Chanet number 12
triplette 38 :: disciplines :: Histoire du XIXè siècle :: semaine 12 Les compétitions impériales. Vers la « guerre civile européenne »
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Chanet number 12
LES COMPETITIONS IMPERIALES. VERS LA GUERRE MONDIALE.
Dans son cours d’introduction, Chanet a insisté sur les écarts entre les siècles numériques et les siècles historiques. La première guerre mondiale a marqué un changement d’époque, au point, que les années vingt ont vu les français désigner comme «la belle époque » les années et mêmes les décennies qui l’avaient précédée et qui avaient pourtant été jalonnées de crises et de conflits. Dès lors, s’est imposée l’idée que 1914 avait marqué la fin véritable du XIXème siècle. Ce qui n’empêche pas, de nos jours encore, les historiens de parler de « tournant du siècle » pour désigner la période comprise entre les dernières années 1890 et les premières années 1900, en respectant le sens arithmétique du terme. Ces variations montrent d’abord que le parti historiographique en faveur d’un long XIXème siècle a sa source dans un sentiment communément partagé (celui qu’exprimait par exemple Guillaume Apollinaire dans le poème ci-contre). Ce sentiment de rupture n’exclut pas de la part des historiens, la mise en lumière sous le nom de « tournant de siècle » de ce qu’en géographie militaire on appellerait une « région de marche », c’est à dire une zone frontière où apparaissent des signes annonciateurs, des facteurs préparatoires. Bien sûr, ces signes, ces facteurs ne nous apparaissent tels parce que nous connaissons la suite et que nous avons tendance à aborder de façon régressive un temps communément désigné comme celui de l’«avant–guerre». Or il est de bonne méthode de reconnaitre la part de la contingence dans le processus qui a conduit en 1914 au scénario qui avait toujours été évité depuis 1815. A savoir, l’incapacité du concert européen à trouver une issue diplomatique à un conflit localisé. Si l’on ne doit pas considérer que l’affrontement généralisé entre les puissances était comme programmé pour cette date, on peut réfléchir à ce qui l’a rendu possible, non pas seulement dans les semaines ou les mois qui l’ont précédé, mais parfois depuis plusieurs décennies. Le tournant du siècle, en effet, avait indéniablement multiplié les signes que l’on allait entrer dans une époque nouvelle. Nous avons commenté, au début de notre semestre, comment Elie Halévy, note que les années 1815-1914 ne rentrent pas dans le XIXème siècle anglais, tel qu’il le comprend. On pourrait exprimer le même point de vue sur la plupart des puissances continentales. Nous évoquions alors (le 6 septembre !), l’Italie après la défaite d’Adoua en 1896 et l’Espagne après sa défaite face aux Etats-Unis en 1898. Vous avez depuis mesuré l’importance de l’arrivée de Guillaume II sur le trône impérial allemand en 1888 et peut-être plus encore, de la démission de Bismarck en 1890, de même pour l’accord de coopération militaire franco-russe signé en 1892, l’arrivée du tsar Nicolas II en 1894. 1894, année qui s’achève en France avec la condamnation du capitaine Dreyfus que tout le monde croit alors coupable. Dans l’empire Austro-hongrois, le suicide de l’Archiduc Rodolphe à Mayerling en 1889 est certes avant tout une tragédie familiale, comme le sera l’assassinat de l’Impératrice Elizabeth à Genève en 1898, mais c’est aussi une catastrophe pour la monarchie. Et les années 1905-1906 voient remonter la tension avec les hongrois qui en nombre grandissant réclament le suffrage universel, tandis que l’année suivante, cédant à la pression des jeunes turcs, le sultan Abdul-Hamid doit restaurer la Constitution de 1876 et convoquer un parlement. Si rien de tout cela pris isolément, peut être une pris pour une cause même indirecte de ce qui se produit en 1914, l’ensemble témoigne d’une évolution sensible des rapports de force politiques et sociaux, à la fois au sein de chaque puissance et entre elles. Cela se traduit de deux manières dans deux domaines principalement sur lesquels le plan d’aujourd’hui mettra l’accent tour à tour : la compétition impériale et la transformation de la guerre. L’une et l’autre génératrice de tensions sociales internes, en somme tout ce qui a contribué, non pas à provoquer mécaniquement la crise de 1914, mais à en faire supporter les conséquences par les peuples et avec leur consentement.
1 LE « GRAND JEU » IMPERIAL
Terme provenant des échecs qui semble avoir été utilisé la première fois par Arthur Connoly en 1838 dans son récit : Journey to the north of India. Overland from England, through Russia, Persia and Affghannistaun. Il a été repris pour désigner encore plus clairement la rivalité anglo-russe dans cette partie du monde.
1.1 En Asie Deux logiques expansionnistes se rencontrent et entretiennent une tension qui ne débouche cependant qu’une seule fois sur une guerre au cours du siècle : la guerre de Crimée (1853-1856). (Encore que cette guerre n’oppose pas seulement les deux empires).
1.1.1 Russie : La première logique expansionniste est celle de la Russie. Elle entend consolider ses conquêtes autour de la Mer Noire, acquises aux dépends de l’Empire Ottoman au XVIIIème siècle. Dès cette époque, elle a commencé à s’étendre vers le Caucase et l’Asie centrale. Que ce soit son projet d’accéder à la Méditerranée par les détroits ou sa prétention d’aider à la libération des peuples slaves ou chrétiens des Balkans, ces visées sont considérées comme une menace par les britanniques, alliés de la France et de l’Empire Ottoman pendant la guerre de Crimée, car le Royaume-Uni cherche, lui, à consolider son empire des Indes.
1.1.2 La Grande-Bretagne et les Indes C’est à partir de 1818 qu’on peut parler d’un véritable empire britannique des Indes, comparable aux empires russe et chinois, et qui fut par rapport à eux, comme l’écrit Claude Markovits, Histoire de l’Inde moderne,1480-1950, sans aucun doute, la plus grande construction politique du XIXème siècle. A partir de 1818, date de la défaite des Marathes, guerriers hindouistes d’Inde centrale, qui avaient contribué à affaiblir au siècle précédent l’empire Moghol (musulman), aucun pouvoir indigène ne représentera de menace pour la Compagnie Anglaise des Indes Orientales, en théorie souveraine aux Indes et dont le gouvernement est installé à Calcutta. Au cours des quatre décennies qui ont suivi cette victoire de 1818, les anglais ont étendu les limites de leur empire dans trois directions : l’est et le sud-est aux dépends des birmans, au centre aux dépends des Marathes et le nord-ouest (c’est traditionnellement de là que sont venues les invasions), c’est de là que les anglais craignaient de voir venir les russes dès lors que de leur coté, ils avançaient vers l’Asie Centrale. Cette crainte a causé, dès 1839, la première guerre Anglo-afghane.
1.1.3 La première guerre Anglo-afghane (1839-1842) Les chefs afghans s’étaient émancipés de la tutelle perse au cours du XVIIIème siècle et en 1835, Dost Mohammad Khan s’était attribué le titre d’émir. La Compagnie Anglaise des Indes Orientales s’oppose alors à ses revendications sur le Pendjab. Il se tourne vers la Russie ce qui décide le gouverneur général Lord Auckland à s’engager dans cette guerre qui va se révéler désastreuse pour les anglais. La première partie est victorieuse jusqu’à Kaboul. Mais la prise de Kaboul est suivie d’une insurrection générale qui oblige les anglais à faire retraite dans des conditions très difficiles en janvier 1842 vers Jellalabad puis vers le Pendjab (quelques dizaines d’hommes reviendront sur les 16500 engagés dont moins d’un millier d’anglais). Les anglais avaient sous-estimé les difficultés matérielles d’une guerre en terrain montagneux dans des conditions climatiques rigoureuses. Pour compenser cet échec les anglais s’empressent d’annexer le Sind en 1843. Ils étaient attirés par l’Indus dont ils surestimaient l’intérêt commercial comme fleuve navigable et leur aventure impériale dans cette partie nord-ouest se poursuit par de sanglants conflits avec les Sikhs, guerriers redoutables, pour le contrôle du territoire du Pendjab qui est rattaché à l’Empire en 1849 et qui, alors que le Sind reste une région pauvre, devient un grenier pour l’Inde qui se révèlera très précieux lors de la révolte des Cipayes. Cette politique expansionniste culmine en 1856 avec l’annexion de l’Oudh, principal état autochtone survivant en Inde du nord. A cette date, date du traité de Paris qui met fin à la guerre de Crimée, la domination britannique parait plus assurée que jamais. L’état qu’est devenu la Compagnie, on parle de « Company State », parait devoir durer. On le désigne sous le nom anglo-indien de « Raj ». En réalité la compagnie apparait de plus en plus selon Markovits, comme un simple écran derrière lequel se profilent le gouvernement et le parlement britannique. Et cet écran disparait à la suite de ce que les français appellent la « révolte des Cipayes »
1.1.4 La révolte des cipayes En anglais on parle: de « Sepoy Rebellion », de « Sepoy Mutiny », de « Indian Rebellion », de « Indian Mutiny of 1857 », ou simplement « The Revolt », the « Uprising of 1857 » et plus significativement « The Great Rebellion » et même du point de vue indien « India First War of Independance ». En français, le mot « cipaye » vient du persan « sipahi » et est donc en quelque sorte synonyme de « spahi ». A l’origine, il s’agit des cavaliers fournis par les tribus soumises aux ottomans, troupes irrégulières d’appoint aux mamelouks (qui eux, constituaient une troupe régulière de cavalerie). Un cipaye, écrit Larousse, est donc « un soldat indien au service des européens et spécialement de la Compagnie des Indes ». Mais il prend soin de rappeler que cette force est de création française puisque la paternité de l’idée d’utiliser ces cavaliers revient, selon lui, à Dupleix, gouverneur général des établissements français de l’Inde de 1742 à 1754, avant que le conflit avec les anglais chassent les français de l’Inde. Tandis qu’un spahi est un cavalier appartenant à un corps indigène crée à Alger par la France en 1834.
Le prétexte de la révolte des cipayes est l’introduction dans l’armée du Bengale de nouvelles cartouches dont il fallait arracher l’enveloppe avec les dents. Or, cette enveloppe était collée au moyen de graisses animales ce qui rendait son emploi également inacceptable aussi bien pour les hindouistes, pour qui la vache est un animal sacret, que pour les musulmans, pour qui le porc est un animal impur. Et comme on ne savait pas exactement de quelle graisse il s’agissait, les uns et les autres n’ont pas voulu utiliser ces cartouches. Prétexte plutôt que cause, car les causes comme toujours en pareil cas, forment un ensemble complexe où domine, chez les insurgés, le sentiment d’une menace contre leur religion et leur mode de vie. Ce qu’il faut retenir de cette révolte, c’est d’abord son ampleur, son étendue. Cà commence à Peshawar et va jusqu’à Bénarès et même plus bas dans la vallée du Gange. Une étendue immense qui oblige les anglais à livrer une véritable guerre, c'est-à-dire à la fois et comme toujours en situation coloniale, une guerre de reconquête territoriale et une guerre de pacification, donc de répression, et de répression d’autant plus cruelle que la menace a paru sérieuse et a mise à l’épreuve le sentiment de supériorité propre au colonisateur. Alors, bien sûr, la défaite des insurgés peut s’expliquer, et s’explique surtout par l’absence d’objectifs communs, véritablement communs entre hindouistes et musulmans, l’absence aussi d’un commandement unifié face à des anglais qui cumulaient l’unité stratégique et l’avance technologique (le chemin de fer). La question cruciale qui reste posée, est celle de la participation populaire à l’insurrection. Les historiens indiens d’inspiration marxiste ont défendu la thèse d’un soulèvement proto-nationaliste et ont souligné la composante paysanne du mouvement. Toutefois, la participation même importante de paysans comme le souligne Markovits, ne suffit pas à faire de ce soulèvement un soulèvement paysan. La question est plus compliquée du fait que les cipayes étaient en grande partie d’origine rurale, certes, mais appartenaient en général à des castes élevées qui possédaient la terre et ne la cultivaient pas eux-mêmes. Et donc, la question rejoint celle que les historiens se sont posée sur la participation populaire et particulièrement paysanne aux mouvements révolutionnaires et nationaux ailleurs dans le monde, que ce soit en Europe ou en Amérique Latine.
