grand Duché de Modène, de territoires faisant historiquement partis des Etats Pontificaux : la région d’Emilie-Romagne et les Marches
- Les territoires attribués à Elisa Bonaparte, la seule des sœurs de Napoléon qui s’est vue attribuer des pouvoirs politiques, elle est Princesse de Piombino et de Lucques, puis sera Grande Duchesse de Toscane en 1809.
- le Royaume de Naples, théoriquement indépendant, mais sous contrôle français puisque confié en 1808 au beau-frère de Napoléon : Joachim Murat. Ce dernier, à la chute de Napoléon, a tenté de jouer un jeu ambigu, à la fois personnel pour garder et sauver son royaume, et dans une certaine mesure patriotique pour se mettre à la tête d’un projet d’unification de l’Italie. Capturé en Calabre, il sera fusillé le 13 octobre 1815.
- Les deux royaumes insulaires non occupés par la France pendant l’Empire : celui de Sicile et celui de Sardaigne. Ils redeviendront, après 1815, les deux principaux royaumes de la péninsule: le Royaume de Piémont-Sardaigne et le Royaume des deux Siciles.

1.2.2 L’Italie de la Restauration (1815-1859)

Elle est caractérisée par trois ensembles de territoires :


- le royaume des deux Siciles et le Royaume de Sardaigne, les Etats Pontificaux rétablis. On signale la petite République de Saint-Marin qui est restée indépendante pendant toute cette période.

- le Royaume Lombard-Vénitien, rattaché à l’empire d’Autriche.

- une mosaïque de grands duchés : Parme, Modène, Massa, Lucques, Toscane sous contrôle indirect de l’Autriche par des liens de parenté ou sous contrôle politico militaire.








1.2.3 Les étapes de l’unité territoriale (1859-1870) Quatre étapes :

1) 1859. C’est la Lombardie qui est obtenue par le Piémont après les victoires de Magenta et Solferino
2) 1860. Les modifications territoriales résultent de consultations électorales de type plébiscite. Les uns permettent le rattachement du Comté de Nice et de la Savoie à la France, les autres, en Italie centrale permettent le rattachement des grands duchés et de la partie nord des Etats Pontificaux. Après les expéditions de Garibaldi qui a conquis la Sicile, puis, avec le consentement du Roi du Piémont et de son gouvernement, le Royaume de Naples. Le roi bourbon des deux Siciles, François II, s’est réfugié dans la forteresse de Gaète, auparavant lieu de refuge en 1848 de Pie IX et du grand Duc de Toscane en 1849. Il capitule le 13 février 1861, ce dernier verrou sautant, Victor- Emanuel II est proclamé roi d’Italie le 14 mars 1861. Mais à cette date, les plébiscites ayant eu lieu, en mars 1860 pour l’Emilie-Romagne et la toscane, et en novembre 1860 pour les Marches et l’Ombrie, il ne manque que la Vénétie et Rome. Et donc, la capitale reste à Turin. Le Pape reste un obstacle à l’achèvement de l’unité. Les Piémontais ont dû, pour faire leur jonction avec les garibaldiens, battre les troupes pontificales commandées par le général français La Moricière le 18 septembre 1860, à Castelfidardo.
3) 1866-1867. Le changement d’alliance du royaume d’Italie qui, à la France protectrice du Pape, a préféré la Prusse a permis de récupérer la Vénétie après plébiscite (21 et 22 oct.), suite à la victoire en 1866 de la Prusse sur l’Autriche et ce, malgré les défaites de Custoza (24 juin) et sur mer, de Lissa (20 juillet). Mais il reste toujours Rome et le Latium. Les troupes garibaldiennes tentent une nouvelle fois de prendre la ville, mais ils sont défaits à Mentana par les troupes pontificales appuyées par des renforts français le 3 novembre 1867.
4) Il faut attendre le 20 septembre 1870, deux mois après la déclaration de guerre de Napoléon III à la Prusse, pour que les italiens prennent Rome ; après le plébiscite organisé le 2 octobre qui donne une majorité écrasante en faveur du rattachement de Rome et du Latium, Rome devient la capitale du royaume le 3 février 1871. Le Pape Pie IX décide alors de se considérer comme prisonnier au Vatican. Il faudra attendre trente ans pour que son successeur, Léon XIII, prononce le 20 septembre 1900 la dissolution des Etats pontificaux. Et c’est seulement le 11 février 1929, avec les accords du Latran, que les relations entre la Papauté et l’Italie seront normalisées.