Une fois les anglais à nouveau maitre du terrain, une fois matée et cruellement matée cette révolte, le « grand Jeu » se poursuit sans déboucher sur un affrontement armé direct entre les deux empires rivaux. La révolte de 1857-1858 précipite l’ultime étape de la transformation de l’administration britannique en Inde. La Compagnie des Indes perd ses fonctions administratives dès 1858 : l’Inde est désormais gouvernée de Londres par un ministre placé à la tête de l’ « India Office » et sur place par un vice-roi, titre qui remplace celui de gouverneur général. La Compagnie sera dissoute par décret le 1 janvier 1874 et la reine Victoria sera proclamée Impératrice des Indes en 1876.
Au même moment, le Premier Ministre Disraeli prêtait une attention particulière aux nouvelles initiatives russes contre l’Empire ottoman. Nous avons vu en fait il y a deux semaines, comment l’intervention des puissances occidentales et la tenue du congrès de Berlin en 1878 ont mis en échec les projets expansionnistes russes aux dépends de l’Empire Ottoman. Cette carte vous permettra de prendre une vue synthétique de ce qui se joue entre britanniques et russes en Asie Centrale jusqu’au début du XXème siècle aux dépends des ottomans et des perses. La compétition aboutit finalement à la convention du 31 aout 1907 signée à Saint-Pétersbourg. Trois sections dans ce texte qui concernent successivement la Perse, l’Afghanistan et le Tibet.
- La perse, comme l’indique cette carte, est divisée en trois zones et deux sphères d’influence : au nord, rayures verticales rouges, la zone d’influence concédée aux russes par les anglais, au sud, région limitée par le trait bleu ; la zone d’influence concédée par les russes aux anglais, entre les deux une zone tampon, neutralisée.
- Deuxième point, les russes reconnaissent le droit pour les anglais d’établir un semi-protectorat sur l’Afghanistan et renonce ainsi à établir des liens directs avec l’émir d’Afghanistan.
- Le troisième point ne figure pas cette carte (le Tibet est situé plus à l’est). A la suite de l’expédition britannique de 1903-1904 qui a conduit à un traité signé à Lhassa, les deux puissances confirment leur accord pour maintenir l’intégrité territoriale de cet état considéré aussi comme un état tampon entre eux ; ils confirment aussi leur accord de ne traiter avec Lhassa que par l’intermédiaire de la puissance qualifiée de suzeraine, c'est-à-dire la Chine. Suzeraineté ou souveraineté, l’interprétation chinoise de ce vocabulaire occidental reste d’actualité comme vous le savez. En vérité, pris dans un sens plus large, le « Grand Jeu » s’applique aussi à la situation en Extrême-Orient où se développe dans le même temps la concurrence entre les puissances occidentales et la Russie.
1.1.5 La Chine et la Russie On a pu résumer la situation de la Chine moderne par ces deux mots : « la splendeur et l’impasse », Caroline Blunden et Mark Elvin, Atlas de la Chine, 1986. Dans le céleste empire, les progrès industriels et agricoles des XVIIème et XVIIIème siècle ont suscité une explosion démographique qui est devenue un frein qui a grevé l’industrialisation sur le modèle occidental (parce que cette explosion démographique fournissait une abondante main d’œuvre qui a été un frein à la mécanisation, inutile en raison du nombre des bras disponibles). Elle a conduit à une paupérisation de l’ensemble de la société lorsque la production a plafonné. On est ainsi entré dans une phase de stagnation dont la Chine est restée prisonnière pendant plus d’un siècle, ce qui a fait d’elle une cible pour l’expansionnisme des puissances européennes.
Les facteurs dissolvants pour l’Empire Chinois : les révoltes endémiques d’une part, (problème internes), qui entretiennent la misère dans les campagnes et d’autre part l’extension progressive de la mainmise étrangère (problèmes externes). Mainmise étrangère dans les ports, et pas seulement les ports côtiers, mais aussi les ports sur les fleuves navigables. Le commerce de l’opium, imposé par l’Angleterre, occasionne un déséquilibre de la balance commerciale qui va s’accentuant de plus en plus, dommageable pour l’économie chinoise au cours du siècle. Et donc, à nouveau, dans ce cours sur le XIXème siècle, nous sommes conduits à nous insérer en faux contre l’idée étroitement européocentrique, selon laquelle, entre 1815 et 1914, le XIXème siècle aurait été, sauf exceptions passagères, un siècle de paix. La guerre au contraire pèse de tout son poids sur l’histoire de la Chine et joue un rôle décisif dans son destin. Elle n’ouvre pas seulement la voie à la pénétration étrangère, elle interrompt un courant d’échange qui avait jusque là été favorable à son développement et provoque une grave hémorragie financière. Quant à ce qu’on appelle la révolte des « Taiping », cette dénomination même relève de l’ironie de l’Histoire, Taiping signifie « Grande Paix ». Les rebelles ont donné au royaume qu’ils ont fondé initialement en Chine du sud, le nom de « Royaume Céleste de la Grande Paix ». Or, il s’agit d’une guerre civile, et de l’une des plus meurtrières de l’Histoire, si l’on admet que le nombre des morts s’est élevé à au moins vingt millions sous les effets conjoints des violences, des famines et des misères qui l’ont accompagnée. Histoire complexe et paradoxale que celle d’une guerre où les occidentaux, anglais en tête, en viennent à aider l’empire des Qing à reprendre le contrôle de son territoire (il lui faut treize ans pour cela , 1851-1864) alors que ces mêmes occidentaux, anglais en tête, profitent par ailleurs de son affaiblissement. Guerre qui ruine la région la plus prospère du pays : le bassin du Yan-Tsé, le fleuve bleu. Guerre où la révolte d’abord méridionale Taiping est relayée par d’autres soulèvements paysans, celui des Nian dans le bassin du fleuve jaune, puis celui des musulmans chinois. En fait selon l’historien Elie Halévy, c’est l’Empire tout entier qui est à feu et à sang pendant quelques cinquante ans. Le constat d’échec des tentatives de réformes dans la tradition chinoise a conduit André Malraux à parler de «la tentation de l’Occident », mais tentation de l’Occident pour se libérer de sa domination.
1.1.6 Le Japon Face à cette évolution, et par contraste, celle du Japon lui permet de s’affirmer aux dépends même de son immense mais affaibli voisin comme la première puissance de l’Asie. Il est impossible de résumer, même à grands traits, ce qu’on appelle l’ « ère Meiji », qui signifie « gouvernement éclairé », nom que l’on a donné à l’Empereur Mutsuhito qui a régné de 1867 à 1912. Si l’on s’en tient à la comparaison avec la Chine, un même but, la pleine indépendance par l’abrogation des « traités inégaux » à l’avantage des puissances occidentales, a été atteint par le Japon progressivement à partir des années 1890 (avant le déclenchement de la première guerre mondiale en tout cas !) Et l’on observe, que tout en poursuivant cet objectif, le Japon s’est engagé dans une politique impérialiste en direction du continent, politique qui témoigne d’une aptitude à exploiter à son profit, la compétition entre les occidentaux. C’est ainsi que la construction du transsibérien incite la Grande-Bretagne à négocier avec le Japon un nouveau traité de commerce en 1894. Et c’est pour prévenir une immixtion britannique ou russe, que le Japon a pris entre 1894 et 1895, l’initiative d’une guerre contre la Chine qui s’achève par le traité de Shimonoseki, le 17 avril 1895 et qui permet au Japon d’obtenir l’indépendance de la Corée, la session de Formose et de la péninsule de Liaodong par la Chine, ainsi que la parité avec les occidentaux en Chine (ce qui n’est pas un mince avantage). Mais il est notable que six jours seulement après la signature de ce traité, la pression diplomatique conjointe de la Russie, de la France et de l’Allemagne ait obligé le Japon à rétrocéder le Liaodong à la Chine. C’est très significatif : il y a là un échec partiel qui incite les dirigeants japonais a plus de prudence au moment où s’intensifie la poussée russe en Mandchourie, et comme vous le voyez, sitôt qu’il s’agit d’intérêts communs et d’intérêts lointains, la solidarité des puissances occidentales transcende les alliances militaires distinctes qu’elles mettent en place pourtant, pour le cas où elles viendraient à s’affronter en Europe même. C’est ce que confirme leur réaction commune face à la révolte des « boxers », du nom d’une société secrète chinoise organisée autour de la pratique de la boxe chinoise, qui entraine le siège des légations étrangères présentes à Pékin à partir du 20 juin 1900. Les britanniques, les français, les russes, les allemands, les autrichiens, les italiens forment une coalition à laquelle ne manquent pas de se joindre les Etats-Unis et le japon. Coalition victorieuse après « les 55 jours de Pékin » (film célèbre). Autrement dit, il serait simpliste et même faux d’interpréter le « Grand Jeu » comme la montée progressive et irrémédiable d’un risque d’affrontement direct, c’est bien plutôt un effort constant pour l’éviter par des compromis établis aux dépends des états souverains sur les territoires disputés. Et c’est ce qu’on vérifie en observant ce qui se passe en Afrique au cours des dernières décennies du siècle qui voient s’accentuer la concurrence coloniale.
1.2 En Afrique
On ne peut rentrer dans le détail de l’histoire de ce continent et des résistances que la population a opposées à la pénétration européenne. On va donc « survoler »
1.2.1 Pénétration européenne superficielle Ce survol permet de constater le caractère tardif et limité de cette pénétration à partir des littoraux et des fleuves (à vérifier sur la carte). Deux exceptions relatives, pour des territoires qui sont devenus dans une certaine mesure des colonies de peuplement (ce qui n’est pas le cas des autres). Au nord, il s’agit de l’Algérie à partir de la conquête française de 1830, au sud, c’est la colonie du Cap, néerlandaise d’abord, puis anglaise. La rivalité entre les deux, anglais et afrikaners ou boers, conduisant à la naissance d’un conflit entre européens (ou de souche européenne). Dans les deux cas, Algérie et Afrique du Sud, les européens ont fait souche donnant naissance aux « pieds-noirs » d’un coté, et aux afrikaners ou boers de l’autre [Deux noms pour une même population, le premier a une signification linguistique (ils parlent l’afrikaans, c'est-à-dire, une langue issue du néerlandais), le second terme a une signification sociale (boers=paysans), c’est ainsi qu’on désigne les premiers colons blancs qui ont peuplé cette terre].
Partout ailleurs, les européens restent sur la côte : les espagnols au Sahara Occidental, les français en Afrique Equatoriale, les portugais en Guinée et le long de la côte de l’Océan indien, les britanniques le long de la Mer Rouge, les allemands eux aussi dans le sud-ouest africain.
Ils pénètrent aussi par les bassins fluviaux : les anglais par la Vallée du Nil, les français dans le bassin du Sénégal, les belges dans le bassin du Congo, les portugais dans le bassin du Zambèze.
1.2.2 Rapidité de la progression de l’impérialisme Ce qui frappe, au début des années 1880, c’est la rapidité de la marche de l’impérialisme colonial en Afrique, donc la vivacité de la concurrence qu’elle provoque entre européens. On ambitionne alors de rattraper sur ce continent l’avance anglaise (où elle n’est pas alors très marquée). Le développement du capitalisme a crée le besoin de matières premières et de nouveaux marchés, mais il a aussi favorisé l’essor d’une idéologie impérialiste où le sentiment de la supériorité nourrit celui de la mission auprès des indigènes. C’est le sens du « fardeau de l’homme blanc » de Rudyard Kipling, 1899. Suivant le commentaire de Catherine Coquery-Vidrovitch, l’Afrique et les Africains au XIXème siècle : « l’Occidental est désormais tenu de répandre outre-mer les bienfaits de sa culture, les fameux « 3C » prônés comme indissociables par les humanitaires anglais depuis le début du siècle : Commerce, Christianisme et civilisation ». Cette tendance à l’accentuation de la compétition est accrue par la conjoncture économique, celle de la grande dépression des années 1880, mais les risques que comporte la montée des tensions entre les compétiteurs justifient, dans la tradition du concert européen, la recherche d’un accord global sur les règles du « Grand Jeu ». Les russes n’y participant pas d’ailleurs, les anglais préfèrent utiliser un terme provenant du vocabulaire du golf, ils parlent du « scramble for Africa », ou plus simplement « Race for Africa » ou encore « African fever ». Le fait que la conférence internationale est lieu à Berlin du 15 novembre 1884 au 26 février 1885 est un signe de plus de la prééminence de Bismarck dans la diplomatie européenne depuis la création de l’Empire Allemand. La quasi-totalité de l’acte final de cette conférence, 33 articles sur 35, concerne en fait la liberté commerciale sur les fleuves Niger et Congo pour les nations européennes, donc seulement en Afrique centrale. Seuls les brefs articles 34 et 35 visent à encadrer le partage déjà amorcé du continent. Dorénavant, les puissances devront assurer dans les territoires qu’elles occupent, l’existence d’une autorité suffisante pour faire respecter les droits acquis. Nous faisons référence à Henri Brunschwig, Le Partage de l’Afrique Noire, 1971, où il entend démonter le mythe de l’Afrique partagée à Berlin pour montrer que d’une part la partie de scramble avait déjà commencé dès les années 1870, et que d’autre part le vrai partage s’est opéré après, dans les années 1890 et a vu, d’ailleurs, se multiplier les incidents que l’acte final de la conférence de Berlin ,n’a pas permis d’empêcher.