2 VERS UN ETAT NATIONAL ALLEMAND
2.1 Les contrastes de l’historiographie

La première tendance qui s’est imposée comme souvent a été celle (dans l’historiographie de l’unification allemande) qui a donné raison au vainqueur, à la conception dite du « kleindeutsch » (petite allemande), c’est à dire sans l’Autriche, ou encore celle de Bismarck. Cette conception de l’école historique allemande dominante entre 1871 et 1918 a été présentée comme fatalement vouée à l’emporter. C’est là le point d’aboutissement logique d’une conception hégélienne de l’Histoire. Or, si grand qu’il ait été, le génie de Bismarck ne peut pas faire oublier que le Reich de 1871 peut apparaitre comme une « construction accidentelle », le résultat de la fortune de la guerre qui aurait pu tourner autrement, une forme étatique unifiée parmi d’autres possibles.
Le XXème siècle a, d’ailleurs, montré que cette lecture nationaliste prussienne pouvait être remplacée par une conception nationaliste allemande en vertu de la conception « groβdeutsch » (grande allemande). La guerre entre la Prusse et l’Autriche en 1866, mais aussi avec les alliés allemands de l’Autriche, pourrait être appelée « deutscherkrieg » (guerre allemande) voire « deutscher Bruderkrieg » (guerre civile allemande ou guerre fratricide allemande). Cette guerre a conduit à l’exclusion forcée de l’Autriche hors d’une Allemagne où elle avait sa place naturelle (du moins pour certains).
Cette conception qui fait prévaloir la notion de peuple allemand sur celle d’état allemand a pu justifier, aussi bien l’anschluss de 1938 (rattachement de l’Autriche au Reich) que le rattachement des Sudètes au IIIème Reich en 1939. L’anéantissement de cette Allemagne en 1945 a eu deux conséquences majeures sur l’historiographie de l’unification.
D’une part, il a redonné du crédit à une conception qu’on pourrait dire de troisième voie, la voie fédérale, le « Bund », et cette voie fédérale avait précédé l’unification sous la domination de la Prusse (du temps de la confédération germanique) et cette formule avait gardé la faveur des états allemands autres que la Prusse et l’Autriche qui étaient attachés à un équilibre, évitant de tomber sous l’autorité de l’un ou de l’autre. L’idée selon laquelle, tant le développement économique que la sécurité, auraient fort bien pu être assurés dans le cadre fédéral, ne pouvait qu’inciter à remettre en question le rôle du nationalisme dans l’unification. Deux objections contre ce schéma d’un processus obéissant plus à une logique nationaliste devraient être prises en compte :
1) Toute une partie du mouvement national n’était pas nationaliste au sens pangermanisme que ce mot a pris à la fin du siècle. Depuis le temps que les allemands appellent « vormӓrz », (le temps d’avant mars), d’avant la révolution de mars 1848, il existait des tendances unitaires, (radicales et libérales), ou (radicales ou libérales). Pour la tendance radicale, conformément à l’héritage révolutionnaire, l’idée nationale était indissociable de celle de la souveraineté du peuple. C’est celle qu’incarne, par exemple, un Wilhelm Liebknecht pour qui la social-démocratie était seule capable de faire de l’Allemagne un état national démocratique. Les libéraux, quant à eux, concevaient l’état national comme un état constitutionnel, où des droits égaux seraient garantis à tous les citoyens. Et si, une bonne partie d’entre eux, ont soutenu Bismarck, c’était avec l’espoir de l’amener, et d’amener la majorité parlementaire, à prendre des réformes libérales qui libéraliseraient ce régime impérial et c’est cet espoir qui a été déçu. Ce qui l’a emporté en fait, conformément aux vues du Chancelier, c’est une révolution par le haut obéissant à une logique dynastique pour mieux prévenir les risques d’une révolution par le bas qui aurait pu conduire rapidement vers la démocratie parlementaire et c’est ce dont ne voulaient ni l’Empereur, ni son Chancelier. Cette interprétation ne risquait guère d’être démentie par les historiens marxistes de la RDA après 1945, pour qui le caractère de l’unification résultait de la convergence du militarisme prussien et du capitalisme industriel. Quoique critiques pour le Reich Wilhelminien, ces historiens marxistes appuyaient ainsi comme malgré eux, la conception téléologique « kleindeutsch » de l’histoire de l’unité.
2) La deuxième objection à prendre en compte est le caractère limité de la demande populaire d’unification. L’économie allemande en 1871 restait dominée par l’agriculture. Le sentiment d’appartenance demeurait avant tout local et régional. Les dynasties princières bénéficiaient encore de la loyauté d’une bonne partie de leurs sujets. L’identité, si l’on tient à ce terme, était déterminée par l’attachement confessionnel au moins autant que par le sentiment d’appartenance nationale, et cet attachement confessionnel, c'est-à-dire la religion, était un facteur de division plus que d’unité dans l’espace allemand. Cette lecture peut conduire à réduire la lutte pour la suprématie entre la Prusse et l’Autriche à une question de leadership où les sentiments populaires, en somme, importaient peu. Vous voyez que l’on ne saurait aller plus loin à l’opposé de la thèse « kleindeutsch » présentée initialement. Au lieu d’une unification qui aurait pris la seule forme possible, n’aurait-on pas affaire à une unification qui se serait jouée dans le seul affrontement entre deux grandes puissances, affrontement dont l’issue aurait pu tourner autrement. Il reste donc à comprendre pourquoi et comment, dans une Europe où depuis le milieu du siècle existait un mouvement tout de même grandissant en faveur d’états nationaux auxquels étaient associés des idées de progrès, de modernité, de liberté, de convergence entre les peuples et les gouvernements, pourquoi dans ce contexte, c’est la forme prussienne autoritaire et militariste qui s’est imposée pour l’état allemand.

2.2 Les voies de l’unification

Pour aller à l’essentiel, on va mettre l’accent sur cinq points :