C’est par une série d’accords bilatéraux, que le roi Léopold II a fait admettre sa souveraineté sur l’état dit indépendant du Congo dont il avait fait descendre le cours de ce fleuve par l’explorateur Stanley. Contrairement à ce qu’on lit parfois dans les manuels, cela n’est pas dans l’acte final de la conférence de Berlin qu’apparait la reconnaissance du roi des Belges sur le Congo. Si cette conférence marque un tournant, c’est dans la mesure où la conquête est dans le prolongement logique de l’ouverture commerciale de l’Afrique Centrale. Comme le suggérait Jean-Pierre Chrétien, la difficulté à faire pénétrer l’économie de marché par la voie libérale, suscitait inévitablement une méthode plus expéditive, la conquête territoriale à laquelle, même la très libérale Angleterre se résigne. Indirectement se sont les peuples africains qui transparaissent aussi dans les actes diplomatiques et le paternalisme de l’acte de Berlin (en retrait par rapport aux projets optimistes des philanthropes du début du XIXème siècle). Donc pour l’Afrique, les années 1870-1880 représentent effectivement un moment décisif, même si le partage effectif n’intervient que 10 à 15 ans plus tard.
Trois observations à partir des cartes ci-dessous:
- la pénétration effective à partir des cotes, confirmée par le tracé des premières lignes de chemin de fer.
- le partage du continent s’est fait effectivement en 30 ans entre les pays d’Europe Occidentale.
- Il ya une visible prééminence de deux pays : Le Royaume Uni et la France dont les conquêtes se sont déroulées selon deux axes voués à se croiser.
1.2.3 Prééminence britannique et française un axe est-ouest pour les français et un axe nord-sud pour les anglais. Ces deux directions étaient amenées à se croiser quelque part : ce sera à Fachoda au Soudan (aujourd’hui Kodok). Le heurt se produit à la fin de l’été 1898 : le commandant Marchand, placé à la tête d’une mission au nom bien significatif de « Congo-Nil » a atteint Fachoda le 10 juillet, de l’autre coté, Kitchener, général anglais qui porte à l’époque le titre de « Sirdar », nom donné depuis 1882 au commandant britannique de l’armée égyptienne, arrive le 18 septembre après avoir brisé la tentative des Mahdistes qui prétendaient établir au Soudan, un émirat indépendant, alors que les anglais prétendaient, eux, unifier sous leur tutelle Egypte et Soudan, c'est-à-dire l’ensemble du bassin du Nil. Une fois achevée la besogne de réduire cette résistance, Kitchener a l’ordre de repousser toute incursion étrangère dans le Haut-Nil, fut-elle française. Mais ce qui frappe la encore, derrière les apparences, c’est le soin mis à éviter que le contact dégénère en conflit armé. Dans l’opinion française de 1898, l’affaire Dreyfus accapare l’opinion : tout ce qui touche à l’armée est extrêmement sensible. L’orgueil national est à vif. La crise diplomatique qui tourne à la défaite pour la France, aboutit néanmoins, à terme, à un rapprochement puisque le ministre des affaires étrangères français Delcassé qui est obligé de gérer cette crise diplomatique sera en 1904, l’artisan principal du coté français de l’ « Entente Cordiale ». Quant à Marchand, il poursuit sa route et rallie Djibouti en mai 1899 et rentre en France, accueilli en héros à Toulon. Cette crise passagère est bien différente de celle qui se produit l’année suivante en Afrique du Sud.
2 VERS LA GUERRE INDUSTRIELLE
2.1 La guerre des Boers (1899-1902)(La 2nde)
2.1.1 Contexte Les bruyantes manifestations de nationalisme français au moment de Fachoda n’ont d’égales que celles du Jingoïsme (voir cours sur le RU : équivalent du chauvinisme) en Grande Bretagne. C’est le signe patent d’une évolution de l’opinion publique qui n’avait pas paru aussi mobilisée par les premières étapes du développement de l’impérialisme britannique en Afrique du Sud. Ce développement est commandé par 3 facteurs :
Antagonisme entre les anglais et les afrikaners (ou boers)
Existence d’une majorité de populations noires
Découverte de gisements d’or dans la région du Witwatersrand (Rand) (signifie « barrière de l’eau blanche »)
A cette date, il existe deux états boers reconnus par le gouvernement britannique :
Au Nord, le Transvaal
Au Sud, l’état libre d’Orange (dénommé ainsi en hommage à la dynastie d’Orange-Nassau qui régnait sur les Pays-Bas). Etat créé à la suite du départ des boers qui avaient quitté la colonie du Cap sous domination britannique à partir de 1815 : cet exode, le grand Trek, à partir de 1835, leur permet de s’installer plus au Nord sur des terres encore vierges de présence européenne.
Autour de ces deux états blancs, un certain nombre de territoires sont en passe de tomber dans la zone d’influence britannique : Le Bechuanaland (qui se partage en 2 parties, l’une qui est protectorat britannique et l’autre qui est véritablement annexée en 1885), le Swaziland de l’autre coté, à l’Est, le Griqualand West(n°4) à l’Ouest absorbé dans la colonie du Cap en 1880, le Zoulouland (N°6) annexé en 1881 à la suite d’une guerre au cours de laquelle le fils unique de Napoléon III (le prince Louis Napoléon) qui combattait dans l’armée anglaise a été tué en 1879 à 23 ans, le Basutoland (n°7) protectorat britannique depuis 1884 et le Natal, province britannique depuis 1843.
Ce que signifie cette géographie, c’est l’encerclement presque complet (à part la colonie portugaise).
A partir de 1886, l’enjeu que représentent les républiques boers change radicalement : de pays pauvres, de fermes isolées aux communications difficiles, ils deviennent une sorte d’El Dorado.
2.1.2 Déclenchement du conflit La découverte d’un important gisement de diamants dans la région de Kimberley en 1868 avait déjà provoqué un phénomène du même ordre, mais c’était aux confins de la colonie britannique du Griqualand West et de l’état libre d’Orange. C’est ce qui avait provoqué la 1ère guerre des boers en 1880-1881 qui s’était terminée par un compromis qui avait maintenu l’indépendance des 2 états boers, mais qui avait confirmé la domination britannique sur tous les territoires environnants.
La ruée vers l’or qui se produit à partir de 1887 se situe à une autre échelle. On est là au cœur du territoire du Transvaal, ce qui change la donne. C’est pour le Transvaal une ressource inespérée : en 10 ans, le revenu de la république passe de moins de 200 000 livres/an à plus de 4 millions de livres. Des milliers de colons britanniques affluent de la colonie du Cap, faisant de Johannesburg une ville champignon. La présence de ces étrangers (leur nom en afrikaner est « Uitlanders ») devient un problème crucial. Elle devient d’autant plus importune que même s’ils restent minoritaires dans la population totale de l’état, ils deviennent majoritaires dans le Rand (dans l’exploitation du gisement aurifère).
2.1.3 Rôle de Cecil Rhodes Homme d’affaires particulièrement habile, (en 1885, il est propriétaire de la plus grande partie des mines de diamants de la région de Kimberley) il s’emploie à favoriser l’exploitation de l’or par les britanniques et à resserrer encore l’encerclement des républiques boers (du Transvaal particulièrement). Après avoir créé en 1889 la British South African Company, il devient en 1890 1er ministre de la colonie du Cap et s’efforce de soumettre à l’administration de la compagnie le territoire des Matabélés au Nord du Transvaal (dénommé Rhodésie à partir de 1890, sa capitale reçoit le nom de Salisbury en hommage au 1er ministre anglais de l’époque). Il incarne alors l’impérialisme britannique en Afrique à son plus haut degré, sur le plan financier et politique, (comme Kitchener va l’incarner sur le plan militaire).
Caricature : « The Rodhes Colossus » qui enjambe toute l’Afrique pour évoquer le projet grandiose de relier par une ligne de chemin de fer (et aussi par liaison télégraphique) Le Cap au Caire.
L’action de Rhodes connait un coup d’arrêt brutal après l’échec de l’expédition entreprise sous son impulsion le 29 déc. 1895 contre la république du Transvaal par le docteur Jameson qu’il a placé à la tête de la British South African Company. Raid lancé sous le prétexte de libérer les Uitlanders opprimés du Transvaal. Les hommes sont capturés au bout de 4 jours et le fiasco affaiblit non seulement Rhodes mais aussi Chamberlain à Londres (qui s’est fait le champion de la cause impérialiste). Cette affaire a un certain retentissement international puisque l’empereur Guillaume II, soucieux des intérêts de l’Allemagne présente dans le Sud-ouest africain, envoie un télégramme de félicitations au président du Transvaal Paul Kruger. Mais ce fiasco laisse entier le problème des Uitlanders qui reste un casus belli potentiel car les Uitlanders ne disposent pas de droits politiques au Transvaal (droit de vote) alors qu’ils contribuent à la prospérité du pays et sont assujettis à de lourds impôts. On retrouve ce lien particulièrement sensible dans le monde britannique entre fiscalité et citoyenneté (qui a été crucial dans la révolution américaine). L’octroi du droit de vote aux Uitlanders est inacceptable pour les Boers, compte tenu de leur proportion démographique. Quand en 1898 les Uitlanders lancent une pétition pour demander à la mère patrie d’intervenir en leur faveur, cette initiative provoque la déclaration de guerre du Transvaal le 11 octobre 1899.
2.1.4 La Guerre Elle se déroule en 3 phases :
Entre Oct.1899 et Janv.1900, les anglais sont pris de court par l’offensive des Boers et connaissent de sérieux revers. Leurs troupes se retrouvent assiégées à Ladysmith au Natal et à Mafeking au Bechuanaland. Les renforts envoyés depuis les ports pour les délivrer sont battus par les Boers. Londres doit faire appel à l’aide militaire de son dominion canadien (qui envoie 7 à 8000 hommes).
A partir de Fév.1900, commence la contre-offensive britannique qui en 6 mois renverse le cours de la guerre. Lord Roberts, Kitchener et John French (qui sera le 1er commandant du corps expéditionnaire britannique en France en 1914). Les effectifs dépassent 400 000 hommes grâce au succès de l’appel au volontariat. Ladysmith est délivrée puis Mafeking le 16 mai 1900.
Le colonel Robert Baden-Powell qui a tenu le siège devient « le héros de Mafeking ». Le fascicule qu’il publie : « Aids to Scouting for non comission (= sous-officiers) officers and men», ce livret de formation des éclaireurs de l’avant-garde militaire connait un immense succès et fait de Baden-Powell l’inspirateur d’un esprit mobilisateur nouveau de la jeunesse, le scoutisme. Au cours de cette 2ème phase, les capitales des états boers sont prises : Bloemfontein (capitale d’Orange) en mars, et Pretoria (capitale du Transvaal) en Juin.
Mais les Boers ne s’avouent pas vaincus. De Sept.1900 à Mai 1902, se déroule une guérilla difficile à réduire pour les britanniques.
Pour venir à bout de la résistance, Kitchener a décidé d’interner les familles boers dont les fermes avaient été détruites par la tactique de la terre brûlée, dans des camps de concentration. Le précédent que constitue cette forme de violence exercée contre les civils (pendant la guerre de Sécession, il y avait eu des camps comparables mais seulement pour les prisonniers de guerre) est un indice parmi d’autres de l’entrée dans un nouvel âge de l’art de la guerre. (Celui aussi où l’industrie permet de fabriquer en quantité du fil barbelé).