1) Culture et sociabilité nationales. On se représente traditionnellement le nationalisme allemand comme culturel, appuyé sur la langue telle que Luther l’a fixé au XVIème siècle, et sur une alphabétisation plus avancée, en raison même du protestantisme et de l’obligation qu’il fait à chaque croyant d’accéder directement aux textes sacrés, alphabétisation plus avancée qu’à l’ouest et au sud de l’Europe. Cette réalité est incontestable, mais alphabétisation ne signifie pas automatiquement grande étendue de la culture écrite, ni orientation de cette culture vers le nationalisme.
Majoritairement rurale, la société se caractérise jusqu’au milieu du siècle par deux tendances contraires mais complémentaires, ou une tendance à l’émigration et à l’émigration lointaine et sans retour, ou une tendance à la stabilité très forte (on s’éloigne peu de sa région). Le rôle d’intermédiaire culturel des fonctionnaires, des instituteurs, des pasteurs, est réel, mais il ne doit pas être surestimé. La participation populaire à la guerre de libération à partir de 1813 contre les français et leurs alliés, est une des pages du roman national, écrite à postériori, et en partie mythologique comme l’est pour la France, celle des volontaires de l’an II. Plus importante sans doute, est la fonction d’acculturation que remplissent les associations de divers types auxquelles la libéralisation relative des états des institutions à la fin des années 1850, ouvre un espace de plus grande influence, cercles de lecture dans cet espace alphabétisé, sociétés savantes, artistiques et musicales, sociétés de gymnastique et de tirs, toutes sociétés nombreuses, jouent un rôle important, d’autant plus important, que, quoi qu’elles soient de recrutement local , elles correspondent entre elles et organisent des rencontres régionales, voire nationales. Emblématiques apparaissent les sociétés d’histoire locale qui établissent des liens avec la société d’histoire ancienne de l’Allemagne (Gesellschaft fϋr Deutschland Ältere Gesichtkunde) fondée en 1819 par le Baron Heinrich Friedrich vom Stein (1757-1831), un des principaux réformateurs de l’Allemagne après l’humiliant traité de Tilsit en 1807. Afin de participer, les unes et les autres, à la grande entreprise d’exhumation et d’édition de ce qui s’appelle les Monumenta Germaniae Historica, c'est-à-dire, tous les restes écrits médiévaux en relation avec l’histoire de l’Allemagne dans une logique romantique de recherche des racines médiévales de la Germanité. Un autre enjeu, que soulève l’association comme expression de la société civile, est la capacité à associer unification et libéralisme. La création de l’association nationale allemande Deutscher Nationalverein à Francfort en septembre 1859 a été suscitée par les évènements d’Italie. Les victoires de Magenta et Solferino de l’été (le Piémont est assuré à ce moment-là de récupérer la Lombardie). Cette création répond à une aspiration libérale très nettement affirmée. Elle se prononce comme s’était prononcé le parlement de Francfort dix ans auparavant, pour une petite Allemagne réunie autour de la Prusse, mais dans une optique libérale. Contre cette solution, l’Autriche encourage en octobre 1862 la création d’une association concurrente, association pour la réforme, soutenue par les catholiques, c'est-à-dire les états du sud, favorables seulement à une réforme du Bund et de la confédération germanique d’où sortirait une grande Allemagne incluant l’Autriche. En janvier 1863, l’Autriche propose de créer une assemblée de la confédération (on voit bien, à partir de ce moment-là, que la concurrence entre l’Autriche et la Prusse se traduit par une sorte de surenchère de propositions allant dans un sens apparemment démocratique). L’Autriche propose une assemblée où les délégués seraient élus au suffrage indirect, à quoi Bismarck, alors tout nouveau ministre-président (du conseil des ministres), n’hésite pas à surenchérir en proposant l’élection de ce Bundestag (assemblée du Bund) au suffrage universel masculin, alors qu’il n’est pas, lui-même, un démocrate, mais parce qu’il sait que cette proposition est inacceptable pour l’Autriche. Il s’agit, dès lors pour lui, de renforcer, dans la classe moyenne libérale qui aspire à ce type de démocratisation, une orientation pro-prussienne, justifiée par ailleurs par les succès économiques dus à l’union douanière entrée en vigueur à l’initiative de la Prusse en 1834.

2) Le Zollverein, 1 janvier 1834. Il y a quatre étapes dans l’unification douanière (suppression des tarifs à l’intérieur de l’union et maintien de tarifs protectionnistes aux limites du Zollverein). Tout commence, en fait, par le besoin pour la Prusse, compte tenu de sa discontinuité territoriale, d’abolir les tarifs internes, c'est-à-dire d’établir la liberté de circulation des produits et marchandises dans son espace national. Cela a entrainé une dynamique pour les autres, parce que la constitution du Bund le permettait, ont eu tendance à s’entraider à la fin des années 1820. Et c’est ce mouvement qui a abouti en 1834 à la création de cette union douanière, le Zollverein. Les états du sud, en vert, rejoignent le Zollverein dès cette époque. En 1836, lorsque se sont rajoutés le Grand Duché de Bade, la Hesse-Nassau, le zollverein réunit 25 états et 25 millions d’habitants. L’Autriche reste en dehors, ainsi que les états du nord qui ont des accords douaniers avec l’Angleterre, les ports hanséatiques (ne pas oublier que comme Francfort, ces grands ports sont des villes libres). Au début des années 1850, la Prusse parvient à imposer l’exclusion de l’Autriche qui aurait bien voulu y entrer, au moment où se négocie l’entrée des états du nord, en particulier du principal, le Hanovre en 1851. Le traité est renouvelé en 1853 sans l’Autriche, comme il le sera à nouveau en 1866. Dernière étape, l’entrée des Duchés danois, Schleswig Holstein, le port de Lubeck et en 1871 le Reichland d’Alsace Lorraine. Hambourg et Brême sont intégrés plus tardivement en 1888. On peut comprendre dans ces conditions, John Maynard Keynes, dans The Economic Consequences of the Peace, 1919, où il tire les leçons de sa participation à la conférence de la paix à Versailles, ait pu écrire en reprenant une célèbre formule lancée en 1862 par Bismarck, selon laquelle les grandes questions du moment allaient se régler par le « sang et l’acier », Keynes change un des termes de ce diptyque : « the german empire has been built more truly on coal and iron than on blood and iron »..
Si l’on tend plutôt aujourd’hui à souligner la portée essentiellement économique de cette union dont l’objectif n’était pas de contribuer directement à l’unification politique, Sandrine Kott, dans L’Allemagne au XIXème siècle, 2004, rappelle dès la période du Vormӓrz, certains font le lien entre l’unité économique et la possible constitution d’une nation allemande. C’est le cas de Friedrich List (1789-1846), l’un des principaux partisans de cette unité douanière, fondateur du journal du Zollverein, le zollvereinblatt, en 1843, défendant le protectionnisme aux frontières de l’union douanière. Ce mouvement d’opinion, qui se renforce dans les années 1850-60 a certainement joué en faveur de la Prusse, mais peut-être pas autant qu’on pourrait le croire, dans la mesure où c’est la Prusse qui capitalisait les bienfaits du système plus encore que les autres et que cela pouvait contribuer à aviver une certaine hostilité dans des états plus ou moins contraints d’entrer dans le système. Mais ce qui en jeu, n’est pas seulement la capacité de la Prusse à s’imposer dans un processus unitaire face à l’Autriche, c’est aussi l’orientation que la Prusse est amenée à donner à cette unification et c’est donc ce qui se joue à l’intérieur même du Royaume de Prusse entre le libéralisme et une conception plus autoritaire des chose qui est important, à un moment où se joue le conflit institutionnel