On aurait tort de voir là une spécificité de la guerre entre nations européennes puisque les noirs qui vivaient auprès des boers comme domestiques ou ouvriers agricoles en furent aussi victimes. Après le rapport d’une infirmière, une commission d’enquête visita les camps et recommanda d’améliorer la nourriture et l’équipement médical pour diminuer la mortalité effrayante. (28 000 morts boers de malnutrition et maladie parmi lesquels 22 000 enfants de moins de 16 ans, et plus de 14 000 noirs).
La spécificité de la guerre reste bien cette montée aux extrêmes de la violence entre nations d’origine européenne. Les noirs ont été mobilisés comme combattants malgré l’accord tacite initial entre anglais et boers de ne pas « recourir à la force noire » (comme le dira le général Mangin pour l’armée française)
Les commandos boers se rendent et les dirigeants des 2 états signent la paix le 31 mai 1902 à Vereeniging. Paix qui se voulait généreuse : les annexions faites par les britanniques étaient assorties de la garantie du self-government et d’une indemnité de 3 millions de livres pour la reconstruction des pays dévastés. (Retour à une éthique de gentlemen à l’égard d’un peuple qui pouvait être de nouveau considéré comme un égal)
Pour l’observateur étranger, guerre asymétrique : déséquilibre des forces entre les belligérants. Tel n’est pas le cas de la guerre suivante :
2.2 La guerre russo-japonaise (1904-1905)
Le caractère indirectement international d’un conflit qui n’oppose que deux belligérants. La Chine y est mêlée : c’est le non respect par les russes de l’engagement pris envers la Chine en 1902 de retirer par étapes leurs troupes de Mandchourie qui conduit le japon à prendre l’initiative de la guerre. Il augmente sa puissance navale grâce à l’appui du RU (traité du 30 janv.1902)
Au moment où les français et les anglais s’apprêtent à se lier par le traité « de l’entente cordiale », le 8 avril 1904, leurs sympathies se partagent entre les deux pays qui s’affrontent :
On trouve à sourire d’un conflit qui préfigure la guerre qui se livrera en France 10 ans plus tard.
Le petit Japon sur les genoux de l’anglais jovial et le russe porte derrière lui le français (et les sacs qui évoquent les emprunts russes contractés à Paris). Les spectateurs sont l’américain, le chinois et l’allemand.
2.2.1 Les faiblesses de la Russie
Révélées par l’attaque par surprise sans déclaration de guerre de la flotte stationnée à Port Arthur dans la nuit du 8 au 9 février 1904 : l’insuffisance des forces disponibles sur place, les défaillances du commandement, les difficultés de transport (le transsibérien est un chemin de fer à voie unique auquel il manque le tronçon de contournement de la rive Sud du lac Baïkal), les faiblesses navales (l’escadre de Vladivostok est battue en août 1904 et celle de la Baltique a fait faire le tour de l’Afrique à ses cuirassés ne voulant pas passer par le canal de Suez) engendrent la mort de 5000 marins et officiers, 7000 prisonniers, à peine 1000 arrivent à s’échapper. Du coté japonais, seulement une centaine de disparus.
Sur terre, une guerre de siège qui tend à s’immobiliser. Après le long siège de Port Arthur en Janvier, il faut encore 3 mois aux japonais pour parvenir à leurs fins.
On pourrait croire que le colonel Mayer décrit déjà la guerre de tranchées.
A l’inverse de ce qui se passe en mer, sur terre, les pertes sont plus importantes pour les assaillants, les japonais, que pour les russes. Il en déduit que la défensive dans de telles conditions peut avoir quelques vertus. Mais il n’est pas entendu par les états-majors qui continuent de penser que dans une guerre symétrique, la puissance meurtrière du feu étant à peu prés égale entre les 2 armées, seule l’offensive pourra être couronnée du succès. (On retrouvera ce même acharnement du Maréchal Joffre pendant la guerre 14 !)
2.2.2 Le rôle des Etats-Unis Les négociations de paix se tiennent à Portsmouth sur la côte Est en présence du président Théodore Roosevelt. Le traité de paix est signé le 5 septembre 1905.
2.2.3 Montée en puissance du Japon L’inquiétude des puissances occidentales (y compris les Etats-Unis) devant la montée en puissance du Japon permet à la Russie de s’en tirer à moins mauvais compte qu’elle n’aurait pu craindre : elle doit renoncer en faveur du Japon à Port Arthur et au chemin de fer transmandchourien mais à la moitié Sud seulement de l’île de Sakhaline ainsi qu’à toute prétention sur la Corée.
2.2.4 Ampleur des conséquences intérieures de cette défaite Dés avant la fin de la guerre, à l’annonce de la capitulation de Port Arthur le 16 janvier 1905, les ouvriers des usines Poutilov à St Petersbourg cessent le travail pour protester contre le renvoi de 4 de leurs camarades et la grève s’étend bientôt à toutes les entreprises de la région. Le 22 janvier, le cortège de 150 000 hommes, femmes et enfants, qui se dirige vers le palais d’hiver pour déposer une pétition appelant le tsar, père du peuple, à satisfaire un certain nombre de revendications politiques et sociales, est accueilli par les cosaques qui ouvrent le feu, provoquant un mouvement de panique et tuant un millier de personnes. C’est ce dimanche rouge que le cinéaste Eisenstein devait transposer 20 ans après sur les escaliers d’Odessa.
Transposition imaginaire dans un film qui visait à honorer les marins du cuirassé Potemkine qui s’étaient effectivement mutinés devant Odessa le 27 juin 1905. Voir la scène la plus célèbre de toute l’histoire du cinéma en raison de l’utilisation pionnière du travelling pour mettre en scène une voiture d’enfant qui dévale l’escalier.
La statue en haut de l’escalier est celle du duc de Richelieu, le ministre de Louis XVIII, qui avait été gouverneur d’Odessa au service du Tsar Alexandre 1er.
La violence montrée dans cet extrait n’est plus seulement celle de la guerre, c'est-à-dire entre des soldats préparés à s’affronter, mais c’est une violence tournée contre des civils, (femmes, enfants, vieillards). Le régime au service duquel Eisenstein a mis son génie d’artiste a encore décuplé cette violence par rapport au temps du règne de Nicolas II. On retrouve aussi cette violence dans :
2.3 Les guerres balkaniques (1912-1913)
2.3.1 Rancunes contre la Bosnie-Herzégovine
Le 1er lien qui rattache ces 2 guerres successives à la guerre russo-japonaise, c’est le sentiment de rancune que l’annexion de la Bosnie-Herzégovine par l’empire austro-hongrois en 1908 a inspiré aux élites gouvernementales, diplomatiques et militaires russes pas encore remises à cette date de l’humiliation qu’avait été pour elles la défaite face au Japon. On retrouve un conflit localisé dont il ne faut pas sous-estimer les motivations locales en tête desquelles se place la vigueur des nationalismes mais où néanmoins s’avivent à l’arrière-plan les antagonismes entre puissances impérialistes européennes.
2.3.2 Réactions en chaine des nationalismes Le nationalisme turc tel qu’il s’est manifesté à la suite de la révolution jeunes turcs de 1908 a stimulé les nationalismes balkaniques d’autant plus que le comité « Union et Progrès » se présentait comme une force de régénération de l’empire ottoman. Dés 1908, c’est ce qui signe, à l’initiative des russes, la formation d’une coalition balkanique. La guerre italo-turque de 1912 (qui aboutit à la main mise italienne sur la Lybie) crée dans cette coalition une fenêtre d’opportunité. Le 30 septembre 1912, les alliés serbes et bulgares déclenchent la mobilisation de leurs armées et exigent dans un ultimatum d’importantes réformes dans l’administration de la Macédoine, ultimatum laissé sans réponse dans un 1er temps, mais lorsque le 8 octobre, le Monténégro envoie des troupes pour soi-disant rétablir l’ordre en Albanie du Nord, le gouvernement turc demande aux ambassadeurs serbe et bulgare de quitter Istanbul. La guerre est déclarée le 18 octobre. Aussitôt la Grèce, qui elle, entend obtenir l’annexion de la Crète, rejoint la Serbie et la Bulgarie.
2.3.3 Large couverture médiatique du conflit La guerre fait l’objet à la fois d’une large couverture médiatique, d’une attention soutenue des états-majors des puissances, tous préoccupés de préparer un conflit général, et la mise en place d’une évaluation internationale des atrocités commises contre les populations civiles. La fondation Carnegie pour la paix internationale constitue une commission d’enquête dont le rapport publié en février 1914 devait servir de modèle pour la 1ère guerre mondiale.
2.3.4 Force des nationalistes chrétiens La surprise vient de ce que, alors qu’on prévoyait là encore une guerre asymétrique, à l’avantage des forces ottomanes (organisées et équipées par les allemands), d’une part les effectifs additionnés des armées balkaniques sont plus nombreux et d’autre part, les soldats chrétiens qui se battent pour des objectifs nationaux, se révèlent des combattants plus déterminés que leurs adversaires.
Les Bulgares sont victorieux en Thrace et les Serbes en Macédoine à Kumanovo. Aussi l’empire ottoman perd-il en quelques semaines le contrôle de la presque totalité des territoires qui lui restent encore dans les Balkans. Mais la résistance ottomane s’organise, les combats durent jusqu’au printemps 1913. Le 6 mars, les grecs entrent à Ioannina. Le 28 mars, les Bulgares entrent à Andrinople (ou Edirne). Fin avril, les Monténégrins prennent Scutari en Albanie. La conférence de Londres impose à l’empire ottoman la perte de tous les territoires situés au Nord et à l’Ouest de la ligne tracée entre Midia sur la mer noire et Enos sur la mer Egée. Cela coûte la vie à Chevket Pacha, chef du gouvernement, qui est assassiné le 11 juin 1913. Les nationalistes d’« Union et Progrès » préparent l’installation d’une dictature pour reprendre la situation en main.
2.3.5 Divisions parmi les vainqueurs Le partage des dépouilles provoque aussitôt la brouille entre les vainqueurs, qui d’alliés, deviennent ennemis. Dans la nuit du 29 au 30 juin, Ferdinand 1er de Bulgarie ordonne à ses troupes de repousser les serbes et les grecs de la zone centrale de Macédoine à laquelle il prétend. Les serbes et les grecs répondent par une déclaration de guerre et c’est :
2.3.6 La 2nde guerre balkanique qui dure un mois, du 30 juin au 31 juillet 1913.
La Bulgarie, isolée, demande l’armistice le 31 juillet. La paix signée le 10 août à Bucarest est dure pour la Bulgarie qui perd la Dobroudja du Sud au profit de la Roumanie, et ne garde qu’une petite partie à l’Est de la Macédoine. Elle doit partager la Thrace car Enver Pacha a profité de la zizanie pour reconquérir une partie de la Thrace qui lui est reconnue par le traité de Bucarest.
La Bulgarie ne conserve que la partie entre le fleuve Marica et le golfe de Kavala en Thrace.
Le bilan est donc lourd de haines, de frustrations et de menaces. Les belligérants se renvoient des accusations d’atrocités qui auront leur prolongement jusqu’à la 2nde guerre mondiale et au-delà. La Bulgarie continue de convoiter des terres :
aux Serbes, elle conteste la Macédoine jusqu’au fleuve Vardar
aux Grecs, elle conteste Salonique et la Thrace
aux Roumains, elle conteste la Dobroudja du Sud.
Tandis que ces peuples, Serbes, Grecs, Roumains, qui ne s’aimaient pas, deviennent des alliés naturels pour la défense du nouveau statu quo (de courte durée, comme on le sait !).
Epilogue
Sur l’Européocentrisme qui a caractérisé ce cours, voir introduction du 1er cours.
Transition avec la 1ère guerre mondiale : il faut mesurer dans les relations internationales, dans les opinions publiques, et dans les chancelleries et états-majors, ce qui est fait pour préparer les esprits à l’accepter mais aussi tous les efforts faits pour éviter qu’un conflit particulier dégénère en affrontement général.
André Loez souligne dans La grande Guerre, que quoique cette guerre ait été imaginée et anticipée (voir extrait précédent du colonel Mayer), les conditions de son déclenchement, comme le climat d’inimité apparente des sociétés devant cet évènement, sont autant d’éléments inattendus.
En 1937, Jules Romain, à l’approche de nouvelles menaces, a terminé Les hommes de bonne volonté sur un tableau de la France en Juillet 1914 : il résume les raisons pour lesquelles l’aspiration unitaire pouvait seule désormais rendre espoir et confiance aux survivants européens.