3) Ce conflit est capital parce que c’est lui qui amène l’arrivée au pouvoir de Bismarck, et c’est à partir de lui que Bismarck déploie une exceptionnelle habileté pour instrumentaliser le mouvement en faveur de l’unité, mouvement le plus souvent d’inspiration libérale, au service d’une conception tout autre, dynastique et autoritaire de la politique prussienne. Au départ, il s’agit d’un projet de réforme militaire proposée en février 1860 par le roi Guillaume Ier et défendue par son ministre de la guerre Albrecht Von Roon. Ce projet prévoit une augmentation des effectifs de l’armée, passant de 150000 à 220000 hommes, et dans ce but, l’allongement de la durée du service militaire de deux à trois ans, ainsi qu’une dissolution de fait de la garde nationale, la Landwehr, qui serait absorbée dans cette armée. Ces deux derniers points sont très contestés par les députés, en particulier par les libéraux, parce que la Landwehr créée en 1813, symbolise l’alliance du peuple et de l’armée, tandis que l’allongement du service est conçu comme un premier renforcement de la discipline qui va dans le sens d’une militarisation autoritaire (il ne s’agit pas de faire des citoyens soldats mais des soldats tout court). Et l’enjeu n’est pas seulement militaire, il est aussi politique : il tient aux rapports de force entre le Roi et la chambre des députés. Le Roi est le chef des armées et il finit par retirer le projet de loi de la compétence des députés comme la Constitution l’y autorise, mais les députés pensent alors avoir le dernier mot en refusant au Roi le vote du budget nécessaire à la réforme (dans cette logique parlementaire où le parlement a le dernier mot). Malgré l’opposition des députés, le Roi va pouvoir passer en force et va donner, avec l’aide de Bismarck, une orientation nouvelle au cours de la politique prussienne et par la suite allemande. Dans l’immédiat les libéraux paraissaient avoir le vent en poupe : la partie la plus avancée s’organise alors en « parti libéral du progrès ». Ils se sentaient d’autant plus maitres du jeu qu’ils sortaient renforcés des élections les unes après les autres : en décembre 1861, ils obtiennent la majorité et le Roi use alors de son droit de dissolution le 11 mars 1862. Mais l’élection du 6 mai renvoie une majorité très hostile à sa politique ; C’est un échec cuisant pour lui et les conservateurs qui le soutiennent, au point qu’à l’automne, il envisage sérieusement d’abdiquer en faveur de son fils Frédéric, connu pour être beaucoup plus libéral que lui. On a là, une circonstance politique tout à fait cruciale, qui aurait pu changer le cours de l’histoire. Au lieu de cela, il fait appel à Bismarck qu’il nomme ministre d’Etat et Président du Conseil le 22 septembre 1862 (celui-ci ne rendra le pouvoir qu’en mars 1890 !). Et pour dénouer la crise, ce dernier a deux idées complémentaires, audacieuses et risquées :
- La première était de soutenir, que dans des situations de blocage politique dans lesquelles la constitution ne fournit pas de solution, il appartient au Roi, seul détenteur de la souveraineté, de gouverner et non pas seulement de régner. Et de gouverner, le cas échéant, sans budget voté par les députés. C’est opter pour une épreuve de force qui va passer par des dissolutions répétées en 1863 et 1865, une vigoureuse répression politique frappant les fonctionnaires et les juges libéraux, une reprise en main très autoritaire de la vie politique prussienne.
- La deuxième idée : pour faire passer cette politique dure, brutale et dénouer le conflit intérieur, il opte pour une politique extérieure ambitieuse et volontariste, pour un coup d’accélérateur donné à l’unification sous la conduite de la Prusse afin de capter le sentiment national au service de la réalisation de l’unité. Il fallait pour faire ce calcul, beaucoup de confiance en soi et beaucoup de foi dans les vertus mobilisatrices de la guerre.

4) Trois guerres dont Bismarck réussit à faire les instruments de l’unification, en réussissant deux choses : empêcher leurs extensions et persuader une majorité de l’opinion qu’elles sont nécessaires à la poursuite de l’unification nationale.
- la première, en 1864, la guerre des Duchés Danois, sera la plus limitée. Elle permet d’arracher aux danois les duchés de Schleswig et d’Holstein. L’Autriche qui sent le danger, s’associe avec la Prusse et partage momentanément la tutelle sur les duchés.
- car en 1866, c’est l’affrontement entre les deux puissances à la suite de la proposition prussienne, le 10 juin, d’une réforme du Bund prévoyant l’élection d’une assemblée où l’Autriche ne serait plus représentée, assemblée qui pourrait voter des lois, dotée d’un exécutif et d’une armée (donc un état minimal). L’habileté de Bismarck consiste à donner à ce coup de force prussien, les apparences d’un but de guerre nationale. Bismarck et son gouvernement ont déjà, au moment où ils font cette proposition, préparé avec le plus grand soin cette guerre engagée dès le 15 juin avec l’invasion du Hanovre. Bismarck va mettre autant de soin à préparer l’après-guerre, (après la victoire foudroyante de Sadowa le 3 juillet). Il faut trouver le terme d’une paix qui ne soit pas humiliante pour les vaincus (parmi lesquels il y a les alliés allemands de l’Autriche) et qui préserve les chances d’achever une unité encore incomplète. Le 21 août, 17 états souscrivent au projet de « Confédération de l’Allemagne du Nord ». Le 23 aout, est signé à Prague, le traité de paix avec l’Autriche : La Prusse annexe purement et simplement le Hanovre, le Nassau, la Hesse-Cassel et Francfort, mais les états du sud, alliés de l’Autriche, sont épargnés pour ménager l’avenir, ainsi que le Grand Duché de Bade qui était resté neutre.
- La troisième guerre décisive sera celle que Napoléon III va déclarer à la Prusse le 19 juillet 1870. Et contrairement à ce que l’Empereur espérait, mais conformément aux calculs de Bismarck, cette guerre a soudé autour de la Prusse l’ensemble des allemands et a fait basculer les états du sud du coté de la Prusse. Le 18 janvier 1871 a lieu la proclamation de l’Empire Allemand dans la Galerie des Glaces de Versailles.

5) Cette unification, dans cette étape finale est bien le fait des princes. Lorsque, à l’automne 1870, à Versailles, Bismarck a lancé cette formule : « Il faut que tout repose sur la libre décision des futurs partenaires », il a en tête l’adhésion des princes et non pas celle des populations. A la différence de ce qui s’est passé en Italie, il n’est pas question de plébiscites et surtout pas dans les territoires alsaciens et lorrains annexés sous le nom de Reichland quelques mois plus tard. Il y a d’âpres marchandages entre les princes et Bismarck, dont un des plus révélateurs est celui avec la Bavière : pour obtenir que Louis II de Bavière, très réticent au départ, n’hésite plus à offrir la couronne impériale à Guillaume au nom des princes allemands, Bismarck propose de mettre à sa disposition une partie de la fortune de la Maison Royale de Hanovre qui avait été saisie par la Prusse en 1866 et il intéresse à l’affaire le conseiller intime de Louis II, le Comte Von Holnstein, à qui il confie une lettre dont il a lui-même rédigé le contenu. Il tient à mettre l’accent sur le caractère du nouvel état, confédération de monarques souverains plus que sur la satisfaction donnée aux aspirations nationales des peuples ou de la bourgeoisie libérale.

3 DE L’UNIFICATION DE L’ITALIE A L’UNITE DES ITALIENS

[extrait du film Senso de Visconti qui commence par un extrait d’un opéra de Verdi. [(Vittorio Emmanuele Re D’Italie)]