Dans son cours d’introduction, Chanet a insisté sur les écarts entre les siècles numériques et les siècles historiques. La première guerre mondiale a marqué un changement d’époque, au point, que les années vingt ont vu les français désigner comme «la belle époque » les années et mêmes les décennies qui l’avaient précédée et qui avaient pourtant été jalonnées de crises et de conflits. Dès lors, s’est imposée l’idée que 1914 avait marqué la fin véritable du XIXème siècle. Ce qui n’empêche pas, de nos jours encore, les historiens de parler de « tournant du siècle » pour désigner la période comprise entre les dernières années 1890 et les premières années 1900, en respectant le sens arithmétique du terme. Ces variations montrent d’abord que le parti historiographique en faveur d’un long XIXème siècle a sa source dans un sentiment communément partagé (celui qu’exprimait par exemple Guillaume Apollinaire dans le poème ci-contre). Ce sentiment de rupture n’exclut pas de la part des historiens, la mise en lumière sous le nom de « tournant de siècle » de ce qu’en géographie militaire on appellerait une « région de marche », c’est à dire une zone frontière où apparaissent des signes annonciateurs, des facteurs préparatoires. Bien sûr, ces signes, ces facteurs ne nous apparaissent tels parce que nous connaissons la suite et que nous avons tendance à aborder de façon régressive un temps communément désigné comme celui de l’«avant–guerre». Or il est de bonne méthode de reconnaitre la part de la contingence dans le processus qui a conduit en 1914 au scénario qui avait toujours été évité depuis 1815. A savoir, l’incapacité du concert européen à trouver une issue diplomatique à un conflit localisé. Si l’on ne doit pas considérer que l’affrontement généralisé entre les puissances était comme programmé pour cette date, on peut réfléchir à ce qui l’a rendu possible, non pas seulement dans les semaines ou les mois qui l’ont précédé, mais parfois depuis plusieurs décennies. Le tournant du siècle, en effet, avait indéniablement multiplié les signes que l’on allait entrer dans une époque nouvelle. Nous avons commenté, au début de notre semestre, comment Elie Halévy, note que les années 1815-1914 ne rentrent pas dans le XIXème siècle anglais, tel qu’il le comprend. On pourrait exprimer le même point de vue sur la plupart des puissances continentales. Nous évoquions alors (le 6 septembre !), l’Italie après la défaite d’Adoua en 1896 et l’Espagne après sa défaite face aux Etats-Unis en 1898. Vous avez depuis mesuré l’importance de l’arrivée de Guillaume II sur le trône impérial allemand en 1888 et peut-être plus encore, de la démission de Bismarck en 1890, de même pour l’accord de coopération militaire franco-russe signé en 1892, l’arrivée du tsar Nicolas II en 1894. 1894, année qui s’achève en France avec la condamnation du capitaine Dreyfus que tout le monde croit alors coupable. Dans l’empire Austro-hongrois, le suicide de l’Archiduc Rodolphe à Mayerling en 1889 est certes avant tout une tragédie familiale, comme le sera l’assassinat de l’Impératrice Elizabeth à Genève en 1898, mais c’est aussi une catastrophe pour la monarchie. Et les années 1905-1906 voient remonter la tension avec les hongrois qui en nombre grandissant réclament le suffrage universel, tandis que l’année suivante, cédant à la pression des jeunes turcs, le sultan Abdul-Hamid doit restaurer la Constitution de 1876 et convoquer un parlement. Si rien de tout cela pris isolément, peut être une pris pour une cause même indirecte de ce qui se produit en 1914, l’ensemble témoigne d’une évolution sensible des rapports de force politiques et sociaux, à la fois au sein de chaque puissance et entre elles. Cela se traduit de deux manières dans deux domaines principalement sur lesquels le plan d’aujourd’hui mettra l’accent tour à tour : la compétition impériale et la transformation de la guerre. L’une et l’autre génératrice de tensions sociales internes, en somme tout ce qui a contribué, non pas à provoquer mécaniquement la crise de 1914, mais à en faire supporter les conséquences par les peuples et avec leur consentement.
1 LE « GRAND JEU » IMPERIAL
Terme provenant des échecs qui semble avoir été utilisé la première fois par Arthur Connoly en 1838 dans son récit : Journey to the north of India. Overland from England, through Russia, Persia and Affghannistaun. Il a été repris pour désigner encore plus clairement la rivalité anglo-russe dans cette partie du monde.
1.1 En Asie Deux logiques expansionnistes se rencontrent et entretiennent une tension qui ne débouche cependant qu’une seule fois sur une guerre au cours du siècle : la guerre de Crimée (1853-1856). (Encore que cette guerre n’oppose pas seulement les deux empires).
1.1.1 Russie : La première logique expansionniste est celle de la Russie. Elle entend consolider ses conquêtes autour de la Mer Noire, acquises aux dépends de l’Empire Ottoman au XVIIIème siècle. Dès cette époque, elle a commencé à s’étendre vers le Caucase et l’Asie centrale. Que ce soit son projet d’accéder à la Méditerranée par les détroits ou sa prétention d’aider à la libération des peuples slaves ou chrétiens des Balkans, ces visées sont considérées comme une menace par les britanniques, alliés de la France et de l’Empire Ottoman pendant la guerre de Crimée, car le Royaume-Uni cherche, lui, à consolider son empire des Indes.
1.1.2 La Grande-Bretagne et les Indes C’est à partir de 1818 qu’on peut parler d’un véritable empire britannique des Indes, comparable aux empires russe et chinois, et qui fut par rapport à eux, comme l’écrit Claude Markovits, Histoire de l’Inde moderne,1480-1950, sans aucun doute, la plus grande construction politique du XIXème siècle. A partir de 1818, date de la défaite des Marathes, guerriers hindouistes d’Inde centrale, qui avaient contribué à affaiblir au siècle précédent l’empire Moghol (musulman), aucun pouvoir indigène ne représentera de menace pour la Compagnie Anglaise des Indes Orientales, en théorie souveraine aux Indes et dont le gouvernement est installé à Calcutta. Au cours des quatre décennies qui ont suivi cette victoire de 1818, les anglais ont étendu les limites de leur empire dans trois directions : l’est et le sud-est aux dépends des birmans, au centre aux dépends des Marathes et le nord-ouest (c’est traditionnellement de là que sont venues les invasions), c’est de là que les anglais craignaient de voir venir les russes dès lors que de leur coté, ils avançaient vers l’Asie Centrale. Cette crainte a causé, dès 1839, la première guerre Anglo-afghane.
1.1.3 La première guerre Anglo-afghane (1839-1842) Les chefs afghans s’étaient émancipés de la tutelle perse au cours du XVIIIème siècle et en 1835, Dost Mohammad Khan s’était attribué le titre d’émir. La Compagnie Anglaise des Indes Orientales s’oppose alors à ses revendications sur le Pendjab. Il se tourne vers la Russie ce qui décide le gouverneur général Lord Auckland à s’engager dans cette guerre qui va se révéler désastreuse pour les anglais. La première partie est victorieuse jusqu’à Kaboul. Mais la prise de Kaboul est suivie d’une insurrection générale qui oblige les anglais à faire retraite dans des conditions très difficiles en janvier 1842 vers Jellalabad puis vers le Pendjab (quelques dizaines d’hommes reviendront sur les 16500 engagés dont moins d’un millier d’anglais). Les anglais avaient sous-estimé les difficultés matérielles d’une guerre en terrain montagneux dans des conditions climatiques rigoureuses. Pour compenser cet échec les anglais s’empressent d’annexer le Sind en 1843. Ils étaient attirés par l’Indus dont ils surestimaient l’intérêt commercial comme fleuve navigable et leur aventure impériale dans cette partie nord-ouest se poursuit par de sanglants conflits avec les Sikhs, guerriers redoutables, pour le contrôle du territoire du Pendjab qui est rattaché à l’Empire en 1849 et qui, alors que le Sind reste une région pauvre, devient un grenier pour l’Inde qui se révèlera très précieux lors de la révolte des Cipayes. Cette politique expansionniste culmine en 1856 avec l’annexion de l’Oudh, principal état autochtone survivant en Inde du nord. A cette date, date du traité de Paris qui met fin à la guerre de Crimée, la domination britannique parait plus assurée que jamais. L’état qu’est devenu la Compagnie, on parle de « Company State », parait devoir durer. On le désigne sous le nom anglo-indien de « Raj ». En réalité la compagnie apparait de plus en plus selon Markovits, comme un simple écran derrière lequel se profilent le gouvernement et le parlement britannique. Et cet écran disparait à la suite de ce que les français appellent la « révolte des Cipayes »
1.1.4 La révolte des cipayes En anglais on parle: de « Sepoy Rebellion », de « Sepoy Mutiny », de « Indian Rebellion », de « Indian Mutiny of 1857 », ou simplement « The Revolt », the « Uprising of 1857 » et plus significativement « The Great Rebellion » et même du point de vue indien « India First War of Independance ». En français, le mot « cipaye » vient du persan « sipahi » et est donc en quelque sorte synonyme de « spahi ». A l’origine, il s’agit des cavaliers fournis par les tribus soumises aux ottomans, troupes irrégulières d’appoint aux mamelouks (qui eux, constituaient une troupe régulière de cavalerie). Un cipaye, écrit Larousse, est donc « un soldat indien au service des européens et spécialement de la Compagnie des Indes ». Mais il prend soin de rappeler que cette force est de création française puisque la paternité de l’idée d’utiliser ces cavaliers revient, selon lui, à Dupleix, gouverneur général des établissements français de l’Inde de 1742 à 1754, avant que le conflit avec les anglais chassent les français de l’Inde. Tandis qu’un spahi est un cavalier appartenant à un corps indigène crée à Alger par la France en 1834.
Le prétexte de la révolte des cipayes est l’introduction dans l’armée du Bengale de nouvelles cartouches dont il fallait arracher l’enveloppe avec les dents. Or, cette enveloppe était collée au moyen de graisses animales ce qui rendait son emploi également inacceptable aussi bien pour les hindouistes, pour qui la vache est un animal sacret, que pour les musulmans, pour qui le porc est un animal impur. Et comme on ne savait pas exactement de quelle graisse il s’agissait, les uns et les autres n’ont pas voulu utiliser ces cartouches. Prétexte plutôt que cause, car les causes comme toujours en pareil cas, forment un ensemble complexe où domine, chez les insurgés, le sentiment d’une menace contre leur religion et leur mode de vie. Ce qu’il faut retenir de cette révolte, c’est d’abord son ampleur, son étendue. Cà commence à Peshawar et va jusqu’à Bénarès et même plus bas dans la vallée du Gange. Une étendue immense qui oblige les anglais à livrer une véritable guerre, c'est-à-dire à la fois et comme toujours en situation coloniale, une guerre de reconquête territoriale et une guerre de pacification, donc de répression, et de répression d’autant plus cruelle que la menace a paru sérieuse et a mise à l’épreuve le sentiment de supériorité propre au colonisateur. Alors, bien sûr, la défaite des insurgés peut s’expliquer, et s’explique surtout par l’absence d’objectifs communs, véritablement communs entre hindouistes et musulmans, l’absence aussi d’un commandement unifié face à des anglais qui cumulaient l’unité stratégique et l’avance technologique (le chemin de fer). La question cruciale qui reste posée, est celle de la participation populaire à l’insurrection. Les historiens indiens d’inspiration marxiste ont défendu la thèse d’un soulèvement proto-nationaliste et ont souligné la composante paysanne du mouvement. Toutefois, la participation même importante de paysans comme le souligne Markovits, ne suffit pas à faire de ce soulèvement un soulèvement paysan. La question est plus compliquée du fait que les cipayes étaient en grande partie d’origine rurale, certes, mais appartenaient en général à des castes élevées qui possédaient la terre et ne la cultivaient pas eux-mêmes. Et donc, la question rejoint celle que les historiens se sont posée sur la participation populaire et particulièrement paysanne aux mouvements révolutionnaires et nationaux ailleurs dans le monde, que ce soit en Europe ou en Amérique Latine.