Suivant les plus récents travaux des historiens, on peut mettre en avant trois modèles :
- le premier est celui où la convergence entre la nation et l’état remonte loin et est parachevée au XIXème siècle par l’adoption d’un régime politique identifié à la nation elle-même. (c’est le cas de la République Française).
- le deuxième se situe à l’opposé, puisqu’il y a dissociation entre la pluralité de nations ethniques et culturelles et l’unicité de l’Etat sur le territoire où elles vivent (c’est le cas de l’Empire multinational Austro-Hongrois ou Russe ou Ottoman)
- le troisième est celui où la revendication « nationalitaire » d’un état indépendant et fort, revendication au nom de la nation comme héritage culturel commun et aspiration à la liberté, aboutit à la création d’un état unifié (ce sont les cas de l’Allemagne et de l’Italie). Et dans ces deux cas, entre 1848 et 1871, se joue, pour reprendre les mots de Gilles Pécout, « le moment crucial de rencontre entre les divers courants nationalitaires et le pouvoir politique dominant, pour déboucher sur la création d’un état territorial indépendant ». Dans le cas allemand, nous venons de voir comment la guerre a été l’instrument qui a permis d’infléchir dans un sens bien particulier, le mouvement à la fois nationalitaire et libéral. Même si tout n’était pas joué en 1871, la politique de Bismarck a donné au processus, un tour à la fois dynastique, autoritaire et militaire qui apparait à la fois comme un détournement et un rétrécissement des possibilités de développement libéral de l’état national allemand. Dans le cas italien, nous retrouvons logiquement les mêmes débats sur les données initiales du processus et les facteurs de son déroulement : action des élites sociales, maitresses de l’héritage culturel et du pouvoir politique, importance des guerres d’indépendance au bénéfice soit du Piémont (du point de vue de l’état territorial) soit de la dynastie de Savoie (du point de vue de la souveraineté politique), en réalité les deux à la fois, grâce à l’habileté diplomatique de Cavour, qui est l’homologue piémontais de Bismarck. Il faut y ajouter l’originalité du volontariat populaire en faveur de l’idée républicaine, derrière Mazzini, volontariat prêt à porter les armes sous le commandement de Garibaldi. Il n’y a pas ici un seul père fondateur, mais plusieurs. Volontariat qui possède en plus l’originalité d’être international. Ces trois éléments : rôle des élites sociales, renforcement par la guerre de la légitimité de la dynastie de Savoie et volontariat, ont en commun de répondre à une conception volontariste du processus selon laquelle les conditions de la naissance de l’état national auraient été déterminées par la préexistence de cette conscience, de cette opinion, de cette culture nationalitaire. On retrouve une problématique comparable à celle de la vocation prussienne à réaliser l’unité dans la version « kleindeutsch ». Comme pour l’Allemagne, cette conception n’est pas unanimement admise, elle a même pu être radicalement contestée par des auteurs comme Sergio Romano qui ont entrepris de déconstruire ce qu’ils appellent l’idéologie « risorgimentale », à leurs yeux, trop téléologique, comme a pu être jugée trop téléologique l’historiographie nationaliste allemande. Et ces auteurs ont soulevé la grande part de contingence dans cette phase de la réalisation de l’état unitaire. Pour Sergio Romano, la création de l’état italien est largement le fruit des circonstances et des rapports de force intérieurs et extérieurs tels qu’ils se révèlent au cours même du processus : absence d’un véritable projet unitaire dans la classe dirigeante turinoise à la fin des années 1850 encore. Mais conception rapide d’un état unifié devant deux choses que les élites piémontaises découvrent en cours de route : la fragilité du Royaume des deux Siciles, qu’ils n’avaient pas imaginée si grande et la faiblesse des résistances ou des alternatives opposées à l’unification sous la forme du rattachement au Piémont dans les autres parties de l’Italie. Comme en Allemagne, la remise en question des interprétations traditionnelles du risorgimento n’est pas idéologiquement neutre parce que l’historiographie de la nation ne peut pas être dissociée de l’histoire de la nation. De même que la bipartition de l’Allemagne après 1945 devait avoir des effets sur l’historiographie de l’unification allemande, de même, pour l’Italie contemporaine et dans l’Italie contemporaine, où l’on s’inquiète à la fois de la faiblesse du sentiment national et de celle de l’état, on a eu tendance à minorer l’importance des sources nationalitaires et humanitaires du risorgimento. Et si l’historiographie récente a eu un certain succès, c’est en raison de l’examen critique de deux débats complémentaires sur la nature du processus désigné sous le nom générique de « risorgimento ». Un premier débat a porté sur les limites chronologiques du processus. Cela justifiait de l’examiner dans sa plus grande extension, depuis la source que constituait pour lui aussi les Lumières et les réformes introduites dans les états de la péninsule au temps du despotisme éclairé, jusqu’au Traité de Saint-Germain en Laye de 1919 avec l’Autriche (qui ne satisfait qu’en partie les revendications territoriales des nationalistes puisque l’écrivain Gabriele D’Annunzio en vient à tenter en 1920, un coup de force pour obtenir le rattachement à l’Italie du port de Fiume). Et le choix de ce large intervalle, du XVIIIème siècle jusqu’à l’après première guerre mondiale, justifie de faire une grande place à la question de savoir jusqu’à quel point, un fois l’état national constitué, entre 1870 et 1914, l’intégration nationale a progressé dans le cadre de cet état unifié, parce que le fascisme devait faire de l’accomplissement des promesses du risorgimento, (donc de l’inachèvement du risorgimento), un des thèmes de sa propagande.
L’autre débat porte sur la dualité du risorgimento, dualité différente de celle qui existe en Allemagne entre les conceptions kleindeutsch et groβdeutsch, mais dualité où se rencontrent (et à certains moments s’affrontent) une révolution populaire et une révolution venue d’en haut comme la révolution bismarckienne .Encore ne faut-il pas entendre le mot « populaire » ou « peuple » dans une acception uniquement sociale, dans une optique de lutte de classe, mais dans une acception politique large et dans la perspective de la participation démocratique qui passe en Italie, à la différence de l’Allemagne, par les plébiscites de 1860 et de 1870 (pour Rome et le Latium).
Ce qui nous rend sensible la comparaison entre les grands débats historiographiques sur l’Allemagne et l’Italie, c’est que la nécessaire critique de l’héritage nationaliste et téléologique, a, dans les deux cas, des motivations et des effets contrastés. Dans le cas allemand, le processus unitaire en est venu à s’incarner dans un homme d’état, Bismarck, qui a, lui-même, beaucoup contribué à ce phénomène d’identification en raison de sa longévité qui va lui donner le temps de se construire en héros national par excellence. Dès les lendemains de sa retraite, en 1890, donc dès avant les grandes catastrophes du XXème siècle, certains ont pourtant commencé à considérer son héritage comme néfaste. C’est ce que pensait l’historien de l’Antiquité, Theodor Mommsen (1817-1903) : les torts de l’époque bismarckienne étaient infiniment supérieurs à ses bienfaits, « les gains de pouvoir étaient des valeurs qui redisparaîtront dès la prochaine tempête de l’histoire. Mais l’asservissement de la personnalité allemande, de l’esprit allemand est une fatalité à laquelle il n’est plus possible de remédier ». Ces paroles amères peuvent paraître étonnamment prophétiques, mais ces paroles étaient dictées par une conception typique de l’histoire du XIXème siècle, par la place qu’elle fait à la continuité, à l’idée de fatalité. Et au fond de cette mise en accusation de la contribution bismarckienne au nationalisme allemand, il y a la certitude de l’existence d’une personnalité allemande, d’un esprit allemand, dont ces critiques se plaisent à imaginer qu’il aurait pu donner un autre cours à l’histoire d’un état allemand unifié dont le caractère inéluctable n’est pas en lui-même mis en doute, parce que l’état prussien, lui-même, avait préexisté à l’unification, comme les potentialités réformatrices et libérales, qui existaient encore pour lui, comme pour les autres états allemands au milieu du siècle. La situation n’est pas du tout la même en Italie où le même type de démarche critique sur l’héritage du risorgimento conduit à une remise en question beaucoup plus radicale, et de la nation, et de l’état, et de la personnalité italienne.

3.2 Les limites de l’unité

Dans un premier temps, il faut porter attention à la façon dont l’unité a progressé dans le nouveau cadre étatique. La mise en place des institutions de l’état unitaire italien obéit à une logique centralisatrice qui n’a rien à envier à celle de la Prusse ou à celle de la France, prise comme modèle d’ailleurs du découpage administratif inscrit dans les décrets préparés par le toscan Bettino Ricasoli (1809-1880) et adoptés en octobre 1861 après la création du royaume. Ce royaume est divisé en provinces (provincie), correspondant aux départements français, provinces subdivisées en arrondissement (circondari), qui le seront ultérieurement en cantons (mandamenti). Il y a 59 provinces en 1861 et 69 en 1871, après le rattachement de la Vénétie et du Latium.
Ce processus se caractérise par un chevauchement entre le temps de la conquête territoriale et celui de l’unification administrative, la seconde ayant dû commencer avant l’achèvement de la première. Il en va de même, avec la loi dite « d’unification administrative » du 20 mars 1865 et aussi pour les quatre codes : Code Civil (en grande partie calqué sur le modèle napoléonien), Code de Procédures Civiles, Code de Commerce et Code la Marine Marchande qui entrent en vigueur le 1 janvier 1866, avant le rattachement de la Vénétie et du Latium. Pour l’essentiel, les fondements juridico-administratifs de l’état national sont mis en place avant même le transfert de sa capitale à Rome. La comparaison vaut d’être faite avec la Confédération de l’Allemagne du Nord qui sert de laboratoire politique et qui permet à Bismarck « d’imposer définitivement en Europe Centrale, l’état moderne à bureaucratie centralisée, avec ses forces juridiques et ses institutions qui furent d’une importance capitale pour le développement de la société industrielle », Lothar Gall, 1984, Bismarck, le révolutionnaire blanc. De ce point de vue, il y a simultanéité dans le processus en Italie et en Allemagne. En ce qui concerne les liens qui s’établissent entre l’état et les citoyens, deux institutions surtout avaient, suivant l’opinion des contemporains, un rôle capital à jouer, l’école et l’armée. Et ici, il faut bien noter l’avance considérable dont disposait l’état prussien. Ce ne sont pas tant les taux d’alphabétisation comparés entre la Prusse et le Piémont, qui sont significatifs, (même s’il y a quand même un différentiel en 1861 : au Piémont, environ 50% hommes et 20 à 30% femmes savent lire; en Prusse, ce sont 90% des hommes et 80% des femmes), mais surtout le retard de l’alphabétisation dans le sud de l’Italie ( <20% dans les deux cas, tandis que dans toute la Confédération Germanique, dès 1830, le taux de scolarisation en primaire était déjà en moyenne de 77%). Ce retard dans l’alphabétisation et la scolarisation constituait, pour l’état italien, un défi coûteux. Le défi militaire n’était pas moins redoutable. Un fort accent a été mis sur la constitution d’une armée nationale italienne et celle-ci a fait l’objet, jusqu’à la fin du siècle, d’un consensus très large (seuls les anarchistes en sont exclus), mais là encore, le différentiel par rapport à l’Allemagne est frappant. L’historien William Carr, n’a pas hésité à affirmer avec raison que « the creation of kleindeutschland would not have been possible without the reformed Prussian army». Tandis que la création du Royaume d’Italie s’est appuyée militairement sur la France jusqu’en 1859, puis indirectement aussi sur la Prusse en 1866, loin de nous l’idée de déprécier, comme le faisaient systématiquement les anciens militaires professionnels de l’époque, les vertus militaires des volontaires garibaldiens. N’oublions pas, qu’en 1870, ils ont été parmi les seuls qui aient gagné des batailles (ils ont repris et tenu Dijon). Mais le fait est que leurs existences même, leurs particularités, leurs caractères difficilement disciplinables par l’état, les valeurs qu’ils incarnaient, l’idée de la guerre qui était la leur, tout cela représentait dans une optique étatique de militarisation, (car c’est bien ce qui s’était joué pendant la réforme prussienne de 1861), tout cela représentait finalement une difficulté plutôt qu’une solution, une difficulté plutôt qu’un atout pour l’état italien et le problème crucial était au demeurant celui des ressources budgétaires. A cet égard, encore, les deux états se trouvaient dans une situation très inégale au désavantage de l’Italie. L’évocation, même sommaire, de ces deux institutions, l’école et l’armée, suffit à faire toucher dans le cas italien, les limites de l’intégration nationale. Pour conserver jusqu’à la fin l’approche comparative entre les deux pays, on se limitera à trois aspects de ce grand problème des limites de l’intégration nationale.
1) Le premier est celui de l’intégration civique. Les différences sont encore ici très nettes. L’adoption du suffrage universel masculin au Reichstag se fait en 1871 en Allemagne et en 1912 en Italie (même si la loi électorale de 1882 avait rendu accessible le droit de vote aux hommes qui savaient lire). Mais l’obtention du droit de vote ne se traduit pas automatiquement par l’exercice de ce droit. Il faut des conditions sociales et culturelles de politisation des masses et de représentativité du monde politique, conditions qui sont aussi inégalement réunies dans les deux pays. En Allemagne, on observe une participation croissante aux élections, qui atteint 85% en 1912. En Italie, on observe des inégalités, entre 10% et 80% suivant les régions.