Une fois les anglais à nouveau maitre du terrain, une fois matée et cruellement matée cette révolte, le « grand Jeu » se poursuit sans déboucher sur un affrontement armé direct entre les deux empires rivaux. La révolte de 1857-1858 précipite l’ultime étape de la transformation de l’administration britannique en Inde. La Compagnie des Indes perd ses fonctions administratives dès 1858 : l’Inde est désormais gouvernée de Londres par un ministre placé à la tête de l’ « India Office » et sur place par un vice-roi, titre qui remplace celui de gouverneur général. La Compagnie sera dissoute par décret le 1 janvier 1874 et la reine Victoria sera proclamée Impératrice des Indes en 1876.
Au même moment, le Premier Ministre Disraeli prêtait une attention particulière aux nouvelles initiatives russes contre l’Empire ottoman. Nous avons vu en fait il y a deux semaines, comment l’intervention des puissances occidentales et la tenue du congrès de Berlin en 1878 ont mis en échec les projets expansionnistes russes aux dépends de l’Empire Ottoman. Cette carte vous permettra de prendre une vue synthétique de ce qui se joue entre britanniques et russes en Asie Centrale jusqu’au début du XXème siècle aux dépends des ottomans et des perses. La compétition aboutit finalement à la convention du 31 aout 1907 signée à Saint-Pétersbourg. Trois sections dans ce texte qui concernent successivement la Perse, l’Afghanistan et le Tibet.
- La perse, comme l’indique cette carte, est divisée en trois zones et deux sphères d’influence : au nord, rayures verticales rouges, la zone d’influence concédée aux russes par les anglais, au sud, région limitée par le trait bleu ; la zone d’influence concédée par les russes aux anglais, entre les deux une zone tampon, neutralisée.
- Deuxième point, les russes reconnaissent le droit pour les anglais d’établir un semi-protectorat sur l’Afghanistan et renonce ainsi à établir des liens directs avec l’émir d’Afghanistan.
- Le troisième point ne figure pas cette carte (le Tibet est situé plus à l’est). A la suite de l’expédition britannique de 1903-1904 qui a conduit à un traité signé à Lhassa, les deux puissances confirment leur accord pour maintenir l’intégrité territoriale de cet état considéré aussi comme un état tampon entre eux ; ils confirment aussi leur accord de ne traiter avec Lhassa que par l’intermédiaire de la puissance qualifiée de suzeraine, c'est-à-dire la Chine. Suzeraineté ou souveraineté, l’interprétation chinoise de ce vocabulaire occidental reste d’actualité comme vous le savez. En vérité, pris dans un sens plus large, le « Grand Jeu » s’applique aussi à la situation en Extrême-Orient où se développe dans le même temps la concurrence entre les puissances occidentales et la Russie.
1.1.5 La Chine et la Russie On a pu résumer la situation de la Chine moderne par ces deux mots : « la splendeur et l’impasse », Caroline Blunden et Mark Elvin, Atlas de la Chine, 1986. Dans le céleste empire, les progrès industriels et agricoles des XVIIème et XVIIIème siècle ont suscité une explosion démographique qui est devenue un frein qui a grevé l’industrialisation sur le modèle occidental (parce que cette explosion démographique fournissait une abondante main d’œuvre qui a été un frein à la mécanisation, inutile en raison du nombre des bras disponibles). Elle a conduit à une paupérisation de l’ensemble de la société lorsque la production a plafonné. On est ainsi entré dans une phase de stagnation dont la Chine est restée prisonnière pendant plus d’un siècle, ce qui a fait d’elle une cible pour l’expansionnisme des puissances européennes.
Les facteurs dissolvants pour l’Empire Chinois : les révoltes endémiques d’une part, (problème internes), qui entretiennent la misère dans les campagnes et d’autre part l’extension progressive de la mainmise étrangère (problèmes externes). Mainmise étrangère dans les ports, et pas seulement les ports côtiers, mais aussi les ports sur les fleuves navigables. Le commerce de l’opium, imposé par l’Angleterre, occasionne un déséquilibre de la balance commerciale qui va s’accentuant de plus en plus, dommageable pour l’économie chinoise au cours du siècle. Et donc, à nouveau, dans ce cours sur le XIXème siècle, nous sommes conduits à nous insérer en faux contre l’idée étroitement européocentrique, selon laquelle, entre 1815 et 1914, le XIXème siècle aurait été, sauf exceptions passagères, un siècle de paix. La guerre au contraire pèse de tout son poids sur l’histoire de la Chine et joue un rôle décisif dans son destin. Elle n’ouvre pas seulement la voie à la pénétration étrangère, elle interrompt un courant d’échange qui avait jusque là été favorable à son développement et provoque une grave hémorragie financière. Quant à ce qu’on appelle la révolte des « Taiping », cette dénomination même relève de l’ironie de l’Histoire, Taiping signifie « Grande Paix ». Les rebelles ont donné au royaume qu’ils ont fondé initialement en Chine du sud, le nom de « Royaume Céleste de la Grande Paix ». Or, il s’agit d’une guerre civile, et de l’une des plus meurtrières de l’Histoire, si l’on admet que le nombre des morts s’est élevé à au moins vingt millions sous les effets conjoints des violences, des famines et des misères qui l’ont accompagnée. Histoire complexe et paradoxale que celle d’une guerre où les occidentaux, anglais en tête, en viennent à aider l’empire des Qing à reprendre le contrôle de son territoire (il lui faut treize ans pour cela , 1851-1864) alors que ces mêmes occidentaux, anglais en tête, profitent par ailleurs de son affaiblissement. Guerre qui ruine la région la plus prospère du pays : le bassin du Yan-Tsé, le fleuve bleu. Guerre où la révolte d’abord méridionale Taiping est relayée par d’autres soulèvements paysans, celui des Nian dans le bassin du fleuve jaune, puis celui des musulmans chinois. En fait selon l’historien Elie Halévy, c’est l’Empire tout entier qui est à feu et à sang pendant quelques cinquante ans. Le constat d’échec des tentatives de réformes dans la tradition chinoise a conduit André Malraux à parler de «la tentation de l’Occident », mais tentation de l’Occident pour se libérer de sa domination.
1.1.6 Le Japon Face à cette évolution, et par contraste, celle du Japon lui permet de s’affirmer aux dépends même de son immense mais affaibli voisin comme la première puissance de l’Asie. Il est impossible de résumer, même à grands traits, ce qu’on appelle l’ « ère Meiji », qui signifie « gouvernement éclairé », nom que l’on a donné à l’Empereur Mutsuhito qui a régné de 1867 à 1912. Si l’on s’en tient à la comparaison avec la Chine, un même but, la pleine indépendance par l’abrogation des « traités inégaux » à l’avantage des puissances occidentales, a été atteint par le Japon progressivement à partir des années 1890 (avant le déclenchement de la première guerre mondiale en tout cas !) Et l’on observe, que tout en poursuivant cet objectif, le Japon s’est engagé dans une politique impérialiste en direction du continent, politique qui témoigne d’une aptitude à exploiter à son profit, la compétition entre les occidentaux. C’est ainsi que la construction du transsibérien incite la Grande-Bretagne à négocier avec le Japon un nouveau traité de commerce en 1894. Et c’est pour prévenir une immixtion britannique ou russe, que le Japon a pris entre 1894 et 1895, l’initiative d’une guerre contre la Chine qui s’achève par le traité de Shimonoseki, le 17 avril 1895 et qui permet au Japon d’obtenir l’indépendance de la Corée, la session de Formose et de la péninsule de Liaodong par la Chine, ainsi que la parité avec les occidentaux en Chine (ce qui n’est pas un mince avantage). Mais il est notable que six jours seulement après la signature de ce traité, la pression diplomatique conjointe de la Russie, de la France et de l’Allemagne ait obligé le Japon à rétrocéder le Liaodong à la Chine. C’est très significatif : il y a là un échec partiel qui incite les dirigeants japonais a plus de prudence au moment où s’intensifie la poussée russe en Mandchourie, et comme vous le voyez, sitôt qu’il s’agit d’intérêts communs et d’intérêts lointains, la solidarité des puissances occidentales transcende les alliances militaires distinctes qu’elles mettent en place pourtant, pour le cas où elles viendraient à s’affronter en Europe même. C’est ce que confirme leur réaction commune face à la révolte des « boxers », du nom d’une société secrète chinoise organisée autour de la pratique de la boxe chinoise, qui entraine le siège des légations étrangères présentes à Pékin à partir du 20 juin 1900. Les britanniques, les français, les russes, les allemands, les autrichiens, les italiens forment une coalition à laquelle ne manquent pas de se joindre les Etats-Unis et le japon. Coalition victorieuse après « les 55 jours de Pékin » (film célèbre). Autrement dit, il serait simpliste et même faux d’interpréter le « Grand Jeu » comme la montée progressive et irrémédiable d’un risque d’affrontement direct, c’est bien plutôt un effort constant pour l’éviter par des compromis établis aux dépends des états souverains sur les territoires disputés. Et c’est ce qu’on vérifie en observant ce qui se passe en Afrique au cours des dernières décennies du siècle qui voient s’accentuer la concurrence coloniale.
1.2 En Afrique
On ne peut rentrer dans le détail de l’histoire de ce continent et des résistances que la population a opposées à la pénétration européenne. On va donc « survoler »
1.2.1 Pénétration européenne superficielle Ce survol permet de constater le caractère tardif et limité de cette pénétration à partir des littoraux et des fleuves (à vérifier sur la carte). Deux exceptions relatives, pour des territoires qui sont devenus dans une certaine mesure des colonies de peuplement (ce qui n’est pas le cas des autres). Au nord, il s’agit de l’Algérie à partir de la conquête française de 1830, au sud, c’est la colonie du Cap, néerlandaise d’abord, puis anglaise. La rivalité entre les deux, anglais et afrikaners ou boers, conduisant à la naissance d’un conflit entre européens (ou de souche européenne). Dans les deux cas, Algérie et Afrique du Sud, les européens ont fait souche donnant naissance aux « pieds-noirs » d’un coté, et aux afrikaners ou boers de l’autre [Deux noms pour une même population, le premier a une signification linguistique (ils parlent l’afrikaans, c'est-à-dire, une langue issue du néerlandais), le second terme a une signification sociale (boers=paysans), c’est ainsi qu’on désigne les premiers colons blancs qui ont peuplé cette terre].
Partout ailleurs, les européens restent sur la côte : les espagnols au Sahara Occidental, les français en Afrique Equatoriale, les portugais en Guinée et le long de la côte de l’Océan indien, les britanniques le long de la Mer Rouge, les allemands eux aussi dans le sud-ouest africain.
Ils pénètrent aussi par les bassins fluviaux : les anglais par la Vallée du Nil, les français dans le bassin du Sénégal, les belges dans le bassin du Congo, les portugais dans le bassin du Zambèze.
1.2.2 Rapidité de la progression de l’impérialisme Ce qui frappe, au début des années 1880, c’est la rapidité de la marche de l’impérialisme colonial en Afrique, donc la vivacité de la concurrence qu’elle provoque entre européens. On ambitionne alors de rattraper sur ce continent l’avance anglaise (où elle n’est pas alors très marquée). Le développement du capitalisme a crée le besoin de matières premières et de nouveaux marchés, mais il a aussi favorisé l’essor d’une idéologie impérialiste où le sentiment de la supériorité nourrit celui de la mission auprès des indigènes. C’est le sens du « fardeau de l’homme blanc » de Rudyard Kipling, 1899. Suivant le commentaire de Catherine Coquery-Vidrovitch, l’Afrique et les Africains au XIXème siècle : « l’Occidental est désormais tenu de répandre outre-mer les bienfaits de sa culture, les fameux « 3C » prônés comme indissociables par les humanitaires anglais depuis le début du siècle : Commerce, Christianisme et civilisation ». Cette tendance à l’accentuation de la compétition est accrue par la conjoncture économique, celle de la grande dépression des années 1880, mais les risques que comporte la montée des tensions entre les compétiteurs justifient, dans la tradition du concert européen, la recherche d’un accord global sur les règles du « Grand Jeu ». Les russes n’y participant pas d’ailleurs, les anglais préfèrent utiliser un terme provenant du vocabulaire du golf, ils parlent du « scramble for Africa », ou plus simplement « Race for Africa » ou encore « African fever ». Le fait que la conférence internationale est lieu à Berlin du 15 novembre 1884 au 26 février 1885 est un signe de plus de la prééminence de Bismarck dans la diplomatie européenne depuis la création de l’Empire Allemand. La quasi-totalité de l’acte final de cette conférence, 33 articles sur 35, concerne en fait la liberté commerciale sur les fleuves Niger et Congo pour les nations européennes, donc seulement en Afrique centrale. Seuls les brefs articles 34 et 35 visent à encadrer le partage déjà amorcé du continent. Dorénavant, les puissances devront assurer dans les territoires qu’elles occupent, l’existence d’une autorité suffisante pour faire respecter les droits acquis. Nous faisons référence à Henri Brunschwig, Le Partage de l’Afrique Noire, 1971, où il entend démonter le mythe de l’Afrique partagée à Berlin pour montrer que d’une part la partie de scramble avait déjà commencé dès les années 1870, et que d’autre part le vrai partage s’est opéré après, dans les années 1890 et a vu, d’ailleurs, se multiplier les incidents que l’acte final de la conférence de Berlin ,n’a pas permis d’empêcher.