L’auteur reconnait aussitôt des exceptions (il souligne même qu’il y a des catholiques qui vont ostensiblement voter). Il atténue son propos car si le véto papal avait été suivi avec discipline par tous les électeurs qui se reconnaissaient catholiques à l’époque, c’est évidemment une nette majorité d’abstentions qu’on aurait eu et c’est moins l’abstention des catholiques que leur participation qu’il faut noter, car cela signifie qu’ils n’ont pas suivi la bulle « non expedit ». C’est ce que, pour la France, Emile Littré avait appelé « le catholicisme selon le suffrage universel », c'est-à-dire un catholicisme indiscipliné sur le plan de la politique, qui ne suit pas nécessairement les consignes romaines et c’est là l’un des traits importants de l’évolution politique dans l’Italie post-unitaire. Mais du coup, l’hypothèse discutable de Lefèvre-Pontalis, (en partie vraie malgré tout ) a l’avantage de suggérer ce qui reste une autre limite (qui est la question religieuse) ou
2) « La question romaine ». il faut attendre 1929 et les accords du Latran pour que cette question soit résolue en Italie. Mais il importe aussi de rappeler que l’Allemagne, a connu une question religieuse : au moment où s’est mis en place ce laboratoire politique qu’a été la Confédération de l’Allemagne du Nord (les états catholiques du sud n’en faisaient pas partie), les sentiments à la fois antiprussiens et antiprotestants avaient tendance à se renforcer dans ces états. Après la création de l’Empire, Bismarck a donc été tenté de poursuivre la guerre remportée contre la France, la fille ainée de l’Eglise, par une lutte contre les ennemis de l’intérieur que devenaient les catholiques, dès lors que ceux-ci demeuraient hostiles au militarisme prussien et qu’ils pouvaient être soupçonnés de respecter l’autorité d’un Pape déclaré infaillible par le concile du Vatican en 1870, plutôt que celle de leurs dirigeants nationaux. Ce combat a gardé dans l’histoire le nom de « Kulturkampf ». Il a marqué la décennie 1870, au cours de laquelle le chancelier a fait adopter des mesures qui allaient dans le sens à la fois d’une sécularisation générale des institutions (dont témoigne par exemple, l’introduction du mariage civil en 1875) et un contrôle plus strict par l’état des activités de l’Eglise Catholique (y compris de la formation des prêtres dans les séminaires). Les jésuites sont expulsés en 1872. Mais cette politique conduite avec beaucoup de rigueur (6 évêques sur 12 sont déposés, environ 1500 prêtres sont expulsés de leur paroisse) a rencontré une grande résistance de la part de l’Eglise et finalement Bismarck a dû l’assouplir après la mort de Pie IX et son remplacement par Léon XIII en 1878. Politique pas vraiment payante pour Bismarck puisque son objectif principal était de réduire l’influence du parti catholique, le zentrum catholique, parti du centre souvent hostile à la politique de Bismarck. Echec sur ce plan-là. Comme Bismarck connait aussi l’échec dans sa politique répressive destinée à enrayer la progression électorale de la social-démocratie, il est amené à promulguer des lois sociales très avancées pour son époque pour combattre les succès de la social-démocratie qui a continué à progresser. Ce que révèlent enfin les écarts d’alphabétisation entre le nord et le sud de l’Italie comme la tension avec les catholiques en Allemagne, c’est le troisième problème, c'est-à-dire :
3) La persistance de fortes disparités régionales au sein de ces états territoriaux unifiés. L’émigration, particulièrement en provenance du Mezzogiorno est un autre indice bien connu de cette inégalité de développement. On aurait tort d’en chercher la première cause dans l’incapacité chronique de l’état italien à corriger les inégalités entre le nord et le sud, dans la mesure où l’émigration de masse est née au moment où le pays connaissait une croissance démographique plus forte que celle de ses ressources agricoles et cette émigration de masse n’a pu qu’être relancée par la chute des prix agricoles et la crise économique des années 1880. Il est important de se rappeler que les inégalités économiques creusées par la dépression des années 1880 ont pu en Allemagne aussi, avoir leurs effets et contribuer aux succès électoraux des socio-démocrates, par exemple, ces inégalités économiques ne sont pas la moindre des limites du processus unitaire, mais elles échappent, en grande partie, dans la logique libérale qui domine le cours du siècle, à la sphère d’action de l’état, dont le principal levier reste le levier douanier. Mais l’écart parait considérable entre l’Allemagne au tournant du siècle, une fois digéré la crise des années 1880, qui donne d’elle-même une image menaçante parce qu’elle en a les moyens, et l’Italie, dont la défaite d’Adoua face à l’Ethiopie en 1896 atteste des difficultés persistantes à s’imposer comme une grande puissance. Si on jette un dernier regard comparatif aux deux pays, on doit retenir deux constatations : en Allemagne, la période Wilhelminienne apparait comme celle du renforcement de l’état impérial et du pouvoir autoritaire au détriment de l’autonomie des länder (lorsqu’ils étaient indépendants dans le cadre du Bund), tandis qu’en Italie la thématique dominante reste celle de l’inachèvement, inachèvement de l’Etat et inachèvement de la Nation.

Cha-cha
Invité


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