C’est par une série d’accords bilatéraux, que le roi Léopold II a fait admettre sa souveraineté sur l’état dit indépendant du Congo dont il avait fait descendre le cours de ce fleuve par l’explorateur Stanley. Contrairement à ce qu’on lit parfois dans les manuels, cela n’est pas dans l’acte final de la conférence de Berlin qu’apparait la reconnaissance du roi des Belges sur le Congo. Si cette conférence marque un tournant, c’est dans la mesure où la conquête est dans le prolongement logique de l’ouverture commerciale de l’Afrique Centrale. Comme le suggérait Jean-Pierre Chrétien, la difficulté à faire pénétrer l’économie de marché par la voie libérale, suscitait inévitablement une méthode plus expéditive, la conquête territoriale à laquelle, même la très libérale Angleterre se résigne. Indirectement se sont les peuples africains qui transparaissent aussi dans les actes diplomatiques et le paternalisme de l’acte de Berlin (en retrait par rapport aux projets optimistes des philanthropes du début du XIXème siècle). Donc pour l’Afrique, les années 1870-1880 représentent effectivement un moment décisif, même si le partage effectif n’intervient que 10 à 15 ans plus tard.
Trois observations à partir des cartes ci-dessous:
- la pénétration effective à partir des cotes, confirmée par le tracé des premières lignes de chemin de fer.
- le partage du continent s’est fait effectivement en 30 ans entre les pays d’Europe Occidentale.
- Il ya une visible prééminence de deux pays : Le Royaume Uni et la France dont les conquêtes se sont déroulées selon deux axes voués à se croiser.
1.2.3 Prééminence britannique et française un axe est-ouest pour les français et un axe nord-sud pour les anglais. Ces deux directions étaient amenées à se croiser quelque part : ce sera à Fachoda au Soudan (aujourd’hui Kodok). Le heurt se produit à la fin de l’été 1898 : le commandant Marchand, placé à la tête d’une mission au nom bien significatif de « Congo-Nil » a atteint Fachoda le 10 juillet, de l’autre coté, Kitchener, général anglais qui porte à l’époque le titre de « Sirdar », nom donné depuis 1882 au commandant britannique de l’armée égyptienne, arrive le 18 septembre après avoir brisé la tentative des Mahdistes qui prétendaient établir au Soudan, un émirat indépendant, alors que les anglais prétendaient, eux, unifier sous leur tutelle Egypte et Soudan, c'est-à-dire l’ensemble du bassin du Nil. Une fois achevée la besogne de réduire cette résistance, Kitchener a l’ordre de repousser toute incursion étrangère dans le Haut-Nil, fut-elle française. Mais ce qui frappe la encore, derrière les apparences, c’est le soin mis à éviter que le contact dégénère en conflit armé. Dans l’opinion française de 1898, l’affaire Dreyfus accapare l’opinion : tout ce qui touche à l’armée est extrêmement sensible. L’orgueil national est à vif. La crise diplomatique qui tourne à la défaite pour la France, aboutit néanmoins, à terme, à un rapprochement puisque le ministre des affaires étrangères français Delcassé qui est obligé de gérer cette crise diplomatique sera en 1904, l’artisan principal du coté français de l’ « Entente Cordiale ». Quant à Marchand, il poursuit sa route et rallie Djibouti en mai 1899 et rentre en France, accueilli en héros à Toulon. Cette crise passagère est bien différente de celle qui se produit l’année suivante en Afrique du Sud.
2 VERS LA GUERRE INDUSTRIELLE
2.1 La guerre des Boers (1899-1902)(La 2nde)
2.1.1 Contexte Les bruyantes manifestations de nationalisme français au moment de Fachoda n’ont d’égales que celles du Jingoïsme (voir cours sur le RU : équivalent du chauvinisme) en Grande Bretagne. C’est le signe patent d’une évolution de l’opinion publique qui n’avait pas paru aussi mobilisée par les premières étapes du développement de l’impérialisme britannique en Afrique du Sud. Ce développement est commandé par 3 facteurs :
Antagonisme entre les anglais et les afrikaners (ou boers)
Existence d’une majorité de populations noires
Découverte de gisements d’or dans la région du Witwatersrand (Rand) (signifie « barrière de l’eau blanche »)
A cette date, il existe deux états boers reconnus par le gouvernement britannique :
Au Nord, le Transvaal
Au Sud, l’état libre d’Orange (dénommé ainsi en hommage à la dynastie d’Orange-Nassau qui régnait sur les Pays-Bas). Etat créé à la suite du départ des boers qui avaient quitté la colonie du Cap sous domination britannique à partir de 1815 : cet exode, le grand Trek, à partir de 1835, leur permet de s’installer plus au Nord sur des terres encore vierges de présence européenne.
Autour de ces deux états blancs, un certain nombre de territoires sont en passe de tomber dans la zone d’influence britannique : Le Bechuanaland (qui se partage en 2 parties, l’une qui est protectorat britannique et l’autre qui est véritablement annexée en 1885), le Swaziland de l’autre coté, à l’Est, le Griqualand West(n°4) à l’Ouest absorbé dans la colonie du Cap en 1880, le Zoulouland (N°6) annexé en 1881 à la suite d’une guerre au cours de laquelle le fils unique de Napoléon III (le prince Louis Napoléon) qui combattait dans l’armée anglaise a été tué en 1879 à 23 ans, le Basutoland (n°7) protectorat britannique depuis 1884 et le Natal, province britannique depuis 1843.
Ce que signifie cette géographie, c’est l’encerclement presque complet (à part la colonie portugaise).
A partir de 1886, l’enjeu que représentent les républiques boers change radicalement : de pays pauvres, de fermes isolées aux communications difficiles, ils deviennent une sorte d’El Dorado.
2.1.2 Déclenchement du conflit La découverte d’un important gisement de diamants dans la région de Kimberley en 1868 avait déjà provoqué un phénomène du même ordre, mais c’était aux confins de la colonie britannique du Griqualand West et de l’état libre d’Orange. C’est ce qui avait provoqué la 1ère guerre des boers en 1880-1881 qui s’était terminée par un compromis qui avait maintenu l’indépendance des 2 états boers, mais qui avait confirmé la domination britannique sur tous les territoires environnants.
La ruée vers l’or qui se produit à partir de 1887 se situe à une autre échelle. On est là au cœur du territoire du Transvaal, ce qui change la donne. C’est pour le Transvaal une ressource inespérée : en 10 ans, le revenu de la république passe de moins de 200 000 livres/an à plus de 4 millions de livres. Des milliers de colons britanniques affluent de la colonie du Cap, faisant de Johannesburg une ville champignon. La présence de ces étrangers (leur nom en afrikaner est « Uitlanders ») devient un problème crucial. Elle devient d’autant plus importune que même s’ils restent minoritaires dans la population totale de l’état, ils deviennent majoritaires dans le Rand (dans l’exploitation du gisement aurifère).
2.1.3 Rôle de Cecil Rhodes Homme d’affaires particulièrement habile, (en 1885, il est propriétaire de la plus grande partie des mines de diamants de la région de Kimberley) il s’emploie à favoriser l’exploitation de l’or par les britanniques et à resserrer encore l’encerclement des républiques boers (du Transvaal particulièrement). Après avoir créé en 1889 la British South African Company, il devient en 1890 1er ministre de la colonie du Cap et s’efforce de soumettre à l’administration de la compagnie le territoire des Matabélés au Nord du Transvaal (dénommé Rhodésie à partir de 1890, sa capitale reçoit le nom de Salisbury en hommage au 1er ministre anglais de l’époque). Il incarne alors l’impérialisme britannique en Afrique à son plus haut degré, sur le plan financier et politique, (comme Kitchener va l’incarner sur le plan militaire).
Caricature : « The Rodhes Colossus » qui enjambe toute l’Afrique pour évoquer le projet grandiose de relier par une ligne de chemin de fer (et aussi par liaison télégraphique) Le Cap au Caire.
L’action de Rhodes connait un coup d’arrêt brutal après l’échec de l’expédition entreprise sous son impulsion le 29 déc. 1895 contre la république du Transvaal par le docteur Jameson qu’il a placé à la tête de la British South African Company. Raid lancé sous le prétexte de libérer les Uitlanders opprimés du Transvaal. Les hommes sont capturés au bout de 4 jours et le fiasco affaiblit non seulement Rhodes mais aussi Chamberlain à Londres (qui s’est fait le champion de la cause impérialiste). Cette affaire a un certain retentissement international puisque l’empereur Guillaume II, soucieux des intérêts de l’Allemagne présente dans le Sud-ouest africain, envoie un télégramme de félicitations au président du Transvaal Paul Kruger. Mais ce fiasco laisse entier le problème des Uitlanders qui reste un casus belli potentiel car les Uitlanders ne disposent pas de droits politiques au Transvaal (droit de vote) alors qu’ils contribuent à la prospérité du pays et sont assujettis à de lourds impôts. On retrouve ce lien particulièrement sensible dans le monde britannique entre fiscalité et citoyenneté (qui a été crucial dans la révolution américaine). L’octroi du droit de vote aux Uitlanders est inacceptable pour les Boers, compte tenu de leur proportion démographique. Quand en 1898 les Uitlanders lancent une pétition pour demander à la mère patrie d’intervenir en leur faveur, cette initiative provoque la déclaration de guerre du Transvaal le 11 octobre 1899.
2.1.4 La Guerre Elle se déroule en 3 phases :
Entre Oct.1899 et Janv.1900, les anglais sont pris de court par l’offensive des Boers et connaissent de sérieux revers. Leurs troupes se retrouvent assiégées à Ladysmith au Natal et à Mafeking au Bechuanaland. Les renforts envoyés depuis les ports pour les délivrer sont battus par les Boers. Londres doit faire appel à l’aide militaire de son dominion canadien (qui envoie 7 à 8000 hommes).
A partir de Fév.1900, commence la contre-offensive britannique qui en 6 mois renverse le cours de la guerre. Lord Roberts, Kitchener et John French (qui sera le 1er commandant du corps expéditionnaire britannique en France en 1914). Les effectifs dépassent 400 000 hommes grâce au succès de l’appel au volontariat. Ladysmith est délivrée puis Mafeking le 16 mai 1900.
Le colonel Robert Baden-Powell qui a tenu le siège devient « le héros de Mafeking ». Le fascicule qu’il publie : « Aids to Scouting for non comission (= sous-officiers) officers and men», ce livret de formation des éclaireurs de l’avant-garde militaire connait un immense succès et fait de Baden-Powell l’inspirateur d’un esprit mobilisateur nouveau de la jeunesse, le scoutisme. Au cours de cette 2ème phase, les capitales des états boers sont prises : Bloemfontein (capitale d’Orange) en mars, et Pretoria (capitale du Transvaal) en Juin.
Mais les Boers ne s’avouent pas vaincus. De Sept.1900 à Mai 1902, se déroule une guérilla difficile à réduire pour les britanniques.
Pour venir à bout de la résistance, Kitchener a décidé d’interner les familles boers dont les fermes avaient été détruites par la tactique de la terre brûlée, dans des camps de concentration. Le précédent que constitue cette forme de violence exercée contre les civils (pendant la guerre de Sécession, il y avait eu des camps comparables mais seulement pour les prisonniers de guerre) est un indice parmi d’autres de l’entrée dans un nouvel âge de l’art de la guerre. (Celui aussi où l’industrie permet de fabriquer en quantité du fil barbelé).
On aurait tort de voir là une spécificité de la guerre entre nations européennes puisque les noirs qui vivaient auprès des boers comme domestiques ou ouvriers agricoles en furent aussi victimes. Après le rapport d’une infirmière, une commission d’enquête visita les camps et recommanda d’améliorer la nourriture et l’équipement médical pour diminuer la mortalité effrayante. (28 000 morts boers de malnutrition et maladie parmi lesquels 22 000 enfants de moins de 16 ans, et plus de 14 000 noirs).
La spécificité de la guerre reste bien cette montée aux extrêmes de la violence entre nations d’origine européenne. Les noirs ont été mobilisés comme combattants malgré l’accord tacite initial entre anglais et boers de ne pas « recourir à la force noire » (comme le dira le général Mangin pour l’armée française)
Les commandos boers se rendent et les dirigeants des 2 états signent la paix le 31 mai 1902 à Vereeniging. Paix qui se voulait généreuse : les annexions faites par les britanniques étaient assorties de la garantie du self-government et d’une indemnité de 3 millions de livres pour la reconstruction des pays dévastés. (Retour à une éthique de gentlemen à l’égard d’un peuple qui pouvait être de nouveau considéré comme un égal)
Pour l’observateur étranger, guerre asymétrique : déséquilibre des forces entre les belligérants. Tel n’est pas le cas de la guerre suivante :
2.2 La guerre russo-japonaise (1904-1905)
Le caractère indirectement international d’un conflit qui n’oppose que deux belligérants. La Chine y est mêlée : c’est le non respect par les russes de l’engagement pris envers la Chine en 1902 de retirer par étapes leurs troupes de Mandchourie qui conduit le japon à prendre l’initiative de la guerre. Il augmente sa puissance navale grâce à l’appui du RU (traité du 30 janv.1902)
Au moment où les français et les anglais s’apprêtent à se lier par le traité « de l’entente cordiale », le 8 avril 1904, leurs sympathies se partagent entre les deux pays qui s’affrontent :
On trouve à sourire d’un conflit qui préfigure la guerre qui se livrera en France 10 ans plus tard.
Le petit Japon sur les genoux de l’anglais jovial et le russe porte derrière lui le français (et les sacs qui évoquent les emprunts russes contractés à Paris). Les spectateurs sont l’américain, le chinois et l’allemand.
2.2.1 Les faiblesses de la Russie
Révélées par l’attaque par surprise sans déclaration de guerre de la flotte stationnée à Port Arthur dans la nuit du 8 au 9 février 1904 : l’insuffisance des forces disponibles sur place, les défaillances du commandement, les difficultés de transport (le transsibérien est un chemin de fer à voie unique auquel il manque le tronçon de contournement de la rive Sud du lac Baïkal), les faiblesses navales (l’escadre de Vladivostok est battue en août 1904 et celle de la Baltique a fait faire le tour de l’Afrique à ses cuirassés ne voulant pas passer par le canal de Suez) engendrent la mort de 5000 marins et officiers, 7000 prisonniers, à peine 1000 arrivent à s’échapper. Du coté japonais, seulement une centaine de disparus.
Sur terre, une guerre de siège qui tend à s’immobiliser. Après le long siège de Port Arthur en Janvier, il faut encore 3 mois aux japonais pour parvenir à leurs fins.
On pourrait croire que le colonel Mayer décrit déjà la guerre de tranchées.
A l’inverse de ce qui se passe en mer, sur terre, les pertes sont plus importantes pour les assaillants, les japonais, que pour les russes. Il en déduit que la défensive dans de telles conditions peut avoir quelques vertus. Mais il n’est pas entendu par les états-majors qui continuent de penser que dans une guerre symétrique, la puissance meurtrière du feu étant à peu prés égale entre les 2 armées, seule l’offensive pourra être couronnée du succès. (On retrouvera ce même acharnement du Maréchal Joffre pendant la guerre 14 !)
2.2.2 Le rôle des Etats-Unis Les négociations de paix se tiennent à Portsmouth sur la côte Est en présence du président Théodore Roosevelt. Le traité de paix est signé le 5 septembre 1905.
2.2.3 Montée en puissance du Japon L’inquiétude des puissances occidentales (y compris les Etats-Unis) devant la montée en puissance du Japon permet à la Russie de s’en tirer à moins mauvais compte qu’elle n’aurait pu craindre : elle doit renoncer en faveur du Japon à Port Arthur et au chemin de fer transmandchourien mais à la moitié Sud seulement de l’île de Sakhaline ainsi qu’à toute prétention sur la Corée.
2.2.4 Ampleur des conséquences intérieures de cette défaite Dés avant la fin de la guerre, à l’annonce de la capitulation de Port Arthur le 16 janvier 1905, les ouvriers des usines Poutilov à St Petersbourg cessent le travail pour protester contre le renvoi de 4 de leurs camarades et la grève s’étend bientôt à toutes les entreprises de la région. Le 22 janvier, le cortège de 150 000 hommes, femmes et enfants, qui se dirige vers le palais d’hiver pour déposer une pétition appelant le tsar, père du peuple, à satisfaire un certain nombre de revendications politiques et sociales, est accueilli par les cosaques qui ouvrent le feu, provoquant un mouvement de panique et tuant un millier de personnes. C’est ce dimanche rouge que le cinéaste Eisenstein devait transposer 20 ans après sur les escaliers d’Odessa.
Transposition imaginaire dans un film qui visait à honorer les marins du cuirassé Potemkine qui s’étaient effectivement mutinés devant Odessa le 27 juin 1905. Voir la scène la plus célèbre de toute l’histoire du cinéma en raison de l’utilisation pionnière du travelling pour mettre en scène une voiture d’enfant qui dévale l’escalier.
La statue en haut de l’escalier est celle du duc de Richelieu, le ministre de Louis XVIII, qui avait été gouverneur d’Odessa au service du Tsar Alexandre 1er.
La violence montrée dans cet extrait n’est plus seulement celle de la guerre, c'est-à-dire entre des soldats préparés à s’affronter, mais c’est une violence tournée contre des civils, (femmes, enfants, vieillards). Le régime au service duquel Eisenstein a mis son génie d’artiste a encore décuplé cette violence par rapport au temps du règne de Nicolas II. On retrouve aussi cette violence dans :
2.3 Les guerres balkaniques (1912-1913)
2.3.1 Rancunes contre la Bosnie-Herzégovine
Le 1er lien qui rattache ces 2 guerres successives à la guerre russo-japonaise, c’est le sentiment de rancune que l’annexion de la Bosnie-Herzégovine par l’empire austro-hongrois en 1908 a inspiré aux élites gouvernementales, diplomatiques et militaires russes pas encore remises à cette date de l’humiliation qu’avait été pour elles la défaite face au Japon. On retrouve un conflit localisé dont il ne faut pas sous-estimer les motivations locales en tête desquelles se place la vigueur des nationalismes mais où néanmoins s’avivent à l’arrière-plan les antagonismes entre puissances impérialistes européennes.
2.3.2 Réactions en chaine des nationalismes Le nationalisme turc tel qu’il s’est manifesté à la suite de la révolution jeunes turcs de 1908 a stimulé les nationalismes balkaniques d’autant plus que le comité « Union et Progrès » se présentait comme une force de régénération de l’empire ottoman. Dés 1908, c’est ce qui signe, à l’initiative des russes, la formation d’une coalition balkanique. La guerre italo-turque de 1912 (qui aboutit à la main mise italienne sur la Lybie) crée dans cette coalition une fenêtre d’opportunité. Le 30 septembre 1912, les alliés serbes et bulgares déclenchent la mobilisation de leurs armées et exigent dans un ultimatum d’importantes réformes dans l’administration de la Macédoine, ultimatum laissé sans réponse dans un 1er temps, mais lorsque le 8 octobre, le Monténégro envoie des troupes pour soi-disant rétablir l’ordre en Albanie du Nord, le gouvernement turc demande aux ambassadeurs serbe et bulgare de quitter Istanbul. La guerre est déclarée le 18 octobre. Aussitôt la Grèce, qui elle, entend obtenir l’annexion de la Crète, rejoint la Serbie et la Bulgarie.
2.3.3 Large couverture médiatique du conflit La guerre fait l’objet à la fois d’une large couverture médiatique, d’une attention soutenue des états-majors des puissances, tous préoccupés de préparer un conflit général, et la mise en place d’une évaluation internationale des atrocités commises contre les populations civiles. La fondation Carnegie pour la paix internationale constitue une commission d’enquête dont le rapport publié en février 1914 devait servir de modèle pour la 1ère guerre mondiale.
2.3.4 Force des nationalistes chrétiens La surprise vient de ce que, alors qu’on prévoyait là encore une guerre asymétrique, à l’avantage des forces ottomanes (organisées et équipées par les allemands), d’une part les effectifs additionnés des armées balkaniques sont plus nombreux et d’autre part, les soldats chrétiens qui se battent pour des objectifs nationaux, se révèlent des combattants plus déterminés que leurs adversaires.
Les Bulgares sont victorieux en Thrace et les Serbes en Macédoine à Kumanovo. Aussi l’empire ottoman perd-il en quelques semaines le contrôle de la presque totalité des territoires qui lui restent encore dans les Balkans. Mais la résistance ottomane s’organise, les combats durent jusqu’au printemps 1913. Le 6 mars, les grecs entrent à Ioannina. Le 28 mars, les Bulgares entrent à Andrinople (ou Edirne). Fin avril, les Monténégrins prennent Scutari en Albanie. La conférence de Londres impose à l’empire ottoman la perte de tous les territoires situés au Nord et à l’Ouest de la ligne tracée entre Midia sur la mer noire et Enos sur la mer Egée. Cela coûte la vie à Chevket Pacha, chef du gouvernement, qui est assassiné le 11 juin 1913. Les nationalistes d’« Union et Progrès » préparent l’installation d’une dictature pour reprendre la situation en main.
2.3.5 Divisions parmi les vainqueurs Le partage des dépouilles provoque aussitôt la brouille entre les vainqueurs, qui d’alliés, deviennent ennemis. Dans la nuit du 29 au 30 juin, Ferdinand 1er de Bulgarie ordonne à ses troupes de repousser les serbes et les grecs de la zone centrale de Macédoine à laquelle il prétend. Les serbes et les grecs répondent par une déclaration de guerre et c’est :
2.3.6 La 2nde guerre balkanique qui dure un mois, du 30 juin au 31 juillet 1913.
La Bulgarie, isolée, demande l’armistice le 31 juillet. La paix signée le 10 août à Bucarest est dure pour la Bulgarie qui perd la Dobroudja du Sud au profit de la Roumanie, et ne garde qu’une petite partie à l’Est de la Macédoine. Elle doit partager la Thrace car Enver Pacha a profité de la zizanie pour reconquérir une partie de la Thrace qui lui est reconnue par le traité de Bucarest.
La Bulgarie ne conserve que la partie entre le fleuve Marica et le golfe de Kavala en Thrace.
Le bilan est donc lourd de haines, de frustrations et de menaces. Les belligérants se renvoient des accusations d’atrocités qui auront leur prolongement jusqu’à la 2nde guerre mondiale et au-delà. La Bulgarie continue de convoiter des terres :
aux Serbes, elle conteste la Macédoine jusqu’au fleuve Vardar
aux Grecs, elle conteste Salonique et la Thrace
aux Roumains, elle conteste la Dobroudja du Sud.
Tandis que ces peuples, Serbes, Grecs, Roumains, qui ne s’aimaient pas, deviennent des alliés naturels pour la défense du nouveau statu quo (de courte durée, comme on le sait !).
Epilogue
Sur l’Européocentrisme qui a caractérisé ce cours, voir introduction du 1er cours.
Transition avec la 1ère guerre mondiale : il faut mesurer dans les relations internationales, dans les opinions publiques, et dans les chancelleries et états-majors, ce qui est fait pour préparer les esprits à l’accepter mais aussi tous les efforts faits pour éviter qu’un conflit particulier dégénère en affrontement général.
André Loez souligne dans La grande Guerre, que quoique cette guerre ait été imaginée et anticipée (voir extrait précédent du colonel Mayer), les conditions de son déclenchement, comme le climat d’inimité apparente des sociétés devant cet évènement, sont autant d’éléments inattendus.
En 1937, Jules Romain, à l’approche de nouvelles menaces, a terminé Les hommes de bonne volonté sur un tableau de la France en Juillet 1914 : il résume les raisons pour lesquelles l’aspiration unitaire pouvait seule désormais rendre espoir et confiance aux survivants européens.
Baptiste- Messages : 3
Date d'inscription : 08/10/2011
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